Olivier Assayas aime les idées, les théories, le fait de faire vivre la pensée, ce qui émane de Doubles vies, ces longues logorrhées entre adultes, ces discussions entre penseurs autour d’un bon verre de vin. Mais derrière ces dialogues parfois ciselés sur l’avènement du numérique et notre manière de consommer et d’apprécier l’art en général, Doubles Vies manque irrémédiablement de verve ou d’impulsion dramatique voire même pratique pour charmer au maximum.
Le cinéaste semble parfois plus prompt à nous asséner son discours qui voit d’un mauvais œil la démocratisation du monde littéraire et du monde de la critique en général, qu’à nous raconter une histoire ou des enjeux. C’est intéressant, voire hypocrite, de voir un film qui ne cesse de se questionner sur les méfaits et les bénéfices de la modernité tout en épousant des formes classiques voire un brin poussiéreuses de la comédie à la française avec ces histoires d’adultères, ces personnages bien cloisonnés dans leur rôle précis – notamment les rôles masculins – et écrits au marteau-piqueur.
Les rôles féminins, s’avèrent eux plus amples, plus souples à l’image du personnage incarné par Nora Hamzawi, une parlementaire compressée par son travail, mais est l’une des seules, qui arrive à se détacher des poncifs de salon pour amener une certaine forme d’étincelles. Pourtant, Doubles Vies, est loin d’être un spectacle imbuvable, qui aimerait se regarder le nombril pour juger d’autrui, mais au contraire, il aime aussi se questionner et remettre en question l’art et sa gestion de la moralité. La logique de ses longs dialogues s’installe d’elle même, Assayas ayant une certaine forme de mépris, pour les réseaux sociaux et leur déluge d’avis instantanés, comme s’il s’obligeait à allonger les dialogues pour leur donner une contenance intellectuelle, autre. Cela donne droit à des débats qui jouent les équilibristes entre étalage de savoir tirant vers le sermon désincarné, et l’habillage verbal rafraîchissant et piquant.
Dans ce monde de l’édition en pleine ébullition, ce n’est pas qu’une question de support, mais c’est aussi le miroir de la société et une façon différente de lire un bouquin qui traverse l’esprit de nos personnages, à l’image de deux moments – un premier durant une interview radio et l’autre lors d’un question-réponse dans une libraire – où le personnage de Vincent Macaigne, écrivain détaché des nouvelles technologies, voit ses œuvres être confrontées à des débats sur des sujets autres que le fond du livre. Un peu comme si Assayas voyait d’un œil interloqué la pluralité des avis, et que des plateformes comme Twitter puissent être le moyen de faire véhiculer des jugements autres, comme celui de la moralité, ou la possibilité pour certains de donner une opinion rapide mais construite.
Et c’est parfois toute l’ambiguïté ou le manque de panache du film, qui semble parfois avoir « le cul entre deux chaises », à l’image de certains de ses personnages: le film n’a pas ou peu d’avis, mais « observe », sauf lorsqu’il faut égratigner cette notion galvaudée du divertissement et l’image désastreuse colportée aux séries. Voir ces personnages adorer communiquer de vives voies, se targuer du réel et de la superficialité des réseaux sociaux, et avoir peur du futur, mais se servir des nouvelles technologies pour mentir, se complaire dans l’adultère, et se créer des « doubles vies » – par le biais de Facebook par exemple – est assez passionnant et délicieux de misérabilisme. Dans ce marivaudage, cette comédie fine mais surplombée par ses errements rhétoriques, il n’y a bien que les talents d’acteurs de chacun qui amènent de la fluidité et de la compassion à une œuvre méritante, mais pas aussi profonde qu’elle aurait voulu.
Bande Annonce – Doubles Vies
Synopsis: Alain, la quarantaine, dirige une célèbre maison d’édition, où son ami Léonard, écrivain bohème publie ses romans. La femme d’Alain, Séléna, est la star d’une série télé populaire et Valérie, compagne de Leonard, assiste vaillamment un homme politique. Bien qu’ils soient amis de longue date, Alain s’apprête à refuser le nouveau manuscrit de Léonard… Les relations entre les deux couples, plus entrelacées qu’il n’y paraît, vont se compliquer.
Fiche Technique – Doubles Vies
Réalisation : Olivier Assayas
Scénario: Olivier Assayas
Casting: Guillaume Canet, Juliette Binoche, Vincent Macaigne, Nora Hamzawi
Distributeur (France) : Ad Vitam
Durée : 1h47
Genre : Comédie
Date de sortie : 16 janvier 2019
France – 2019