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Predator : Badlands – le masque et la honte

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma
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Dan Trachtenberg, qui avait déjà relancé la franchise avec Prey et Predator : Killer of Killers, revient avec Predator : Badlands, un projet plus ambitieux visuellement et narrativement. Sous l’impulsion de Disney, le cinéaste élargit le terrain de jeu, en explorant un monde alien vaste, hostile et peuplé de créatures inédites, tout en plaçant un Predator au centre de l’histoire. Cette bascule de perspective, où la créature légendaire devient protagoniste, constitue le cœur de l’originalité du film mais modifie profondément la dynamique de la saga.

Passé son exposition express, le film affiche son ambition : un monde alien immense et imprévisible, où la faune et la flore se révèlent être de véritables armes à tuer – herbes tranchantes, chenilles explosives, salives d’animaux acides. Ce décor vivant devient un terrain de chasse et de survie où chaque mouvement peut être fatal. Trachtenberg y déploie une liberté créative rare, exploitant le potentiel visuel et sensoriel de cet univers hostile. Le réalisateur s’appuie également sur la mythologie élargie des Predator, puisant dans les romans et récits de l’univers étendu : les Yautja y sont nommés, leur langage et leurs rituels autour de la fierté guerrière enfin explorés. Cette dimension culturelle confère au film une profondeur inattendue et replace le chasseur légendaire dans une lignée presque mythologique.

Le récit suit Dek (Dimitrius Schuster-Koloamatangi), un Yautja marginalisé, poussé par l’humiliation et la honte à prouver sa valeur. Héros tragique, il part traquer un prédateur qu’il croit capable de panser sa fierté brisée et d’obtenir enfin la reconnaissance de son père, figure autoritaire qui ne jure que par la force et la mort. Ce postulat, qui évoque immanquablement Prey du même réalisateur, renoue aussi avec la transformation de Dutch dans le film de McTiernan. Pourtant, malgré un cadre inédit, Badlands se heurte à une limite : celle de recycler les motifs identitaires de la saga sans parvenir à leur donner une réelle portée nouvelle. L’intrigue avance par fragments convenus, et la mise en scène, si inventive visuellement, peine à insuffler un véritable vertige narratif. On admire la volonté, on regrette la vibration.

Le monstre apprivoisé

Un autre déséquilibre provient de l’humour, principalement incarné par l’androïde Thia (Elle Fanning), qui désamorce souvent la tension. Ce qui aurait pu devenir une relation subtile entre deux êtres en quête de sens se transforme trop fréquemment en digression mécanique. Thia, pourtant conçue comme vectrice d’émotion et témoin de la fragilité du monstre, finit reléguée à un rôle de sidekick fonctionnel. Son appartenance à la Weyland-Yutani, qui aurait pu enrichir la toile de fond d’une nouvelle rencontre entre Alien et Predator, reste à l’état de clin d’œil. Autour d’elle gravite Bud, sorte de mascotte sauvage censée incarner un lien primitif – entre le mignon et le féroce, tel un Stitch ou un bébé Groot bipolaire –, mais dont la présence accentue parfois le déséquilibre de ton. Le film hésite sans cesse entre tension et tendresse, entre drame et divertissement calibré.

Ce choix de placer le Predator au centre du récit demeure pourtant risqué et audacieux. Mais ce renversement s’accompagne d’un paradoxe : à force d’humaniser la créature, on en atténue la menace. Là où le Predator incarnait jadis la peur invisible, implacable, il devient ici un héros vulnérable, presque attendrissant. Cette mutation, proche de celle opérée dans The Mandalorian, divise forcément. Le mythe s’efface peu à peu derrière la figure du protagoniste. Là où le Predator incarnait jadis une peur impalpable, il devient ici un héros mélancolique, presque attendrissant, que le film observe avec une empathie sincère mais désarmante.

C’est dans cette approche ambiguë que Badlands dévoile, malgré lui, son thème le plus fort : celui du double à abattre. Les adversaires que Dek et Thia affrontent ne sont que les reflets d’eux-mêmes – autant de projections de leur honte, de leur servitude, de leur peur de l’échec. La chasse devient dès lors intérieure, presque spirituelle : tuer l’autre, c’est tenter de se libérer de soi. Et c’est dans cette quête paradoxale que naît une forme d’émancipation, non pas par la domination mais par la solidarité. Dek, Thia et l’animal Bud composent ainsi une meute recomposée, improbable mais nécessaire, où la survie passe par la reconnaissance mutuelle. Ce motif aurait pu porter le film vers une dimension quasi mythique, s’il n’était pas dilué par des ruptures de ton et un excès d’illustration numérique.

Au final, Predator : Badlands impressionne davantage par ses intentions que par ses aboutissements. Spectaculaire, souvent inventif, mais rarement bouleversant, le film s’impose comme un geste intermédiaire : entre hommage sincère et relance hésitante, entre mythe revisité et blockbuster sous contrôle. Trachtenberg semble vouloir concilier profondeur et grand spectacle, mais son film reste suspendu entre les deux, incapable de choisir son camp.

Predator : Badlands – bande-annonce

Predator : Badlands – fiche technique

Réalisation : Dan Trachtenberg
Scénario : Patrick Aison, d’après une histoire de Dan Trachtenberg et Patrick
Interprètes : Elle Fanning, Dimitrius Schuster-Koloamatangi
Photographie : Jeff Cutter
Costumes : Ngila Dickson
Décors : Ra Vincent
Montage : Stefan Grube, Dan Trachtenberg
Supervision des effets visuels : Olivier Dumont
Musique : Sarah Schachner, Benjamin Wallfisch
Producteurs : John Davis, Dan Trachtenberg, Marc Toberoff, Ben Rosenblatt et Brent O’Connor
Sociétés de production : Davis Entertainment, Lawrence Gordon Productions, Toberoff Entertainment
Pays de production : États-Unis
Société de distribution : 20th Century Studios
Durée : 1h46
Genre : Science-fiction, Action
Date de sortie : 5 novembre 2025

Predator : Badlands – le masque et la honte
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Responsable Cinéma