Critique du documentaire Physio de Lazare Timsit

Berenice Thevenet Rédactrice LeMagduCiné

Le métier de physionomiste est aussi célèbre qu’inconnu. Le physio est celui qui sélectionne les gens à l’entrée des boîtes de nuit. La précision a de quoi faire hérisser le poil dans une société qui prône l’égalité de tous ses citoyens. Pour sa première incursion dans le genre documentaire, Lazare Timsit s’attaque à l’une des professions les plus controversées du monde de la nuit. Conscient d’aborder une figure repoussoir, Physio réussit, cependant, à proposer une réflexion globale qui interroge le sexisme et le racisme de classe qui règnent en milieu festif.

Haro sur le pollice verso

« Physio ». Les noctambules connaissent bien cette drôle d’apocope. Celle-ci rythme leur nuit autant qu’elle leur permet d’entrer en soirée. Le physio est une figure légendaire pour tout.e fêtard.e qui se respecte. Le monde de la nuit est une gigantesque arène dont il est l’empereur aussi bien que le génie. Intronisé gardien du temple à qui il incombe de décider du sort d’une (bonne) soirée. L’emphase avec laquelle débute Physio ne doit pas faire oublier une réalité (nettement moins lyrique). Le documentaire s’appuie sur un angle mort. Si mythique qu’il soit, le physio reste un métier largement méconnu du grand public. Le dispositif scénique, voulu par le réalisateur rappelle, à dessein, le format vidéo raffolé par Brut. Pendant cinquante minutes, cinq physios triés sur le volet vont s’exprimer face caméra.

A l’enquête fouillée, Lazare Timsit préfère la nudité du témoignage. La parole est libre. Cette dernière est sans cesse contrebalancée par des séquences filmées en direct. Si la confession frôle ouvertement avec les limites de la séquence émotion, son artificalité assumée oriente le documentaire vers une réflexion qui dépasse le cadre narratif initial.

On voit, en effet, poindre une critique derrière l’apparente frivolité des images. Ces dernières mettent en avant une profession qui repose sur une doctrine proprement discriminatoire. La fête est un espace encore fortement marqué par des inégalité de genre et de classe. Certaines personnes sont autorisé.es à entrer quand d’autres se voient d’office recalées. « Tous les hommes sont égaux mais certains le sont plus que d’autres » disait Georges Orwell dans La Ferme des animaux. On pourrait en dire de même du milieu festif. Qui aurait cru que la boîte de nuit, symbole de liberté par excellence, pourrait un jour être comparée à une dystopie sur les dérives du système totalitaire ? Le rôle du physio rassemble à celui d’un diamantaire qui serait mis au service du capital de l’entertainment. Sa sélection obéit à un cahier des charges qui lui est imposé. Dans ces conditions, le physionomiste est ainsi moins celui qui dit non que celui qui n’a pas le choix de dire non.

Capital on the dancefloor

Héritant des conceptions antiques, la physiognomonie crut longtemps qu’il existait un lien entre les traits du visage et le caractère. Cette croyance fut très en vogue au XIXe avant de disparaître progressivement au XXe. La boîte de nuit moderne rompt avec la philosophie du visage comme miroir de l’âme. Le physiognomoniste balzacien est ringardisé par le physionomiste orwellien. Le big brother est maintenant incarné à hauteur d’homme. Le don de voyance du physio 2.0 répond à une logique qui viser à traquer un capital corporel (décrété de facto) rentable.

La boîte de nuit est un gigantesque plateau de cinéma où chaque entrée (de clients) équivaut à celle d’un acteur économique. Les « normes » qui président à la sélection du physio, pour reprendre le terme d’un intervenant, s’appliquent avant tout aux corps féminins. Les femmes ont plus de facilités à entrer en soirée. Elles constituent, en effet, une importante plus-value pour la boîte de nuit. Celle-ci mise sur la « quantité » autant que sur la « qualité » des corps féminins sélectionnés. Les clientes sont triées en vertu de critères de beauté arbitraires. Celles qui ont la chance d’être choisies doivent cocher les cases de la féminité prônée par le système capitaliste. Le corps des femmes est une publicité gratuite qui, intégré à une logique de marchandisation, est censé attirer davantage de consommateurs masculins.

Le physio constitue également une plus-value. Il est un outil nécessaire à la bonne santé économique de l’industrie festive. Sans lui, la fête n’est plus folle(ment rentable). Son pouvoir décisionnaire indexe significativement les recettes d’une boîte de nuit. Sa politique du « oui » ou du « non » renvoie à la binarité d’une système (capitaliste) qui n’offre aucune alternative à ses agent.es. Le physio apparaît, malgré lui, comme un chien de garde injuste. Il est le garant de la perpétuation d’une industrie dont les profits reposent sur (encore aujourd’hui) sur le sexisme et le racisme de classe. Le physio est (aussi) un être humain comme les autres. Sa survie économique dépend de sa capacité à mettre au placard son humanité et sa conscience politique s’il veut conserver son travail. En cela : le physio est bel et bien un employé de bureau comme un autre.

Bande-annonce – Physio

https://www.france.tv/slash/physio/4227250-physio-la-bande-annonce.html

Fiche technique – Physio

Réalisation : Lazard Timsit, Quentin Sitbon
Production : 10.7 Production et Infinite Media
Genre : documentaire
Durée : 54 minutes
Disponible sur France Tv Slash jusqu’au 27 mai 2025.

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2.8