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La Hija de Todas las Rabias : félons et félines

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

Il n’y a parfois qu’un pas entre le rêve et la réalité. Et si on assimile le cauchemar dans l’équation, il ne reste que peu d’espoirs pour vivre heureux. La Hija de Todas las Rabias se situe alors quelque part dans cette zone d’incertitude, à l’image du Nicaragua, pays dont les changements sociaux et politiques se résument à La Chureca, une gigantesque décharge à ciel ouvert. Le lien mère-fille suffira-t-il pour trouver un peu de lumière dans ce portrait disgracieux d’un monde qui les rejette ?

Synopsis : Maria et sa mère Lilibeth vivent dans la précarité au bord de la plus grande décharge du Nicaragua. Un jour, la petite fille ne voit plus sa mère revenir. Elle entame un dialogue avec un nouvel ami, Tadeo, qui l’aidera à dépasser sa peur et sa rage. À travers la magie des rêves, elle cherchera à retrouver Lilibeth.

Le centre du monde n’est pas toujours celui que l’on croit. Laura Baumeister de Montis pose une réflexion autour de l’humanité et sa précarité dans le monde qu’elle a elle-même bâti. Au détour d’un podcast apaisant qu’une jeune enfant écoute pour s’évader de son quotidien, le premier long-métrage de la cinéaste nicaraguayenne développe un conte social moderne dans un dédale de déchets ménagers et humains.

Le monde d’après

Aux allures d’une photographie qui rappellerait presque les westerns de Sergio Leone, c’est une ambulance qui nous accueille à l’ouverture, alimentant davantage La Chureca. Il n’en faut pas plus pour saisir la portée du rituel particulier qui s’ensuit. Des enfants se réveillent dans les alentours et attendent ainsi chaque matin que des convoyeurs déchargent leurs déchets, espérant ainsi récolter les miettes de ceux qui sont déjà bien rassasiés. Il s’agit du monde d’après, du monde des restes. Gorgés d’une aura fantastique, voire post-apocalyptique par endroits, les travellings nous dévoilent les contours disgracieux d’un paysage insalubre pour l’homme et les animaux, dont le destin est partagé. De nombreux bidonvilles ont été portés à l’écran pour décréter le même état d’urgence, mais cette observation constitue avant tout la toile de fond d’une relation mère-fille en péril.

Laura Baumeister laisse la crise des déchets en arrière-plan, afin de mieux servir le récit d’émancipation de la jeune Maria, enfant chétive et au caractère bien trempé. Son foyer est bâti avec le recyclage des déchets et ces mêmes ordures, une fois triées, sont troquées pour une poignée de córdobas, la monnaie locale. Seule, sa mère Lilibeth (Virginia Raquel Sevilla Garcia) se bat ainsi tous les jours pour sa fille, dont l’affection particulière qu’elle porte aux chiots lui vaut mille embarras. Ne sachant ni lire ni écrire, il ne lui reste plus que l’imagination pour enrichir sa zone de confort. Sa connexion avec sa mère est si sincère qu’on en oublie temporairement le caractère indésirable de l’enfant. Du moins, jusqu’à ce que la goutte de trop bouleverse cet équilibre familial.

Ode à la maternité

Ara Alejandra Medal est une précieuse découverte dans ce rôle, car la caméra n’hésite pas à confronter le monde à sa hauteur. Les adultes sont ainsi vus comme des agresseurs ou des manipulateurs, notamment du côté de la gent masculine. Les autres femmes semblent garder cet instinct maternel et les analogies s’empilent suffisamment pour que l’on ne s’y trompe pas. Une chienne et sa portée de chiots ou une poule couvant son œuf, il y a de l’amour même dans cet univers étroit et hostile. De cette manière, le film nous tend constamment la main lorsque Maria se sent coincée. Elle retombe toujours sur ses pattes, malgré la soudaine disparition de sa mère, de son point de chute, de son soutien émotionnel, de ses racines, de tout. Réapprendre à vivre n’est pas une chose aisée, mais cela fait partie de son voyage. Sa volonté la pousse cependant à ne pas tomber sous le joug des adultes, notamment lorsque l’on découvre l’exploitation d’enfants de son âge, qui semblent avoir capitulé et accepté leur sort, qu’ils soient en pleine forme ou qui vivent trop près de substances chimiques toxiques.

Et lorsque l’inévitable question de la mort s’impose, Maria n’en a que faire de son monde mis à feu et à sang. Elle reste optimiste et rêveuse, ne cache pas ses émotions et surtout ses accès de rage, elle est d’une nature spontanée que l’on a envie d’encourager quels que soient les obstacles. Elle ne mord pas, elle ne griffe pas, mais elle est suffisamment vaillante pour se défendre. Des instants oniriques viennent constamment apaiser l’esprit de l’héroïne, pour qui c’est le début de la vie, pour qui il est essentiel de grandir rapidement. Lors d’une séquence où la mise à mort est théâtralisée par la jeunesse, on comprend qu’elle s’est implantée dans l’inconscient collectif et qu’il ne reste plus qu’une personne à convaincre. Nul besoin de jouer sur la terreur pour ce faire. Peut-être bien que cette révolution en hors champ est une occasion en or pour tout reconstruire et repartir à zéro.

Moins graveleux que Wendy, de Benh Zeitlin, découvrant le Neverland et ses « grands enfants » perdues, Baumeister s’inspire de Les Bêtes du sud sauvage du même réalisateur et de Nobody Knows d’Hirokazu Kore-eda pour sa dernière partie. Comment substituer la parentalité ou comment y renoncer ? Ce sont des interrogations d’actualité pour la majorité des enfants du Nicaragua, en défaut de maternité. On peut également en voir une esquisse dans Isabel In Winter, un court-métrage que la cinéaste a présenté à la Semaine de la Critique en 2014.

Ce cinquième film de fiction de l’histoire du pays montre que le cinéma est un intermédiaire redoutable entre l’imaginaire et la réalité. Plein de poésie et de positivité, La Hija de Todas las Rabias brosse le portrait d’enfants livrés à eux-mêmes et qui jouent actuellement leur avenir. S’il est simplement question des déchets, le documentaire de Martin Esposito, Super Trash, remonte très bien jusqu’aux dérives de la surconsommation, mais la question qui nous préoccupe ici, c’est le deuil de la maternité et la réconciliation d’une jeune fille avec la vie. Un petit conte surprenant et d’une grande sensibilité !

Bande-annonce : La Hija de Todas las Rabias

Fiche technique : La Hija de Todas las Rabias

Réalisation & Scénario : Laura Baumeister de Montis
Photographie : Teresa Kuhn
Décors : Marcela Gómez Montoya
Costumes : Bea Lantán
Maquillage : Eva Ravina
Casting : Diana Sedano
Montage : Julián Sarmiento, Raúl Barreras
Son : Lena Esquenazi
Musique : Para One, Arthur Simonini
Étalonnage : Peter Barnaers
Post-production : avier Velasquez, Daan Janssen
Production : Felipa Films, Marthfilms
Pays de production : Nicaragua, Mexique, Pays-Bas, France, Espagne, Allemagne
Distribution France : Tamasa Distribution
Durée : 1h31
Genre : Drame
Date de sortie : 13 septembre 2023

La Hija de Todas las Rabias : félons et félines
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