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Serenity : Photo Anne Hathaway, Matthew McConaughey | Copyright IM Global

Serenity, de Steven Knight : plein soleil 2.0

Dans Serenity, le thriller de Steven Knight, Matthew Mc Conaughey retrouve sa barbe de trois jours vue dans Mud sur les rives du Mississippi, J Nichols, 2012) et sa collègue spationaute d’Interstellar pour partir à la pêche. Une journée somme toute normale.

Synopsis : Le capitaine d’un bateau de pêche caribéen est confronté à un dilemme quand son ex-femme refait surface et lui demande de tuer son mari violent.

Un plan signature, ça vous branche ? Non non, restez… Je ne fais pas de drague lourde, je vous propose juste de revoir des plans iconiques pendant près de deux heures, disséminés dans un polar branché. J’espère que ça vous intéresse, c’est justement ce type de production qui peut racheter une âme à Netflix. Voilà sa politique des hauteurs.Allez, on sort donc la tête de l’eau, limpide, tel un requin farfadet, pour ensuite longer la surface de l’eau sur 500 mètres comme un drone. Ensuite, hop, je pars en hauteur pour une superbe plongée totale sur un petit bateau : le serenity. Deux gros pleins de soupe entourés de cadavres de canettes de mauvaise bière grillent au soleil en attendant que des thons se ferrent tous seuls sur leurs lignes. Matthew McConaughey, au poste de pilotage a les cheveux frisés au vent : n’en rajoutez plus, j’en ai déjà assez pour faire un autre paragraphe. Les dents de la mer, Plein soleil et je passe ces plans d’intro de tous les films tournés sur des rivages : en trois plans, le film de Steven Knight commémore un large éventail filmique dans lequel tout un chacun pourra se projeter.

Peu importe les titres, au fond, car les signatures sont là. On convoque des repères visuels très facilement identifiables pour littéralement vous embarquer dès les premières mesures.Et le cinéma, c’est souvent comme une vente chez Stéphane Plaza : les premières secondes sont déterminantes. Signer son entrée de manière pompière et iconique donne le ton d’une œuvre qui se gorge de références assumées. Avec un tel casting au programme, ceci a même de quoi interpeller. Sans grands acteurs, une telle intro serait digne d’un mauvais téléfilm, mais là le bat blesse. Vers quoi voguons-nous ? Une parodie ? Un métafilm ? Un autre nom savant ?

Steven Knight, en bon prince des scenarii sait très bien le poids de ces références : on parle tout de même d’un gars qui est l’auteur de scripts de nombreux films dont par exemple le marquant Dirty pretty things (Stephen Frears, 2002) ou par exemple de Peaky Blinders, la série TV en vogue chez les amateurs de gapette (mais si, vous savez, cette casquette très ramassée que tous les hommes stylés portent dans la rue… ? Vous l’avez ? Voilà !). Côté ciné, Steven a une filmographie plus légère, avec notamment un film avec Jason Statham/tatannes (Crazy Joe, 2013), un polar arty avec Tom Hardy (Locke, 2014) avant de réaliser Serenity.Matthew McConaughey incarne Baker Dill, un marin misanthrope mi-alcoolique, surtout quand il n’arrive pas à retrouver son Moby Dick à lui : un énorme thon. Accompagné de son souffre douleur Duke (Djimon Housou) il promène des touristes sur un océan limpide, pour leur faire attraper des gros poissons. Le synopsis raconte la suite, nul besoin d’en rajouter. Ce polar solaire présente les attraits du suranné, avec une ex-femme (Anne Hathaway) iconique, digne de Rita Hayworth et un gros mari mastar plutôt violent (Jason Clarke) que tout le monde veut détester ou tuer, en fonction des moments de la journée. Le film de Steven Knight suscite le trouble, à jouer d’éléments visuels et narratifs très clichés qui le mènent petit à petit vers les limites de la parodie. Il suffit pour cela de raconter le panoramique introduisant le personnage d’Anne Hathaway. Au milieu d’un bar mal fagoté, soudain le silence se fait pour que le dialogue s’instaure. C’est très artificiel et convoite encore des souvenirs, ici donc La Dame de Shanghai (Orson Welles, 1948).

Il serait autant prétentieux qu’irréaliste d’imaginer la part de volonté dans l’esprit du cinéaste dans cette envie d’utiliser des strates de cinéma pour créer son propre film. Et comme je ne suis pas télépathe ou mentaliste, ce qui serait ici des atouts sérieux pour décrypter les pensées de Steven Knight, je me contenterai de dire que cette démarche apparaît au final très cohérente avec l’énorme twist scénaristique de la moitié du film. Il est cependant problématique à plusieurs titres. Il dévoile tout d’abord entièrement le procédé alambiqué qui cautionne l’existence même de son univers diégétique, mais il le fait également hélas bien tôt dans la progression du récit. L’analyser devient donc problématique et demande des trésors de précaution pour ne rien dévoiler de cette surprise, mais cette posture même dans laquelle il pose ses commentateurs et ses spectateurs paraît être son essence même. On ne peut le commenter ni le juger comme n’importe quel (mauvais) film. Il échappe à cette emprise, sans pour autant être totalement inclassable.En fait, Serenity est un film multivers. Cette théorie des multiples univers parallèles en vogue dans les revues scientifiques est ici piquant à évoquer, quand le casting lui-même est marqué par beaucoup d’entre eux : d’autres films. Amistad, où Djimon Hounsou et Matthew McConaughey ont joué, Interstellar, lui-même fervent symbole de la théorie, avec encore Matthew et Anne Hathaway. Ce revirement scénaristique au mitan du film permet en conséquence de percevoir un questionnement métafilmique: Qu’est ce qu’un film ? Où commence t-il, où s’arrête t-il ? Mais aussi à quoi sert-il ? Tout autant de réflexions qui viennent imperceptiblement pendant son visionnage, mais qui demandent une vraie introspection pour devenir concrètes (Oui, là, je suis en plein dedans, et je vous assure que c’est hyper fatiguant).

Au-delà de la mise en scène et de la direction d’acteurs, il est dur au premier degré de trouver de réelles qualités à cet ouvrage. Son intérêt est ailleurs, comme la vérité dans X-files. Serenity n’échappe ainsi pas à un test assez simple. Prenez un commun des mortels. En l’occurrence moi. Sans avoir à le chroniquer, à le décortiquer et le reconstruire, cette pertinence que je retrouve ne m’aurait pas frappé. Interstellar est évoqué plus haut, Steven Knight n’a hélas assurément pas la maîtrise scénaristique d’un Christopher Nolan pour totalement maîtriser son sujet. Et il est très glissant.Certains apprécieront le twist et s’en satisferont, d’autres trouveront leur plaisir à décortiquer le défi scénaristique qu’il pose. Mais beaucoup risquent de passer à côté. Non pas par manque d’acuité intellectuelle, mais par manque de repères solides pour suivre sa réflexion. Le spectateur, lassé et noyé par trop de références et ce style auto-parodique qui nourrit la bête, pourra regarder Serenity comme un film fier d’être hybride dont la nature n’est pas d’être accessible. Et libre donc à lui de le faire passer pour ce qu’il est également : un mauvais polar surjoué sous le soleil.

Tu veux que je te passe de la crème dans le dos ?

Serenity : Bande-Annonce

Serenity – Fiche technique

Titre original : Serenity
Réalisation et scénario : Steven Knight
Interprétation : Matthew McConaughey, Anne Hathaway, Jason Clarke
Costumes : Danny Glicker
Photographie : Jess Hall Matthew
Montage : Laura Jennings
Musique : Benjamin Wallfisch
Pays d’origine : Etats-Unis
Genre : thriller
Durée : 106 minutes
Date de sortie : 8 mars 2019 (Netflix)

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2.5