Sur un argument ténu et cependant profondément romanesque: l’usurpation de son identité sur Facebook, Armel Hostiou part à Kinshasa en quête de son double et livre un intrigant carnet de route.
« Nous vivons au Congo mais nos esprits sont ailleurs »
Faussement désinvolte et sincèrement drôle, faussement léger et vraiment passionnant, le vrai du faux nous plonge surtout dans l’esprit et l’aventure d’un homme intrigué, désireux de s’ouvrir à ce que le sort lui propose et met sur sa route.
C’est donc un voyage multiple et surprenant, un voyage en constante reprises et métamorphoses et pas nécessairement celui qui apparaît sous nos yeux, un voyage qui prend la forme d’une fable métaphysique.
Ici rien de spectaculaire, même l’intrigue se dénoue sous nos yeux presque incidemment et sans tension. Ce qui laisse un sentiment étrange et questionne. Que cherche vraiment Armel Hostiou ? Son usurpateur pour clore le faux compte Facebook et arrêter les arnaques, rencontrer une ville qui ne s’attrape jamais Kinshasa, se rencontrer lui-même, devenir un autre en l’occurrence devenir le faux ou faux ou plus véridiquement être solidaire des artistes et précaires de ce pays?
Nous sentons immédiatement que c’est la curiosité existentielle et le désir des histoires fantastiques qui guident la narration et va conduire le cinéaste davantage, qu’une vraie inquiétude sur le devenir de son identité clonée.
Dès l’abord le film adopte cette perspective flâneuse, intimiste, mélange incertain de (fausse)maladresse ou de récit pseudo-amateur se faisant le témoin (avec l’usage d’une voix-in inscrite dans le présent de la dramaturgie) des aléas et embarras du cinéaste.
La voix-in très posée et claire décrit les prémisses et attendus de son enquête : après la découverte par un ami d’un second compte facebook portant son nom avec sa vraie profession (cinéaste donc) et de vraies photos de lui et après un signalement à Facebook -qui considère que ce second compte ne semble pas un faux, le vrai Armel Hostiou est comme pris dans un sortilège et décide d’aller chercher la vérité de cette usurpation dans les entrailles de la ville fiévreuse de Kin. Le piège du vrai et du faux avec ses ressorts et simulacres infinis commence. Et c’est bien la trame la plus sûre du film avec comme conséquence ses digressions et accents les plus clownesques.
Sur place il trouve de l’aide en la personne de Sarah et Peter, les managers de la Résidence des artistes La vie est belle. Paré de ces deux acolytes, leurs astuces et combines, le cinéaste commence sa drôle d’enquête et va interroger un avocat.
Avec la parole de l’homme de loi nous comprenons la dimension résolument espiègle et ironique et la tournure absurde et spirituelle du film. Là où les mots du juriste auraient dû éclaircir et cerner franchement l’enquête, ceux-ci ouvrent au contraire des sentiers rocambolesques, diversifient les pistes tout en les opacifiant et les rejouant.
Qui cherche-t-on au juste? Un arnaqueur, un féticheur, un sorcier, un rebelle, un homme des forces négatives?
L’approche et les contours du documentaire s’offrent en absurdie : nous n’en savons rien. Et c’est ce non savoir qui -plus encore que les images -vient intriguer la matière narrative. A partir de là, le vrai du faux épouse une narration buissonnière et décalée, incertaine et transitoire, faite de bric et de broc à l’image des sculptures spontanées qui ornent les rues de Kinshasa et des interruptions dues aux pluies torrentielles qui s’abattent sur Kin.
Nous ne dévoilerons pas comment finalement Armel Hostiou retrouve son faux moi, personnage trouble et attachant, haut en couleur et manipulateur, musicien et artiste révolté, roi de la débrouille créative et affabulateur charmeur. Le film s’évade alors dans la vie de ce double et va tenter d’y trouver ses racines. Car c’est sans doute de cela dont souffre le vrai du faux: sur une idée forte, le réalisateur n’arrive pas à faire un film suffisamment fort ou enraciné dans cette ville, l’ensemble se cherchant trop en même temps qu’il cherche son sujet.
Il est vrai que cette recherche maladroite coïncide néanmoins avec le climat incertain de la ville, sa saison des pluies perturbant l’enquête d’Armel Houstiou et est voulu par celui-ci se construisant un personnage présent à l’écran d’enquêteur un peu clownesque et en retrait.
Surtout le vrai du faux nous questionne sur notre solidarité avec le fragile, le louche, l’indécision. L’auteur du faux profil devient dans la seconde partie personnage à part entière témoignant à visage découvert et révélant la mécanique de son trafic d’escroquerie aux casting(-toi dit-il en s’adressant au cinéaste, -tu es un jeune espoir, j’ai googlisé toute une liste de réalisateur).
Toutefois il manque l’ancrage plus durable et authentique dans la ville même de Kinshasa, quelque chose d’un souffle inspiré et interne qu’ont trouvé par exemple les films de Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav (auteurs du très fascinant Kongo) ou encore le flamboyant Système K de Renaud Barrault. La différence venant du fait que ces films sont faits comme de l’intérieur devenant cette terre chaotique et pulsative de Kin, là où le vrai du faux demeure plus anecdotique et observateur.
« Je suis avec Armel qui s’est fait pirater » dit son double et « A chaque minute il faut improviser, créer quitter la galère », ces mots du double donnent le leitmotiv de l’écriture : écouter le kairos des événements, leur versatilité ou leur impuissance et se laisser guider par ce fil conducteur devenu dans la seconde moitié du documentaire plus ferme, plus politique, plus résistant.
La quête du film se transforme alors en réflexion sociologique sur les atours des histoires et leur valeur de fausseté ou de véracité. Le vrai du faux a finalement cette finesse de nous rendre perplexe au point de se demander si tout n’était pas faux, si nous ne vivons pas dans l’ère de l’affabulation absolue comme mode d’existence pour survivre. Et nous gageons que son histoire perdurera dans nos mémoires.
Bande-annonce : Le vrai du faux
Fiche Technique : Le vrai du faux
Réalisation : Armel Hostiou
Avec : Cromix Onana Genda Cristo, Peter Shotsha Olela, Sarah Ndele
Image : Armel Hostiou, Elie Mbansing
Son : Amaury Arboun, Arnaud Marten
Montage Image : Mario Valero
Montage Son : Amaury Arboun
Etalonnage : Emile Cervia
Mixage : Gilles Benardeau
Laboratoire : Archipel Productions
Production : Bocalupo Films – Jasmina Sijercic
Distribution France : Météore Films
Sortie en France : 7 juin 2023