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Eden de Mia Hansen-Love : de rêves en raves, la fête finira-t-elle un jour ?

Chloé Margueritte Reporter LeMagduCiné

Avec Eden, Mia Hansen-Love signait un petit pas de côté dans sa filmographie. Elle y filmait une sorte de grande fête sans lendemain où tout se mêlait, surtout la vie sentimentale et artistique de son personnage principal. Et la réalisatrice posait une question pertinente : comment filmer les soirées en boîte au cinéma ? Rien de mieux pour notre cycle sur la fête au cinéma.

Grands soirs

La musique, dit-on, adoucit les mœurs. Ici, elle est surtout le personnage principal d’un film qui se veut générationnel. Mia Hansen-Love filme l’effervescence – aidée par la drogue – d’une génération qui sort la musique non pas du placard mais du garage, pour la faire résonner dans de grandes raves dont les lendemains ne chantent pas mais sont difficiles. Cependant, quand la fête bat son plein, c’est l’impression que tout est possible qui domine grâce à une mise en scène du groupe d’une grande fluidité de laquelle quelques visages familiers se détachent. Son film est l’histoire d’un parcours – comme toujours – mais cette fois masculin. C’est avant tout celui d’un éveil au monde, d’un réveil brutal et d’une émancipation. Le film casse constamment son rythme entre soirées et création, entre le désir d’aller de l’avant et la frustration de voir le monde avancer sans soi. La fête filmée n’est que plus belle quand elle fait suite soit à un grand vide ou à des temps plus calmes, on est presque pris dans un tourbillon à la Mommy de Xavier Dolan, en moins émotionnellement destructeur peut-être. Eden parvient à retranscrire l’ambiance des soirées de raves, la musique qui envahit l’espace et tous ces moments suspendus qui comptent aussi : quand la fête est finie et qu’il faut continuer à avancer, à créer, à s’émanciper de soi, des autres et se construire un avenir. Les personnages filmés par Mia Hansen-Love, à l’image de la première séquence du film, vivent dans la nuit permanente, dans une esthétique, dans leurs histoires d’amour plus ou moins foireuses. Mia Hansen-Love filme, au-delà d’une génération, un microcosme parisien aux rêves d’Amérique. Son microcosme parisien puisqu’elle conte là l’ascension (et la chute) fulgurante de son frère (qui a co-écrit le scénario) Sven ici rebaptisé Paul. C’est donc autant une histoire de fête qu’une histoire de famille que la réalisatrice filme.

De l’intime au collectif et vice-versa

La réalisatrice s’échappe de ce qu’elle savait le mieux faire jusqu’alors : des films romantiques et sensibles à l’heure où tout va vite. Elle semble mieux adhérer à l’effervescence du monde même si, là encore, son personnage principal est en perte de vitesse… Alors que le monde avance, il veut retrouver son passé, celui avant la perte de l’innocence. « Quelque part entre l’euphorie et la mélancolie », voilà précisément la grande réussite du film : réussir à parler de notre quête à tous – avancer sans se trahir, se donner un avenir tout en regardant derrière soi – en parlant d’un individu. Tous ceux que l’on croise pendant ces deux heures où l’on a envie de danser et de crier sont aussi agaçants qu’attachants et nous donnent à vivre une passion, un idéal : celui d’une machine associée à une musique plus traditionnelle (la voix humaine) qui peu à peu se laisse rattraper par son destin : l’électro. Les personnages ont sans cesse la gueule de bois et traversent les années 90 comme un rêve avant de se réveiller à l’aube des années 2000 avec des machines entêtantes plein la tête et une certitude : avoir grandi sans pour autant renoncer tout à fait. Si cette grande fresque échappe parfois à Mia Hansen-Love, elle livre un film passionnel qui va à la découverte d’une époque, d’une musique et propose sa propre lecture d’un parcours, de plusieurs parcours qui se croisent entre création, amitié et chassé-croisé amoureux où l’on aperçoit quelques visages connus sous les traits d’actrices internationales. La réalisatrice s’est laissé enivrer par une force : le collectif et donc l’euphorie sans oublier ce qui fait sa force : la mélancolie. C’est peut-être finalement cela filmer la fête au cinéma, s’emparer d’un collectif, d’une effervescence inattendue qui prend tout le monde et savoir qu’un jour la fête se termine et qu’il faudra gérer l’après. C’est cette question cruciale que pose Alex Beaupain dans sa chanson Grands soirs : « Mais quand c’est fini c’est trop boire / Quand c’est rendre tout ce trop plein / Que reste-t-il de nos grands soirs / Quand s’en vient le petit matin ? »… La réalisatrice répond avec une justesse toujours présente et un jeu d’équilibriste d’une grande douceur derrière une musique omniprésente.

Eden : Bande annonce

Reporter LeMagduCiné