La vieillesse est un naufrage, De Gaulle l’a dit en connaissance de cause. A son crédit, le général a su prendre son képi et ses claques quand Mai 68 lui a indiqué la porte de sortie. Mais tout le monde n’a pas la même faculté de discernement. Il y a ceux qui coulent avec le navire, ceux qui sautent pour ne pas le couler, et ceux qui le font couler avec eux. Maestro(s) vient d’ajouter une nouvelle catégorie : ceux qui font semblant de respirer au fond de l’eau.
Et comme Yvan Attal et Pierre Arditi ne se sont pas fait greffer des branchies, on est bien obligé de se rabattre sur l’hypothèse de la thanatopraxie. Au moins à chaque fois que le premier s’acquitte de ses gros plans avec l’entrain d’un Serge Gainsbourg devant un examen de la prostate. Ce qui ne l’empêche nullement au demeurant de rendre 20 piges à son love interest de magazine, persuadé que le soleil se lève et se couche toujours dans le caleçon du old white dude sous péridurale comme à l’époque de l’ORTF. Un peu vieux jeu tout ça, mais comme le dirait Jacques Séguéla : se déconstruire à plus de 50 ans, c’est bon pour ceux qui n’ont pas de Rolex.
On ne parle même pas de respect du spectateur ici (on n’en est plus là), mais du minimum syndical de dignité personnelle. Ce à quoi l’acteur a manifestement décidé de renoncer en jouant les chefs d’orchestres en conflit avec son papa comme un Will Ferrell en burnout. On exagère ? Pauvres fous, vous n’êtes pas prêts.
Quelques minutes, c’est tout ce qu’il faut à Maestros pour faire reculer le langage cinématographique de plusieurs centaines d’années avant J.C.Prologue done, générique : plans mal/pas étalonnés et éclairés avec les rideaux ouverts, Pierre Arditi père ingrat regarde les photos de famille encadrées sur son mur. Il fait le bilan, calmement, en se remémorant chaque instant ? NON : il regarde les photos de famille encadrées sur son mur. Au sens propre, assis sur une chaise et les yeux (mal)tournés vers des plans d’inserts.
Une régression sénile ne s’articule pas, elle se bégaye. Alors certes, le cinéma français a survécu à plus d’un coma artificiel. On en a vu d’autres et de toutes façons, on n’espérait pas de Bruno Chiche la prose des Neg’Marrons derrière la caméra. Ni la maestria d’un Robert Zemeckis, ni même le souffle rockn’roll de scénographies similaires. Mais qu’il filme une indication de script comme s’il écoutait un GPS lui donner la direction d’une route de campagne, celle-là faut la retenir pour son prochain Kamoulox.
On vous dirait bien que le pire est passé, mais le meilleur reste à venir. Scènes après scènes et une pièce à conviction après l’autre, Maestros écrit le réquisitoire pour son euthanasie en Do ultra-majeur. Pas un plan, pas un instant qui ne se gratte ouvertement les couilles sur le front de la décence cinématographique élémentaire. Bruno Chiche ose tout comme un major texan en rodéo sur une bombe nucléaire, où Yvan Attal agitant sa baguette pour choper des Pokemon Go.
C’est au moins une qualité qu’on ne pourra pas lui enlever. Le climax du film, par exemple. Un cinéaste normal en pleine possession de ses moyens y réfléchirait à deux fois avant d’y aller. Cap’ pas cap’, mais Bruno est Chiche (ouais, ÇA VA HEIN), et y met plusieurs caméras pour filmer l’atelier théâtre d’un asile de jour en train d’enfoncer une par une les portes de la génance cosmique sous les applaudissements des suiveurs de l’antimatière. Il FAUT le voir pour le croire : à 12% d’inflation et 10 dollars la place, ça fait un peu cher le freak-show en période de fêtes. Mais sur un malentendu, ça pourrait presque passer.
Bande-annonce : Maestro(s)
Fiche technique : Maestro(s)
Réalisateur : Bruno Chiche
Scénariste : Bruno Chiche, Joseph Cedar
Avec Yvan Attal, Pierre Arditi, Miou-Miou, Caroline Anglade, Pascale Arbillot, Nils Othenin-Girard, André Marcon, Caterina Murino, Benoît Moret, Valentina Vandelli…
Distribution : Apollo Films / Orange Studio
En salle le 7 décembre 2022