2015 : L’avènement du Blockbuster ?

Blockbuster : un mal nécessaire à la survie du 7ème art ?

Alors que la planète cinéma trépigne d’impatience face à une année 2015 destiné à demeurer dans les annales, tant sa programmation, alternant vague de divertissement old school (Star Wars ; Terminator ; Mad Max ; Mission Impossible, Jurassic Park, James Bond) et nouveau déferlement ultra héroïque (Avengers, Ant-Man, Les 4 Fantastiques) semble incarner le parangon du visage du cinéma contemporain, entre pragmatisme industriel et marketing outrancier, il est amusant d’observer, à travers le prisme de cette année décidément hors norme, la place de choix qu’occupe désormais le blockbuster au sein du paysage cinématographique mondial et de la culture populaire.

Terminator Genisys – Spot TV avec J.K. Simmons  Spectre : le teaser trailer du nouveau James Bond

     

Une place qui à l’aune de cette année résolument nostalgique, a inspiré CineSeries pour relater en détail la genèse de ce genre devenu majeur et de ses principales itérations (Star Wars, Terminator, Indiana Jones, James Bond), ayant par leurs seules auras ébranlé tout un pan du cinéma, tout en accélérant un phénomène de société devenu aujourd’hui lapalissade : le cinéma comme objet de consommation.

Une crise généralisée tendant à l’émergence d’un nouveau système.

Alors que sa prépondérance constitue aujourd’hui pour beaucoup l’explication du désamour latent de la population pour le cinéma, il demeure opportun de dire que cela n’a pas toujours été ainsi outre-Atlantique. Reflet d’un capitalisme galopant ayant éclos au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, ce genre naît en effet d’un besoin, qui plus est désespéré : le besoin d’un public.

Car, depuis l’essor de ce genre rompu aux massifs déplacements de foules, on aurait tendance à croire que le cinéma, vecteur culturel le plus populaire de la société, a toujours affiché une indécente vitalité. Or, malgré un début en grande pompe, le cinéma américain a traversé, un peu à l’instar de son affrontement contre le téléchargement illégal d’aujourd’hui, une crise majeure à l’aune de la décennie 1950.

Alors que la Seconde Guerre Mondiale est encore dans toutes les mémoires, que la société américaine tend à retrouver son mojo perdu après d’intenses années de conflits, et que John Wayne continue de terrasser de l’apache, voilà en effet que le cinéma, l’un des plus fidèles piliers de l’effort de guerre, stagne et se retrouve en crise. Une crise d’ordre humaine qui voit ainsi la population délaisser dans des proportions inquiétantes les salles obscures et se tourner vers la télévision, alors en plein boom car voyant sa gamme de programme littéralement supplanter le cinéma, jusque alors rompu à enchaîner les romances passionnées (Autant en Emporte le Vent) et les westerns frondeurs terrassés par le soleil (Rio Grande / La Chevauchée Fantastique).

Une flopée de questions se pose alors quant à savoir sa cause. Serait-ce due à un système de promotion et de sorties archaïque qu’il convient de moderniser (les sorties étant à l’époque échelonnées en 3 dates, voyant le film se diffuser d’abord dans les grandes villes puis en Province) ? Ou cela résulte-il tout simplement de la lassitude d’un public à l’égard des genres érigés en hit au cours des années et dont l’aura a décliné en amont du développement de la société ?

Le cinéma comme objet de consommation.

Quoiqu’il en soit, les majors d’Hollywood ne se font pas prier pour révolutionner le système et entreprennent alors d’édicter en maxime commerciale un processus, destiné à transformer chaque long-métrage en événement : la commercialité du cinéma était alors née. A l’instar alors des publicités vantant la cigarette ou les fours micro-ondes, voilà que les films jouissent de campagnes promotionnelles. On y voit des affiches colorées, mettant en avant le nom des vedettes, le réalisateur, le style du film, sans oublier le format.

Panavision (2001: L’Odyssée de l’Espace), Cinérama, la Vistavision, le Technirama, le SuperPanavision 70, le Dynarama, le Warnerscope ou le Cinémascope, autant de formats jusque alors réservés pour les fins connaisseurs du genre et qui se transforment en arguments commerciaux, tant leur dextérité sensé sublimer l’expérience procurée par le film constitue aux yeux des spectateurs un objectif désormais fondamental.

Car malgré cet essor marqueteur, les majors des studios ont aussi pris en compte une notion clé, que celle des attentes du spectateur. En effet, à l’image de la société en pleine mutation aussi bien technologique que sociale, les spectateurs et leurs retours dans les salles obscures semble conditionné à l’émerveillement qu’ils peuvent ressentir. Ils veulent du grand, du beau, du sensationnel, du magnifique et du MODERNE, ce dernier qualificatif étant hautement symbolique en l’espèce tant il répercute de manière spécifique les dires d’André Bazin, figure emblématique des Cahiers du Cinéma, qui dira que « le cinéma substitue à nos regards un monde qui s’accorde à nos désirs », amenant ainsi une théorie farfelue pour certain que de voir le cinéma se muer en véritable « miroir de la société ».

Un simple retour en arrière permet d’ailleurs de comprendre que ce postulat de cinéma-miroir de la société est vrai. En un mot : Vietnam. Le conflit vietnamien, bourbier exotique et infernal, jouissant de l’essor de la télévision et des moyens de communications, s’est vu littéralement démystifié par ces mêmes caméras et photographies, qui après que le conflit eut été consommé, accoucheront d’œuvres profondément emplis de polémiques telles que Platoon, Apocalypse Now, Full Metal Jacket, Voyage au Bout de l’Enfer ou Taxi Driver ; œuvres ayant marquées les décennies 1970-1980 et entériné la scission du genre, désormais dissocié entre le film de guerre à tendance moralisatrice (Démineurs, Zero Dark Thirty) et celui agissant en tant que réel divertissement (La Chute du Faucon Noir, Stalingrad).

Fly me to the Moon !

Dès lors, quel est le background historique et sociétal pouvant expliquer une telle mutation du 7ème art vers ce nouveau modèle de cinéma, résolument tourné vers le divertissement ? Là, repose tout l’intérêt car si on a pu voir que la société et ses atermoiements influe et stimule les différents genres cinématographiques, on reste encore peu renseigné sur ce qui a constitué le point de départ de cette incessante dynamique.

Un défaut de connaissance heureusement comblé par André Bazin toujours, qui de par son expérience avait pu déjà dénoter que le cinéma, de par sa capacité à refléter le monde dans lequel il est exposé, est rompu aux innovations et rêves de l’Homme. Tel un manifeste du développement de la société, le cinéma se devait alors de refléter les différentes évolutions traversées par l’Homme, quitte à influencer une dynamique et des genres très spécifiques.

Et à travers la galerie d’inventions s’étant vues amenées au cours du 20ème siècle, il y en a une qui à bien des égards peut se targuer d’avoir influé sur cette mode devenue aujourd’hui industrie : l’alunissage d’Apollo 11 le 21 Juillet 1969 !

Fierté de l’Amérique, la mission Apollo 11 restera gravée dans l’inconscient collectif, comme l’une des prouesses technologiques les plus majeures de notre temps. Mais outre l’exploit technique que cette mission a représenté, un autre constat fut tiré de cette escapade spatiale : l’Homme venait de traverser une frontière. Plus qu’un symbole, cet acte constituait aussi un jalon. La destinée de l’Homme s’écrirait désormais dans les étoiles. Une cheminement, qui à travers les paroles de Gaspard Noé, réalisateur français prend un sens totalement nouveau lorsque ce dernier dira que « le cinéma est une réinterprétation du monde », supposant ainsi l’habitude de cet art que de profiter d’une époque ou d’un évènement donné, pour fédérer un public autour d’un thème ayant marqué l’année ou la décennie. Et alors que l’exploration spatiale avait muté d’une utopie à un projet tout ce qu’il y a de plus réalisable, la tentation de coupler cette thématique de conquête et d’exploration à ce précurseur balbutiant du divertissement de masse semblait doté d’une logique à toute épreuve, tant cela permettait de conjuguer actualité à gros spectacle, une recette prisée du public de l’époque et subrepticement nommée blockbuster.

Un genre soumis à d’intenses promotions.

De l’anglais blockbuster signifiant « qui fait exploser le quartier » et dont les origines remontent à l’art militaire (le terme blockbuster désignait lors de la Seconde Guerre Mondiale, la plus puissante bombe utilisée par l’armée anglaise et américaine), le blockbuster se définit alors comme un genre de films remportant un succès important principalement issu des moyens d’ordres financiers et humains investis, donnant d’ailleurs très rapidement au genre l’étiquette de superproductions. Massif, le genre l’est, tant son arrivée, aussi subite qu’inattendue dans les années 1970 s’est longtemps vue considéré comme un pied de nez au Nouvel Hollywood alors en grande forme (Le Parrain notamment) tant il n’a pas manqué de froisser une part importante de la profession, cette dernière révoltée de voir des jeunes cerveaux insolents et vantards user du même mode d’expression que le leur, mais en le travestissant pour le conformer à une vision purement commerciale.

Mais le genre est aussi le vivier d’infatigables tacticiens. Car ce qui a grandement contribué à l’essor de ce genre est bel et bien la dextérité qu’ont eu les producteurs à user des ressorts publicitaires et commerciaux pour vendre et susciter l’attente autour d’un projet. Suivant la maxime édictée en consigne de John Ford, qui veut que « le meilleur cinéma, c’est celui où l’action est longue et les dialogues brefs », le procédé va alors subir un formidable élan lorsque ses principales composantes se verront utilisées dans ce que l’histoire retiendra comme le premier blockbuster : Les Dents de la Mer.

Ce raz de marée au cœur de la profession, c’est un certain Steven Spielberg qui en sera l’initiateur. En 1975, alors âgé de 28 ans, ce dernier tout juste crédité d’un premier film d’étude minimaliste (Duel) et d’un film sacré au Festival de Cannes (Sugarland Express) décide d’adapter un roman horrifique narrant la mésaventure d’une station balnéaire, menacée par un squale. Baptisé Jaws (Les Dents de la Mer), ce film au budget relativement modeste gravitant autour des 12 millions de dollars va jouir de techniques publicitaires révolutionnaires pour l’époque ; les majors du studio dépensant plusieurs millions de dollars pour la promotion et diffusant ainsi moult spot télévisés vantant la technique et le ton horrifique du film pour charmer un public, jusque alors peu habitué à voir de tels spectacle.

Le résultat deviendra un cas d’école. 470 millions de dollars récoltés pour seulement 12 dépensés, 3 Oscars dont meilleur montage, meilleur son et meilleure musique pour le reconnu John Williams, une nomination à l’Oscar du meilleur film la même année et la consécration artistique pour Spielberg, qui deviendra dès lors un des movie-maker, littéralement faiseur de film, les plus reconnus et les plus populaires de la profession.

Un genre qui s’exporte dans l’espace et s’expatrie.

De par cet immense succès, ayant plus que jamais entériné la place de ces nouveaux pontes du divertissement au sein du système, résultera un effet de mode démesuré. On ne comptera ainsi plus le nombre de studios désireux d’égaler le succès des Dents de la Mer, et dont la seule obsession sera de trouver une histoire, sachant conjuguer grand spectacle, nouveauté et modernité.

Et à ce jeu carnassier et ou les dollars pleuvent, c’est la 20th Century Fox qui tirera la meilleure carte lorsqu’elle fera confiance à un certain George Lucas, réalisateur auréolé d’un joli succès public avec son film American Graffiti, ici désireux de mettre en scène un film sachant conjuguer quête initiatique, mondes merveilleux, mythologie et combats spatiaux, directement inspiré d’Akira Kurosawa, Edgar Rice Burroughs et Fritz Lang.

Le nom de cette épopée de science-fiction : Star Wars !

Devenue au fil des années culte (et c’est un euphémisme), la saga de George Lucas perpétuera la rentabilité économique du blockbuster, quand bien même son principal auteur avait parié le contraire et le premier volet, Un Nouvel Espoir sera d’ailleurs pendant longtemps l’un des films les plus lucratifs que le cinéma ait porté, engrangeant pas loin de 560 millions de dollars pour un budget de seulement 10 millions, et une tripotée d’Oscars (majoritairement d’ordres techniques tels que les costumes, effets visuels, musique) dûment mérité.

A l’issue de ces deux coups d’éclats ouvrant la voie sur un nouveau débouché du divertissement de masse, en l’espèce la vente de produits dérivés, le genre en perpétuelle effervescence continuera d’alimenter outrageusement les travées de salles obscures, quitte à s’exporter en Australie ou le premier volet de la saga Mad Max, engrangera 100 millions de dollars, pour des dépenses de 400 000 dollars, et aussi en Angleterre avec la recrudescence de la saga James Bond, ayant troqué ses oripeaux de pur espionnage pour finalement endosser ceux de l’action pure et dure.

Suivra une flopée d’action-movie à fortes tendances patriotiques ou Stallone, Schwarzy et consorts joueront des mécaniques dans des films aux airs de simulacres de one man show (Rocky / Commando / Predator) et l’avènement de ce genre à l’orée des années 2000 avec l’arrivée d’un jeune sorcier au faciès peu expressif et d’une dynastie Marvel en pleine expansion et aujourd’hui omniprésente comme nouveaux porte-étendards.

Vous l’aurez compris, malgré qu’il ait éclot il y a de cela 40 ans, le blockbuster a de beaux jours devant lui. Un postulat qui ne sera point démenti au vu du contenu de cette année, osant raviver cette flamme de la nostalgie avec autant d’ambition que de malice.

Rédacteur LeMagduCiné