La Voix humaine est un court-métrage réalisé par Pedro Almodovar en langue anglaise. Par un langage aussi universel qu’Almodovarien, le réalisateur décrit la courte période d’enfermement d’une femme au bord de la crise de nerfs. Interprété par Tilda Swinton, ce personnage féminin rejoint la longue liste des femmes empêchées qui se rebellent, femmes que le réalisateur affectionne. Librement inspirée de la pièce de théâtre de Jean Cocteau, La Voix humaine est à découvrir en VOD depuis le 19 mars.
Monologue et émancipation
Dès 1985, Pedro Almodovar découvre la pièce de Jean Cocteau, La Voix humaine, et en est marqué à vie. Un an plus tard, en 1986, il ne tardera pas à l’inclure dans La loi du désir. Il s’agit en effet de la pièce qui est jouée sur scène dans le film. Plus tard, il inclura aussi la scène du lit brûlé dans Femmes au bord de la crise de nerf, où des valises sont aussi en attente de leur propriétaire. L’abandon devient alors créatif. L’œuvre d’Almodovar est ainsi traversée par ces fulgurances, ces clins d’œil. Bien qu’il tourne cette fois-ci, et pour la toute première fois, en anglais, Almodovar n’oublie rien de son langage cinématographique. Ainsi, le film s’ouvre sur une robe rouge portée par une femme qui déjà se déploie, occupe l’espace. L’instant d’après, c’est en noir que la femme nous regarde droit dans les yeux. Le décor ressemble à un entrepôt, quelque chose de non naturel. Bientôt, c’est le générique qui s’inscrit à l’écran, en lettres faites d’outils. Nous sommes sans aucun doute dans le fabriqué, le faux qui pourtant construit de vrais sentiments, même exacerbés.
Liberté dans l’enfermement
Le film nous plonge ensuite dans l’unique scène en dehors de l’appartement qui fait du court un huis clos. Une femme, toujours flamboyante, achète une hache. Déjà, le suspens s’invite à nous. Par la musique d’abord, le jeu des acteurs, mais aussi notre habitude. Chez Almodovar, les femmes n’hésitent pas à se débarrasser des amants encombrants. Point de femme soumise ici, comme elle l’était plus ou moins dans la pièce originelle de Cocteau; mais une femme « moderne ». Une femme libre qui fait ses propres choix. En effet, Almodovar offre une issue à ses personnages, il n’est pas question ici d’être physiquement attachée, et surtout il est question de couper les liens psychologiques. Si bien que comme Almodovar le dit lui même, son personnage atteindra « l’autonomie morale ». Une capacité à choisir ou non de sombrer dans la folie. Car, parlant au téléphone avec son amant qui ne vient pas chercher ses valises, la femme du film passe par toutes les émotions.
L’envers du décor
Dans ce propret appartement qui se révèle décor de cinéma, tout est maîtrisé par notre personnage. On ne sait d’ailleurs pas à qui elle s’adresse puisque l’on n’entend pas l’autre voix. Est-ce un monologue, ce que la femme s’imagine dire mais qu’elle ne prononcera jamais? Se sait-elle réellement écoutée, observée (puisqu’il est question que son amant voit l’endroit où elle se trouve) ou joue-t-elle un avant goût de la scène qui l’attend ? L’impression du monologue est renforcée par cet appel passé à l’aide d’écouteurs sans fil. La femme est donc libre de ses mouvements, de laisser s’exprimer son corps autant que sa parole. Elle a tout l’espace pour elle et l’arpente. La seule réaction qu’elle observe est celle d’un chien qui se désintéresse d’abord d’elle avant de former un véritable duo. Comme la preuve qu’il est possible de changer de perspective.
Points de vue
Ce changement permanent de perspective est induit par la mise en scène. Toujours colorée et inventive, la caméra de Pedro Almodovar ne se pose jamais. Tantôt au cœur du décor, tantôt dans l’envers, les angles changent au gré des nuances du discours empruntées par le personnage. Tout est donc fabriqué, mais c’est pourtant un cheminement qui se dessine, un dialogue amoureux qui devient un dialogue amical avec un compagnon à quatre pattes. Le glissement se fait petit à petit pour qu’Almodovar puisse faire dire à son personnage « je dois apprendre à dire au revoir ». C’est tout un art du détachement, de l’émancipation que l’œuvre du réalisateur espagnol n’a pas fini d’explorer. Quelle que soit la langue utilisée, l’actrice Tilda Swinton, comme d’autres avant elle, devient une muse almodovarienne sans s’enfermer pour autant dans ce schéma. Elle co-construit le film avec un réalisateur qui se nourrit des désirs de chacun pour projeter les siens dans un monde rêvé où l’on fait enfin ses propres choix.
La voix d’une actrice
Dans ce décor de cinéma ouvert de toutes parts, où le feu exprime la rage et la liberté, Almodovar donne à son personnage la capacité d’être enfin le metteur en scène de sa propre vie. Et ce, en utilisant le corps comme le symbole d’un horizon qui s’agrandit peu à peu avec une caméra qui ne cesse de suggérer le mouvement même dans l’enfermement apparent du personnage autant mental que physique, enfermement qu’il ne va pas cesser de faire voler en éclat. Le format court convient parfaitement à cette histoire, cette voix humaine maintes fois adaptée, notamment par Rosselini en 1948. Avec Tilda Swinton et son look d’enfer, le réalisateur dépoussière tout, s’adapte au monde qui l’entoure sans chercher à « faire moderne ». Une grande réussite qui fait rêver au prochain long métrage du metteur en scène, pourquoi pas avec Tilda Swinton une nouvelle fois. Pedro Almodovar (comme il l’explique dans l’interview qui accompagne le court métrage) aurait un jour commencé à écrire un film qui portrait pour titre Matilda, les choses pourraient donc peut-être se concrétiser un jour. Il est permis de rêver !
La Voix humaine : Bande annonce
Fiche technique : La Voix humaine
Réalisation : Pedro Almodovar
Scénario : Pedro Almodovar, librement inspiré de l’œuvre de Jean Cocteau
Interprète : Tilda Swinton
Photographie : José Luis Alcaine
Montage : Teresa Font
Production: El Deseo
Distributeur: Pathé
Date de sortie (VOD) : 19 mars 2021
Durée : 29 minutes
Genre: Drame
Espagne – 2020