Le désir de renaître est-il plus fort que celui de vivre ? Salim Kechiouche s’emploie à y répondre avec style, tout en clarifiant le revers que peut générer le syndrome de l’imposteur chez un homme qui avance sans considérer son passé. L’Enfant du paradis n’est sans doute pas l’entrée en matière la plus convaincante, mais sa démarche personnelle autour d’une rédemption partagée est tout ce qu’il y a de plus sincère dans ce premier long-métrage.
Synopsis : Après une traversée du désert dans sa carrière de comédien, Yazid voit enfin se profiler le bout du tunnel. Sobre depuis six mois, il veut prouver à Garance, sa nouvelle fiancée, et à Hassan, son fils de 16 ans, qu’il est maintenant un autre homme. Mais en quelques jours, ses vieux démons resurgissent et avec eux les souvenirs de son enfance en Algérie.
Repéré par Gaël Morel (A toute vitesse, Premières neiges, Le clan, Après lui), puis rapidement devenu boxeur pour François Ozon (Les amants criminels), sauveur-profiteur pour Raja Amari (Corps étranger), coureur de jupons pour Abdellatif Kechiche (Mektoub My Love : Canto Uno et Intermezzo), Salim Kechiouche a eu le loisir d’étendre sa palette de jeu avant de s’assurer une incursion en douceur aux commandes de son premier court-métrage, Nos Gènes. Il y dévoile un malaise social où la méfiance règne à l’égard d’une xénophobie ambiante. Sa polyvalence à enchaîner les prestations au théâtre, tout en assurant les allers et retours du petit au grand écran, lui a permis de se hisser précisément là où il le souhaitait depuis sa jeunesse. Il n’est donc pas difficile de croire en sa bonne volonté, à la vue d’une intrigue qui inspecte de près sa propre évolution professionnelle, ainsi que la trajectoire d’un ami acteur décédé auquel le titre lui est dédié.
Au royaume du purgatoire
Quel que soit le moyen de se mettre en valeur et de se mettre en avant, par le biais d’un public réceptif et empathique, Yazid poursuit brillamment sa carrière d’acteur au cinéma. Son self-control cache pourtant une douleur intense enfouie dans ses souvenirs. Qui remonte même jusqu’à son enfance, en témoignent ces vidéos d’archives personnelles du cinéaste qui entrecoupent de temps à autre une intrigue traversée par un deuil. Ce geste, onirique en apparence, sert de point d’ancrage au spectateur, car tout le monde se demande alors comment ce visage angélique s’est métamorphosé en une figure inquiétante, voire malveillante. Nous nous gardons d’en dévoiler la cause, car d’autres pistes méritent également d’être discutées.
En se donnant le rôle principal, Salim Kechiouche se duplique partiellement à l’écran. Il y projette une incompréhension liée à son métier, un travail où son corps se déforme et se reforme pour les besoins d’une scène. Il joue donc un rôle, physique et émotionnel, que son entourage confond parfois avec le personnage. Kechiouche nous raconte ainsi la vulnérabilité qui sépare l’acteur de son rôle, qui n’est ni une imitation, ni nécessairement un prolongement de soi. Une séquence de dispute conjugale vient astucieusement semer le doute dans les esprits, avant que le passé et la réalité ne rattrapent le héros déchu.
La réalité, la voici. Yazid est un homme divorcé qui bataille les horaires de garde de son fils Hassan (Hassan Alili), âgé de seize ans, avec son ex-femme Sara (Naidra Ayadi). Lorsqu’il y parvient, c’est entre deux répétitions avec sa compagne Garance (Nora Arnezeder) qu’il trouve du temps pour renouer avec la paternité qu’il ne semble pas prêt à assumer. Peut-être est-il encore trop proche, mentalement parlant, de l’enfant rêveur et curieux qui se tenait devant un caméscope. Malheureusement, ses proches gardent des cicatrices encore ouvertes de ses dernières dérives, qui l’ont améné à traîner dans tout un tas de boîtes de nuit, en espérant que le soleil ne se lève jamais. Mais depuis peu, c’est un homme respectable et responsable qui apparaît face à sa grand-mère, la matriarche qui a dû l’élever aux côtés de sa sœur Karimouche (Carima Amarouche). De l’amour, il n’en n’a pas manqué dans ce foyer, malgré le deuil d’une mère qu’il n’a pas tout à fait digéré.
En misant sur un cadrage serré sur les visages, le cinéaste laisse peu de place aux décors parisiens, que l’on peut déjà deviner comme invasifs et claustrophobiques. Son approche quasi documentaire appréhende ainsi la spontanéité des comédiens, qui doivent répéter les mêmes gestes jusqu’à leur entière satisfaction. Ajoutons à cela un travail rigoureux du compositeur Amine Bouhafa, dont l’enchaînement des notes ne manque pas de nous immerger dans une errance sensorielle efficace durant le dernier acte. Tous les soucis de Yazid sont ainsi condensés dans le corps dansant de Kechiouche, qui n’est là que pour exprimer une perte d’affection et pour souligner une planante mélancolie et une profonde solitude.
Rédemption, quête identitaire, intérêt de former un couple, réconciliation familiale. Ce sont autant de défis que d’obligations pour que Yazid puisse enfin expier ses péchés que son public attend. Son public, c’est bien entendu sa famille et ses amis qui, malgré leur soutien ou leurs avertissements, sont les témoins d’une chute inévitable. L’Enfant du paradis se place donc là, entre un hommage émouvant et un acte de réconciliation avec soi, une initiative que Salim Kechiouche croque avec plus ou moins d’intensité.
Bande-annonce : L’Enfant du paradis
Fiche technique : L’Enfant du paradis
Réalisation : Salim Kechiouche
Ingénieur du son : Seyo Kovo Sead
Scénario : Salim Kechiouche, Sami Zitouni, Amel Bedani
Directeur de la photographie : Jérémie Attard
Son : Saed Kovo
Montage : Luc Seugé
Musique originale : Amine Bouhafa
Régisseur général : Vincent Lecoeur
Producteurs délégués : Aurélie Turc, Chafik Laribia
Production : K-REC FILMS
Pays de production : France
Distribution France : La Vingt-Cinquième Heure Distribution
Durée : 1h12
Genre : Drame
Date de sortie : 6 décembre 2023