Dans Wildlife , le tout nouveau cinéaste Paul Dano scrute à la loupe la vie de sa petite faune, sans jugement aucun, et au contraire avec une empathie mélancolique très plaisante à suivre…
Synopsis : Dans les années 60, Joe, un adolescent de 14 ans regarde, impuissant, ses parents s’éloigner l’un de l’autre. Leur séparation marquera la fin de son enfance…
Itinéraire d’un enfant (pas) trop gâté
On savait bien que Paul Dano, s’il devait passer derrière la caméra, ne pouvait que réaliser un film de la facture de Wildlife : faussement simple et totalement à fleur de peau. L’acteur de 34 ans ( Little Miss Sunshine, There will be Blood, Prisoners, Love & Mercy, Okja pour les plus remarquables) ne fait que poursuivre avec ce premier film une trajectoire cohérente, faite de tous ces rôles de (jeune) homme habité, d’apparence calme et en dehors de son temps, mais d’un bouillonnement intérieur intense.
Tel est donc Wildlife : indolent et violent à la fois. Presque entièrement filmé du point de vue de cet adolescent qui pourrait être l’alter ego du cinéaste, Joe Brinson (Ed Oxenbould), même pas la quinzaine, dans la sidération permanente face à son père Jerry (Jake Gyllenhaal), sa mère Jeannette (Carey Mulligan), et le couple de ses parents qui se désagrègent sous ses yeux. Situé dans les années Soixante, à Great Falls dans le Montana, autant dire au bout du monde, basé sur le livre du même nom de Richard Ford, le scénario de Wildlife pourrait se résumer à cela, un adolescent impuissant et malheureux face à des adultes impuissants et malheureux. Mais évidemment, il y a beaucoup plus dans le premier film de Paul Dano.
Le roman lui-même est écrit du point de vue du jeune narrateur Joe Brinson. Richard Ford, l’héritier en ligne direct de Faulkner, a une prose foisonnante, truffée de détails. Ce ne sera pas le cas du film de Paul Dano qui s’intéresse davantage aux personnages qu’aux situations et aux détails. La famille Brinson illustre la Middle-Class américaine d’après-guerre, pas vraiment prospère, plutôt à la limite de la pauvreté. Jerry est un homme révolté, sans que Dano n’explicite vraiment tout à fait pourquoi, et quand il perd son travail de modeste moniteur de golf, Joe -et le spectateur- le voit sombrer dans une colère et une dépression sur lesquelles personne n’a prise, liées sans doute à l’évanouissement de l’American Dream qu’il pensait réaliser ici dans le Montana. Cette prise impossible, et malgré les supplications de sa femme, il va la combattre en partant comme pompier volontaire pour tenter de dompter les grands incendies du Montana. Le film est d’une simplicité et d’une précision implacable en terme de mise en scène, et la cinématographie (celle du mexicain Diego Garcia, le chef opérateur du très beau Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul) est à l’avenant, toute en lumière et couleurs naturelles, avec des cadrages au cordeau.
Quand le père se sauve littéralement, au grand désarroi de Joe, la mère entre sur le devant de la scène dans une partition d’une violence d’autant plus inouïe qu’elle est sous-jacente. La violence, c’est celle de la situation que Jeannette s’inflige et qu’elle inflige à son fils : s’amouracher, à peine son mari hors de vue, de Warren Miller (Bill Camp), un homme libidineux et détestable, et en faire profiter son fils jusqu’à l’insupportable. Ici encore, et on ne sait si c’est du fait du romancier ou de celui du cinéaste, les motivations du personnage de Carey Mulligan sont pour le moins obscures. Voilà une femme modèle, mère et épouse aimante, qui en un jour ou presque, devient cette maîtresse dévergondée, sauvage, et surtout cette mère cruelle malgré elle. Joe ne comprend rien (« I don’t know what’s in your mind » lui dira-t-il), le spectateur ne comprend rien, et Jeannette elle-même ne connaît pas les raisons de ses agissements. La libération d’une femme trop longtemps soumise, ou le cri de douleur d’une femme délaissée ? Cette absence de compréhension, portée par les yeux écarquillés d’Ed Oxenbould, fonde l’absence de jugement de la part du cinéaste, et qui fait la force du film. Toujours est-il que la caméra elle-même semble comme anéantie par ce qu’elle filme. Elle scrute longuement et lentement tout le champ, ne dédaigne pas les plans fixes, s’accommode même du hors champ et l’ensemble montre combien Paul Dano a su, dès ce premier film, maîtriser sa nouvelle casquette de réalisateur.
Carey Mulligan est l’autre révélation de Wildlife. Son habituelle discrétion est sublimée ici; le cri intérieur qu’elle lance transperce l’écran avec beaucoup d’émotion, et sans aucun pathos. On peut ainsi enfin profiter de tout le potentiel de son jeu d’actrice et de sa fascinante beauté un peu farouche. D’un peu trop délicat par moments, trop bien rangé, Wildlife, grâce à elle, file vers des contrées bien plus sauvages et gomme l’image de trop d’académisme parfois accolée au film.
Resté son « petit secret » pendant sept ans, le projet Wildlife de Paul Dano a été nourri de tous ses frottements aux plus grands cinéastes. Paul Thomas Anderson, Bong Joon-Ho, Denis Villeneuve, pour ne citer qu’eux, lui ont ouvert le chemin d’un cinéma exigeant et d’une approche très professionnelle et très méticuleuse de la réalisation. C’est donc en effet sans grande surprise qu’on acclame la réussite de son tout premier film, presque parfait dans ses petites imperfections.
Wildlife : une vie ardente – Bande annonce
Wildlife : une vie ardente – Fiche technique
Titre original : Wildlife
Réalisateur : Paul Dano
Scénario : Paul Dano & Zoe Kazan, sur la base du roman de Richard Ford du même nom
Interprétation : Jake Gyllenhaal (Jerry Brinson), Carey Mulligan (Jeannette Brinson), Ed Oxenbould (Joe Brinson), Bill Camp (Warren Miller), Zoe Margaret Colletti (Ruth-Ann)
Photographie : Diego Garcia
Montage : Louise Ford, Matthew Hannam
Musique : David Lang
Producteurs : Alex Saks, Jake Gyllenhaal, Riva Marker, Oren Moverman, Ann Ruark, Paul Dano
Maisons de production : June Pictures, Sight Unseen
Distribution (France) : ARP Sélection
Durée : 105 min.
Genre : Drame
Date de sortie : 19 Décembre 2018
USA – 2018