Avec Les Meutes, Kamal Lazraq livre une plongée haletante dans les faubourgs de Casablanca. Dans un film qui reprend les codes du film noir, le réalisateur esquisse aussi le portrait de groupes en marge de la ville et de la société. Révélé à Cannes cette année, ce premier long-métrage prometteur a remporté le prix du jury de la sélection Un certain regard.
Voyage au bout de la nuit
Dans des quartiers de Casablanca gangrénés par le petit banditisme, Hassan et son fils Issam travaillent à l’occasion pour la pègre locale. Tout bascule lorsqu’au cours d’une mission, ils se rendent accidentellement coupables d’un meurtre. Du coucher au lever du jour, père et fils réalisent une odyssée à travers la ville, avec comme objectif de faire disparaître le corps avant l’aube. Le choix d’inscrire le récit dans un temps nocturne permet une immersion totale au cœur des activités clandestines des personnages: d’une station-service désaffectée à la maison opulente d’un riche client, un monde parallèle se dessine en marge des conventions, avec ses propres codes et dangers. La splendide photographie d’Amine Berrada, qui avait notamment réalisé celle de Banel et Adama, jette un éclairage flamboyant sur les visages des protagonistes, dont la peau se pare de nuances ocre contrastant avec la noirceur du décor. Ces teintes se doublent d’une dimension symbolique, notamment lorsqu’Hassan et Issam découvrent qu’ils ont commis un crime: la lumière rouge des phares imprime sur leurs visages la marque de leur culpabilité. La lueur douce du lever du jour dessine un contrepoint à cet éclairage accusateur, lorsqu’à la fin du film, Issam et son père se rincent à grande eau, se lavant ainsi symboliquement des péchés commis la veille.
Dogville
Le titre, Les Meutes, évoque la bestialité d’une horde de loups ou de chiens. Motif récurrent dans le film, la présence de ces derniers agit comme un miroir tendu à la violence des hommes. L’ouverture du film, un combat de chiens clandestin, préfigure la brutalité des affrontements auxquels nos protagonistes seront contraints d’assister. Les « meutes » évoquent aussi l’idée de clans, de groupes luttant pour leur survie; or c’est précisément ce que sont ces hordes d’hommes qui errent en périphérie de la ville, dans l’attente d’une mission. Kamal Lazraq file la métaphore jusqu’aux dernières images du film: au petit jour, des plans successifs donnent à voir des chiens solitaires, fouillant parmi les décombres ou les déchets aux portes de la ville. Véritable fil directeur tout au long du film, cette analogie ajoute une profondeur supplémentaire aux caïds que croisent Hassan et Issan au cours de leurs pérégrinations. Les Meutes brosse avec justesse le portrait d’une réalité sociale marquée par l’exclusion et la précarité, sans tomber dans le voyeurisme. Le choix d’acteurs non-professionnels ajoute notamment au réalisme sans fard du film: dans une interview, le réalisateur explique avoir choisi des acteurs au vécu proche de leur rôle. En résulte une interprétation réussie, nourrie et enrichie de l’expérience réelle des comédiens.
Père et fils
L’idée du scénario a germé dans l’esprit du réalisateur lors du casting de son court-métrage, Drari (2010). Le lien qui s’est créé entre deux acteurs au cours d’une improvisation a constitué un prélude à celui du père et du fils dans Les Meutes. Celui-ci est complexe et connaît des variations au cours du film: l’autorité viriliste du père est mise en crise par ses échecs successifs à rétablir la situation. Les rôles s’inversent: là où Hassan incarne un fatalisme résigné, Issam prône un retour au sang-froid et à la raison. Le pouvoir passe alors du père au fils, qui tente d’assurer la survie de la morale face à l’effondrement des principes de son père. La figure de la grand-mère incarne aussi, dans une moindre mesure, le respect des valeurs humaines fondamentales, au cours d’une fugace mais belle apparition. Puisant ses inspirations dans le néo-réalisme italien, le réalisateur fait d’individus marginaux des personnages tout en contrastes, qui fascinent à la manière des anti-héros pasoliniens. Kamal Lazraq signe avec Les Meutes une œuvre criante de vérité, qui augure de futures réussites pour ce cinéaste déjà remarquable.
Bande-annonce – Les Meutes
Synopsis du film : Dans les faubourgs populaires de Casablanca, Hassan et Issam, père et fils, tentent de survivre au jour le jour, enchaînant les petits trafics pour la pègre locale. Un soir, un homme qu’ils devaient kidnapper meurt accidentellement dans leur voiture. Hassan et Issam se retrouvent avec un cadavre à faire disparaître. Commence alors une longue nuit à travers les bas-fonds de la ville.
Fiche technique – Les Meutes
Réalisation Kamal Lazraq
Scénario Kamal Lazraq
Interprétation Ayoub Elaid (Issam), Abdellatif Masstouri (Hassan), Mohamed Hmimsa (L’homme muet), Abdellatif Lebkiri (Dib), Lahcen Zaimouzen (Larbi), Salah Bensalah (Jalil)
Directeur de la photo Amine Berrada
Production Barney Production
Bande originale P.R2B
Distribution Ad Vitam (France)
Durée 1h34
Genre Drame
Date de sortie 19 juillet 2023