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La Lune de Jupiter, beaucoup d’acrobaties pour pas grand chose

Avec La Lune de Jupiter, le réalisateur hongrois Kornél Mundruczó réutilise la recette qui avait marché avec son précédent film White God, à savoir mélanger un récit réaliste et social avec une dimension fantastique. Un exercice pour lequel le cinéaste préfère s’attarder sur la forme plutôt que le fond.

Depuis quelques années, le formaliste Kornél Mundruczó devient petit à petit une coqueluche des festivals internationaux. Ayant marqué les esprits avec White God en 2014 qui faisait miroiter les maux de la société au travers des yeux d’un chien, il était reparti de Cannes avec le prix de la sélection un Certain Regard et du Festival Européen du film Fantastique de Strasbourg avec l’Octopus d’or. Rebelote 3 ans après, avec La Lune de Jupiter le voilà en compétition officielle à Cannes, en compétition au FEFFS et à l’Étrange Festival d’où il repartira avec le Grand Prix. Une nouvelle fois, le cinéaste hongrois va utiliser le cinéma de genre afin de faire passer un message sociétal. Comme le titre l’indique, c’est l’Europe qui sera cette-fois ci prise pour cible par Mundruczó. En effet, Europe est l’un des 69 satellites (ou lunes) de la gigantesque planète Jupiter. S’intéressant à la crise migratoire qui secoue le continent depuis quelques années, Mundruczó  va conter le destin d’un jeune immigrant qui se retrouve, après s’être fait tirer dessus, avec la faculté de léviter.

la-lune-de-jupiter-merab-ninidzeDès le départ, Mundruczó plante le contexte particulièrement dur dans lequel va se dérouler son histoire. L’ouverture du film est certainement la séquence la plus réussie, et la plus impressionnante du film. Nous suivons un groupe de migrants à leur arrivée en Hongrie qui commence à se faire prendre en chasse par les autorités. Ce long plan-séquence résume à lui tout seul la situation actuelle que l’on retrouve en Europe, et la difficile condition de migrants. L’un d’eux, le jeune Aryan, se fait tirer dessus et se découvre la capacité de léviter. La mise en scène de Mundruczó  va alors s’envoler en compagnie du jeune homme afin d’en mettre plein les yeux aux spectateurs, incorporant avec aisance son imagerie fantastique dans un récit des plus réalistes. Malheureusement malgré ce départ saisissant, le reste de l’affaire ne sera pas aussi reluisant. En effet, Mundruczó  va accumuler de nombreux faux pas et cela va clairement atténuer le message de son entreprise.

Ce genre de projet est assez casse-gueule, et l’on peut très vite tomber dans du misérabilisme ou du manichéisme. Après que le pouvoir particulier de Aryan ait été découvert par le docteur Stern, celui-ci va alors transformer son patient en véritable bête de foire, le faisant exécuter ses tours mirobolants devant la petite bourgeoisie. À côté de cela, un inspecteur de la police se met en chasse de Aryan, le pensant relié à une série d’attentats qui ont été commis. Rien qu’à lire ces petites descriptions de l’histoire, on voit les facilités dans lesquelles va tomber Mundruczó. Si la façon dont Stern utilise Aryan arrive à mettre en avant un certain égoïsme et opportunisme de la société européenne (même si ironiquement, c’est un peu ce que fait Mundruczó lui-même), le manichéisme à peine dilué du film rend le tout assez lourd. Hormis le personnage de Stern, qui semble être un bienfaiteur mais qui ne manque pas de se faire un peu d’oseille sur le dos du pauvre Aryan, le reste des personnages manque clairement de nuance. Entre l’inspecteur très méchant qui pense que tous les migrants sont des terroristes et le jeune migrant innocent qui n’a rien demandé à personne et qui se fait mener en bateau, Mundruczó n’a pas cherché très longtemps à développer ses personnages. Cette subtilité inexistante amoindrit clairement le message du film, d’autant plus que Mundruczó  y incorpore une dimension christique qui semble être la seule issue pour le migrant.

la-lune-de-jupiter-film-zsombor-jeger-critique-cinema-movie-2017-jupiters-moonMalgré tout cela, La Lune de Jupiter est loin d’être un film honteux. S’il pêche sur le fond, il peut se rattraper au niveau de la forme. Mundruczó avait déjà démontré dans ses précédentes œuvres tout l’intérêt qu’il portait à la mise en scène et ici il va s’en donner à cœur joie. Outre le plan séquence d’ouverture déjà évoqué, ce sont bien évidemment toutes ces séquences de lévitation qui marqueront les esprits. Avec sa caméra qui s’envole, qui tourne sur son axe, qui se retrouve à l’envers, Mundruczó multiplie les acrobaties. Le cinéaste hongrois en fait peut-être même un peu trop, quitte à se regarder filmer et préférant enchaîner les tours de forces formels plutôt que d’approfondir son récit. Plutôt amusant d’ailleurs de voir la facilité avec laquelle Mundruczó arrive à enchaîner les plans ahurissants, mais galère à synchroniser le doublage de Merab Ninidze, au point de se demander parfois s’il ne s’agit pas d’une voix off qui  parle pour le docteur Stern.

Bilan mitigé donc pour La Lune de Jupiter qui n’arrive pas à transcender son sujet en or, Mundruczó accumulant les démonstrations techniques plutôt que d’offrir une véritable densité à son histoire. Reste que les fameuses séquences de lévitations s’imprimeront sur la rétine du spectateur à défaut de retenir quelque chose d’autre.

La Lune de Jupiter – Bande-Annonce

La Lune de Jupiter – Fiche Technique

Réalisateur : Kornél Mundruczó
Avec Merab Ninidze, Zsombor Jéger, György Cserhalmi, Monika Balsai
Scénariste : Kornél Mundruczó  et Kata Weber
Compositeur : Jed Kurzel
Directeur de la photographie : Marcell Rév
Monteur : David Jancso
Genres : Drame, Fantastique
Date de sortie : 22 novembre 2017
Durée : 2h 03 min

Hongrie – 2017