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Copyright Christophe Brachet / 2024 Pitchipoï Productions | Jean Dujardin | L'Homme qui rétrécit

L’Homme qui rétrécit (2025) : le voyage intérieur

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma
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Près de 70 ans après le film de Jack Arnold, devenu une référence du cinéma de science-fiction, L’Homme qui rétrécit renaît sous la direction de Jan Kounen avec Jean Dujardin dans le rôle-titre. Revisité à l’aune des angoisses contemporaines, ce récit d’un homme qui diminue inexorablement interroge toujours, à travers les fondements de l’identité, de la vulnérabilité et de la place de l’individu dans un monde démesuré. Reste à savoir si cette version 2025 parvient à retrouver la puissance symbolique et la force troublante de ses prédécesseurs.

Comme chaque année, et au-delà de l’exhumation des classiques du genre, les salles obscures d’octobre regorgent de propositions – plus ou moins – horrifiques. Que ce soit avec la dystopique Marche ou crève, la relecture burlesque du mythe de Dracula par Radu Jude, les suites sans âme (Black Phone 2 et Les Intrus : Chapitre 2) ou encore un film de possession du point de vue d’un chien avec Good Boy, L’Homme qui rétrécit vient compléter cette sélection automnale en offrant une nouvelle adaptation du roman éponyme de Richard Matheson.

Il s’agit du romancier et scénariste auquel on doit plusieurs récits incontournables du fantastique et de la science-fiction : Je suis une légende, Au-delà de nos rêves, ou encore La Quatrième Dimension, dans sa version des années 80. Son scénario pour le téléfilm Duel a également permis à Steven Spielberg de lancer sa carrière. Mais avant cela, c’est l’étude philosophique d’une crise existentielle – celle d’un homme dont le monde s’agrandit à mesure qu’il rapetisse – qui propulse l’œuvre de Matheson parmi les classiques de la littérature fantastique.

La première adaptation cinématographique de 1957 est signée Jack Arnold, un cinéaste déjà remarqué pour L’Étrange Créature du lac noir. Mais c’est surtout grâce à son Tarantula ! – où un monstre géant menace des humains – qui lui vaut de diriger ce nouveau projet. Il y emploie la même technique de surimpression pour confronter ses créatures à l’acteur Grant Williams dans L’Homme qui rétrécit, tournant ainsi le dos aux effets de stop-motion de King Kong (1933) et à l’homme en costume de Godzilla (1954). Le résultat est visuellement saisissant et s’inscrit pleinement dans la tradition des monstres cultes d’Universal et de la Hammer. Se confronter à un tel héritage en 2025 est donc une entreprise ambitieuse pour Jan Kounen, qui retrouve ici Jean Dujardin près de vingt ans après 99 Francs.

Un homme à la hauteur ?

Ce n’est pas la première fois que Jean Dujardin voit sa taille diminuer à l’écran, mais cette adaptation de L’Homme qui rétrécit ne flirte plus avec la comédie romantique. Il incarne ici Paul, un architecte qui semble frappé d’une malédiction après avoir traversé un phénomène météorologique en mer. Dès les premières scènes, il est fréquemment piégé dans des plans larges, signe annonciateur de son effacement progressif face à l’immensité du monde et du cosmos.

On sent cependant chez Kounen une certaine précipitation : une volonté de faire descendre rapidement son héros dans la cave – lieu symbolique où se joue le cœur du récit, entre tourments et révélations. Paul disparaît brutalement de sa vie professionnelle et familiale, pour se confronter à l’isolement. Plus qu’un survival, le film choisit de s’attarder sur son voyage intérieur. La fable existentielle prend le pas sur le récit fantastique dès l’apparition des premiers symptômes du rétrécissement.

Les personnages de Marie-Josée Croze et de Daphné Richard sont progressivement laissés en hors-champ, comme le fit volontairement Jack Arnold avec la fille du héros. Leur présence, bien que fugace, renforce la détresse de Paul, qui cherche désespérément à « rester visible pour les siens ». Toute la première partie du film dessine ainsi ce que Paul va perdre au fil de son aventure solitaire, sans pour autant jouer sur sa réaction face à ce deuil irréversible. Aucune science ne peut renverser sa condition. Confiné dans sa maison, puis dans une maison de poupée, il se retrouve bientôt relégué dans une pièce oubliée de tous, où il tente de survivre.

Face à l’hostilité de son propre monde, Paul réagit d’abord avec stupeur, puis finit par céder à ses instincts les plus primitifs. Ce qui le conduit à faire la paix avec ce qu’il croyait savoir de la condition humaine.

Plongée dans l’infiniment petit

Commence alors une immersion saisissante dans l’immensité du quotidien : des éléments de décor surdimensionnés, des maquettes, des effets de perspective qui renforcent le sentiment de vertige. À mesure que Paul rétrécit, le monde grandit. Tout devient obstacle. La déshumanisation le guette, comme s’il était peu à peu effacé de l’échelle sociale autant que physique. Le film d’animation de Jérémy Clapin, J’ai perdu mon corps, abordait aussi cette thématique.

A l’instar du roman, le film explore de manière philosophique l’infini, l’insignifiance, la petitesse humaine. Mais ici, le tout s’accompagne d’une accentuation du suspense, d’un certain goût pour l’horreur (notamment via la confrontation avec un chat, puis une araignée), et surtout d’un usage appuyé des effets spéciaux – à la fois pratiques et numériques – qui offrent au spectateur une expérience spectaculaire. Kounen et son équipe livrent une démonstration technique remarquable, là où les blockbusters hollywoodiens (comme Ant-Man) préfèrent le tout-numérique aseptisé.

Jean Dujardin, dans un registre plus physique, impressionne par sa justesse. Il parvient à rendre crédible une situation rocambolesque, en trouvant le ton juste entre tragédie intime et fantastique démesuré.

Un travail intéressant sur le son participe également à ce sentiment de vertige, en adoptant parfois le point de vue sensoriel du personnage. Dommage toutefois que cet effort soit régulièrement noyé sous les nappes mélodiques – un peu trop envahissantes – du piano d’Alexandre Desplat. Le rythme, haché par un chapitrage parfois artificiel, interrompt certains moments de contemplation ou d’abandon sensoriel, qui auraient mérité de s’étirer davantage.

Autre limite technique : l’usage du motion control – une caméra virtuelle censée accentuer les effets de changement d’échelle – peine à égaler l’efficacité d’une simple contre-plongée à hauteur de Paul. Malgré cela, quelques séquences parviennent à nous émerveiller : dans un aquarium, sous les étoiles… Autant d’instants suspendus qui traduisent la dimension spirituelle du récit.

Une fable métaphysique

Si tout n’est pas pleinement abouti, on ne peut nier les intentions du cinéaste, ni la qualité esthétique de l’ensemble. Le film ne brille pas seulement par ses moments de bravoure. Il garde à l’esprit la poésie des dernières pages du roman. Une approche certes pas nouvelle, mais sincère, qui débouche sur une conclusion aussi soignée qu’ouverte sur l’infini.

Comme son prédécesseur, L’Homme qui rétrécit version 2025 reste une série B de luxe : divertissante, ambitieuse, mais qui, paradoxalement, ne bouleverse pas autant qu’elle le pourrait. Le film n’invente rien, mais joue avec les outils visuels de son temps pour nous plonger dans une odyssée tragique, où l’humanité reprend sa place dans l’univers.

Une place infiniment petite. Et c’est précisément dans cette acceptation du néant que le héros trouve une forme de salut. Ce n’est pas une impasse, mais une issue. Une disparition choisie et assumée. Et c’est peut-être là que réside la véritable force du film, dans ce discours philosophique qui cumule les angoisses humaines pour mieux les transcender – en dépouillant Paul de tout ce qui faisait de lui un homme, un époux, un père, un employé, une proie… et, finalement, un souvenir. Un geste de cinéma qu’il convient de découvrir en salles malgré toutes les faiblesses qu’on lui trouve.

L’Homme qui rétrécit – bande-annonce

L’Homme qui rétrécit – fiche technique

Réalisation : Jan Kounen
Scénario : Jan Kounen et Christophe Deslandes, d’après le roman L’Homme qui rétrécit de Richard Matheson
Interprètes : Jean Dujardin, Marie-Josée Croze, Daphné Richard, Salim Talbi, Serge Swysen
Photographie : Christophe Nuyens
Montage : Anny Danché
Décors : Marie-Hélène Sulmoni
Costumes : Sybille Langh
Musique : Alexandre Desplat
Producteurs : Alain Goldman et Patrick Wachsberger
Sociétés de production : Pitchipoï Productions, uMedia
Pays de production : France, Belgique
Société de distribution : Universal Pictures International France
Durée : 1h39
Genre : Science-fiction, Aventure
Date de sortie : 22 octobre 2025

L’Homme qui rétrécit (2025) : le voyage intérieur
Note des lecteurs8 Notes
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Responsable Cinéma