emmanuelle-critique-film-cinema

Emmanuelle d’Audrey Diwan : c’est nue qu’elle apprend la vertu

Sévan Lesaffre Critique cinéma LeMagduCiné

Après Mais vous êtes fous et L’Événement, Audrey Diwan propose un remake raté du film érotique de Just Jaeckin avec une Noémie Merlant en beauté glaciale et monolithique dans l’iconique rôle-titre tenu par Sylvia Kristel en 1974. Ici, l’intime quête prétendument féministe du désir éteint d’Emmanuelle se traduit par une masturbation cérébrale qui tourne à vide et laisse un goût d’inachevé. En outre, les badinages bavards, les molles séductions et les rythmes lascifs figent et parasitent la mise en scène à tous les niveaux.

Emmanuelle s’ouvre sur une scène de sexe située dans les toilettes étriquées et inconfortables d’un avion, chorégraphie aussi mécanique qu’engourdie qui vient d’emblée troubler le spectateur. Quelques fondus enchaînés plus tard, l’inspectrice hôtelière en voyage d’affaires arrive à destination. L’œil triste, elle arpente langoureusement les vastes couloirs du Rosefield Palace, lieu froid et impersonnel, sorte de paradis inanimé qu’elle va devoir passer au crible. Comme nous, Emmanuelle s’ennuie profondément. Célibataire débridée guettant sa prochaine proie, cherchant désespérément un contact, un regard posé sur elle, la jeune femme prête l’oreille, s’immisce l’air de rien dans les conversations frivoles de la clientèle, flirte avec des couples échangistes et s’engouffre sourire aux lèvres dans le grand ascenseur réservé aux riches qui doit la mener au septième ciel, impératif de verticalité appuyant une représentation poussive de la bourgeoise libertine. Les hommes défilent mais celui qu’elle pourchasse se refuse étrangement à elle. Certains soirs, la carte qui donne accès à la suite nuptiale se démagnétise. Vidés eux aussi de toute leur substance, les badinages bavards s’acharnent alors à détourner Emmanuelle de sa monotone mission de contrôleuse qualité : trouver la minuscule faille qui fera bientôt s’écrouler l’ossature branlante du château de cartes spectral où rien ne dépasse.

Car, oui, tout est en ordre. Dès les premiers plans, s’imprime cet envahissant miroir, omniprésent motif dialectique qui ne reflète rien d’autre que le jeu raide, glacial et monolithique de Noémie Merlant, lasse de monologuer avec un dictaphone comme tout auditeur, exténuée de s’adonner à des rituels de masturbation stériles devant son misérable smartphone. Il y a aussi cette sensualité supposée de la caresse de l’eau dans une baignoire immaculée, inondée d’un insaisissable désir en huis clos. Certes, les écrans de surveillance et les immenses vitres du lounge bar agissent comme autant de fenêtres salvatrices qui ouvrent sur un ailleurs illicite, paysage désincarné que sont ici les bas-fonds étouffants de Hong-Kong. Mais la mise en scène lancinante d’Audrey Diwan demeure figée et n’aboutit pas. Le champagne mousse dans les flûtes. Les lotus fanent. La flamme du briquet vacille. À l’intérieur de la chambre aseptisée, le lit reste terriblement vide tandis que les nudes artificielles d’Emmanuelle s’amoncellent dans la galerie photo. Dehors, la tempête gronde. Hélas, l’érotisme chic qui cherche à émaner de ce luxueux décor mâtiné d’un mystère oriental très codifié s’émousse, n’enclenche aucune perversité sulfureuse et ne génère en somme que de la frustration. Quelle n’est d’ailleurs pas la déception de l’héroïne lorsque, lors d’une escapade nocturne tant attendue — le trajet en taxi et le mot de passe ne sont pas sans rappeler Eyes Wide Shut —, cette dernière, vêtue d’une robe de satin rouge digne de la femme fatale des plus grands polars, s’aperçoit que la porte du club privé qu’elle a tant rêvé de franchir ne conduit en réalité qu’à un salon de mahjong miteux. En outre, le contraste saillant entre l’esthétique irréprochable de l’hôtellerie de luxe et l’underground poisseux de la capitale n’intéressent pas réellement la réalisatrice, souvent absente, passive, tapie dans cette obscurité charnelle qui infecte à la fois le récit et l’image. Si la photographie emprunte volontiers à Wong Kar-wai la lumière crépusculaire d’In the Mood for Love, le spectacle corporel s’en tient à une espèce de misère sexuelle gênante, sombre et performative, qui, quelque part entre escorting, voyeurisme et jeu de rôles pornos, s’autorise toutes les outrances obsolètes et entre en brutale contradiction avec les questionnements féministes post #MeToo abordés en vrac (Comment combler ses désirs les plus enfouis ? Assouvir ses fantasmes ? Se réapproprier son corps ?).

Jouant avec les codes du thriller psychologique sans pour autant maîtriser son climax, le film a des allures de séance d’hypnose ou plutôt de marche funèbre, celle d’une poupée en porcelaine fantasmée qui doit inéluctablement quitter la façade reluisante et le confort cinq étoiles de son palais glacé, afin d’affronter la moiteur de la rue et, enfin, de conquérir, au beau milieu d’un ghetto impénétrable, un « nouvel » orgasme triangulaire. Il n’y a ni tendresse ni dopamine dans cette représentation tordue et lourde d’ambiguïtés de la femme contemporaine, architecte aliénée d’une logistique labyrinthique qui la dépasse complètement, laquelle s’efforce par tous les moyens de bousculer les rapports de domination mais n’y parvient jamais. En effet, cette Emmanuelle alanguie et animale jette des regards de biche perdue ; elle préfère se regarder le nombril, ou plus précisément, contempler la disgracieuse ecchymose imprimée sur sa hanche blanche comme neige par la cadence inhumaine et insoutenable du rapport sexuel introductif, tout en obéissant sagement aux instructions abstraites de son patron invisible, dissimulé derrière un écran d’ordinateur. Le male-gaze a donc encore de beaux jours devant lui.. 

Sévan Lesaffre

Bande-annonce

Synopsis : Emmanuelle est en quête d’un plaisir perdu. Elle s’envole seule à Hong Kong, pour un voyage professionnel. Dans cette ville-monde sensuelle, elle multiplie les expériences et fait la rencontre de Kei, un homme qui ne cesse de lui échapper.

Emmanuelle – Fiche technique

Réalisation et scénario : Audrey Diwan et Rebecca Zlotowski d’après le roman éponyme d’Emmanuelle Arsan
Avec : Noémie Merlant, Will Sharpe, Naomi Watts, Chacha Huang, Jamie Campbell Bower, Anthony Wong, Harrison Arevalo…
Production : Reginal De Guillebon, Marion Delord, Edouard Weil, Brahim Chioua, Vincent Maraval, Livia Van Der Stayy, Laurence Clerc
Photographie : Laurent Tanguy
Montage : Pauline Gaillard
Décors : Katia Wyszkop
Costumes : Jürgen Döring
Musique : Evgueni et Sacha Galperine
Distributeur : Pathé
Durée : 1h45
Genre : Drame érotique
Sortie : 25 septembre 2024

Note des lecteurs0 Note
2
Critique cinéma LeMagduCiné