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La belle et la meute, guerrière parmi les loups

Gwennaëlle Masle Responsable Cinéma LeMagduCiné

Présenté au dernier Festival de Cannes dans la sélection Un certain regard, La Belle et la meute est le troisième long métrage de fiction de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania. Habituée aux expérimentations cinématographiques, elle fait de ce film une œuvre technique et critique à travers un véritable fait divers ayant remué le pays des années plus tôt. Une affaire de viol sur laquelle la victime s’exprime elle même dans le livre Coupable d’avoir été violée, point de départ du scénario.

synopsis : Lors d’une fête étudiante, Mariam, jeune Tunisienne, croise le regard de Youssef. Quelques heures plus tard, Mariam erre dans la rue en état de choc. Commence pour elle une longue nuit durant laquelle elle va devoir lutter pour le respect de ses droits et de sa dignité. Mais comment peut-on obtenir justice quand celle-ci se trouve du côté des bourreaux ? La Belle et la Meute

La Belle et la Meute est composé de neuf chapitres, sans titre mais qui chacun marque une courte pause afin de laisser au spectateur le temps de respirer quelques secondes avant de revenir dans cette lutte suffocante. La réalisatrice choisit de tourner chacune de ces parties en plan séquence et plonge le spectateur dans l’instant en restituant l’oppression de ce huis clos interminable. Caméra à l’épaule, au plus près des émotions de Mariam, victime du viol et interprétée par Mariam Al Ferjani, aucun décor incroyable ne vient apporter un quelconque objet de divertissement au public. Seuls couloirs et bureaux forment le cadre, les plans sont resserrés et quand ils ne le sont pas, ils illustrent la solitude de la jeune tunisienne au milieu de la ville ou des couloirs dans lesquels personne ne lui vient en aide. Les couleurs sont sombres, l’atmosphère lugubre, pesante, les tremblements et la respiration de Mariam donnent le rythme au récit qui nous saisit entièrement.

On voit là, la passion de Kaouther Ben Hania pour le cinéma dans son entité. D’abord, parce qu’elle raconte quelque chose et livre un message, en s’appuyant sur des faits qui plus est, sûrement dû à ses habitudes de documentariste ; mais surtout, parce qu’au delà de ça, elle prouve encore une fois qu’elle aime le cinéma pour ce qu’il est, pour son art et ses possibilités. Elle joue avec les codes qu’elle connaît si bien. En choisissant le plan séquence, elle s’impose elle même une difficulté qui n’aurait pas été nécessaire au film puisqu’elle y fait des ellipses intelligentes. Pourtant, ce choix est important dans ce qu’il dit de la souffrance du personnage. Techniquement, il n’est pas le procédé le plus rapide et le plus simple du cinéma. Au contraire, il demande du temps, de la patience, et de la qualité dans le jeu d’acteurs. Ici, il montre toute la lenteur de la procédure, l’enfer qu’a vécu cette femme pendant cette longue et interminable nuit ce qui se révèle accentuer la douleur et torturer le spectateur. À propos du jeu des acteurs, que l’on sait important lorsque l’on utilise une telle technique, il semble parfois relativement théâtral, ce qui enlève un peu de profondeur aux émotions mais donne un peu d’air et de distance au public, qui se retrouve oppressé la plupart du temps. Le jeu n’est pas maladroit, il sert surtout le film dans ces rares moments de répit.

Alors que le cinéma de Kaouther Ben Hania prend son inspiration dans son pays, la Tunisie ne sert qu’au contexte pour livrer un propos universel dans La Belle et la meute. Cependant, comme à son habitude, elle nous livre quelques récits sur la société tunisienne en dénonçant vivement le fonctionnement de la police. Replacé dans son contexte culturel, le film montre malgré tout l’évolution positive de la première démocratie arabe. Quelques années auparavant, il n’aurait jamais pu être distribué en Tunisie et aurait probablement subi de nombreuses censures, or aujourd’hui, une sortie est annoncée pour le mois de novembre. De plus, le Ministère de la Culture a contribué au financement du film, ce qui montre l’immense avancée dans la liberté d’expression du pays. De ce fait, il est plutôt regrettable que ces progrès ne soient pas du tout montrés dans le film qui ne livre que les aspects négatifs d’un pays où la corruption laisse beaucoup de séquelles. En effet, la réalisatrice ayant collaboré avec la vraie victime que cette affaire a touché, il aurait été judicieux de préciser à la fin du film le prolongement de cette enquête dans laquelle elle a eu gain de cause après deux années de combat puisque les coupables ont été condamné à 12 ans de prison. Kaouther Ben Hania livre alors sa vision pessimiste de la Tunisie en choisissant de montrer que l’injustice demeure là où elle a pourtant été rendue, bien que le débat peut largement rester ouvert sur les peines encourues. Sans minimiser la lutte et la lenteur scandaleuse du jugement, seulement un peu d’espoir et d’optimisme auraient été les bienvenus pour atténuer la douleur.

« N’abandonne pas tes droits. »

Cette phrase, elle revient à deux reprises et se place comme un élément essentiel du message livré par la cinéaste. Cette phrase, ce sont chacun leur tour, deux hommes qui la disent à Mariam. Ce qui peut sembler anodin dit comme ça a en fait toute son importance dans ce film qui, au lieu de placer tous les hommes en bête féroce, choisit d’en prendre deux comme alliés. Tout d’abord et par ordre d’importance, Youssef, le jeune tunisien avec qui elle était au moment des faits, qui nous fait douter un peu au début de son intention, mais qui devient la seule épaule capable d’aider et de se battre pour Mariam, quand elle n’en a pas la force. Si l’on peut penser au début qu’il utilise cette histoire de viol pour renverser la politique du pays sans une seule fois penser aux dommages psychologiques qu’est en train de subir la jeune fille, on se rend vite compte de sa bienveillance, parfois maladroite mais vitale à Mariam à ce moment là. Le film déjoue les clichés et les raccourcis terribles et faciles en plaçant un féminisme apaisé qui crache sur la cruauté de certains hommes sans pour autant nier l’humanité de certains autres. De plus, un autre homme aide Mariam et c’est sans doute celui qui fera tout changer en donnant la dernière note de courage dont elle avait besoin quand elle allait tout abandonner. Cela a d’autant plus d’ampleur qu’il est policier et semble en avoir à dire mais il se tait, durant presque tout le film, quand il pourrait changer les choses, il regarde, il laisse faire pour finir par exploser. Cette solidarité inversée est surprenante et révoltante d’une certaine manière puisque les femmes se défilent alors que le public s’attend à voir de la compassion de leur part. Des médecins à la policière, toutes l’abandonnent là où l’on imagine de l’aide et du soutien.

Les plans-séquences suivent autant le cours de l’affaire que l’évolution psychologique de cette femme qui se métamorphose en une nuit. De victime sous le choc, elle devient une combattante déterminée. De jeune femme, elle devient héroïne. Mariam trouve la force là où elle n’en avait plus. C’est sans doute en essuyant toutes les paroles misogynes et ignobles sur sa tenue et sur les femmes, qu’elle finit par mettre à profit toute la colère qui la submerge. À l’image de la jeunesse tunisienne qui s’élève, Mariam s’éveille et va livrer une bataille personnelle et politique. Avec un dernier plan fort en symbole, la réalisatrice achève le film en osant. En osant faire du voile une cape de super-héroïne. Au delà du féminisme apparent du film, La Belle et la meute parle de justice et marque les esprits à jamais à travers cette histoire.

La Belle et la Meute : Bande Annonce

La Belle et la Meute : Fiche Technique

Titre original : Aala Kaf Ifrit
Réalisation : Kaouther Ben Hania
Scénario : Kaouther Ben Hania
Interprètes : Mariam Al Ferjani, Ghanem Zrelli, Noomane Hamda, Mohamed Akkari, Chedly, Arfaoui Anissa Daoud, Mourad Gharsalli
Musique ; Amine Bouhafa
Image : Johan Holmquist
Montage : Nadia Ben Rachid
Décors : Moncef Hakouna
Costumes : Nedra Gribaa
Maquillage : Hajer Bouhawala
Producteurs délégués : Habib Attia, Nadim Cheikhrouha
Sociétés de production : Cinetelefilms, Tanit Films
Société de distribution : Jour 2 fête
Budget : 850 000 €
Durée : 100 minutes
Genre : drame, policier
Date de sortie : 18 octobre 2017

 

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