A Bigger Splash, un film de Luca Guadagnino : Critique

A Bigger Splash intrigue par ce titre qui introduit un comparatif : A Bigger Splash, plus grand que quoi ? Emprunté au peintre pop américain David Hockney, A bigger  splash est en réalité le troisième d’une série de trois de ses tableaux : A little splash (1966), The Splash (1966) et A Bigger Splash (1967). Vu sous cet angle, le titre est explicite, et l’esprit inquisiteur apaisé.

Synopsis : Lorsque la légende du rock Marianne Lane part sur l’île méditerranéenne de Pantelleria avec Paul, son compagnon, c’est pour se reposer. Mais quand Harry, un producteur de musique iconoclaste avec qui Marianne a eu autrefois une liaison, débarque avec sa fille Pénélope, la situation se complique. Le passé qui ressurgit et beaucoup de sentiments différents vont faire voler la quiétude des vacances en éclats. Personne n’échappera à ces vacances très rock’n’roll…

Histoires d’eau

Mais au fur et à mesure que le film de Luca Guadagnino se déroule, on comprend le choix de ce titre qui annonce autre chose,  une gradation des tensions qui le traversent de part en part.

Présenté à la dernière Mostra de Venise davantage comme un hommage qu’un remake de La Piscine de Jacques Deray, le film prend au sens littéral le large par rapport à son modèle. Même si grosso modo, le cinéaste a gardé jusqu’aux prénoms des personnages, il a fait un film à l’ambiance très différente.
Un couple de jolis bobos, Marianne Lane (hypnotisante Tilda Swinton) et Paul son amant (Matthias Schoenaerts) se reposent sur l’ile de Pantelleria, après que la première, célèbre rock-star, a dû se faire opérer du larynx pour sauvegarder son capital vocal, et que le second sort d’un centre de désintoxication. Leur vie est douce et vaguement caricaturale, ponctuée d’épisodes sexuels torrides ou de dîners aux chandelles dans les reliefs volcaniques de l’île, une imagerie à la limite du kitsch tant elle est lisse.

Quand Harry Hawkes (Ralph Fiennes), ex de Marianne et ami de Paul débarque sur l’île avec sa fille Pen (Dakota Johnson), la vie se réveille un peu dans le magnifique dammuso où Marianne les invite à séjourner, sous l’œil désapprobateur de Paul. Les femmes sont belles, les passions extrêmes. Insidieusement, une atmosphère lourde enfle, comme le  Sirocco qui parfois balaie l’île, et on sent qu’une goutte plus grosse que la précédente finira par faire déborder le vase, et le faire voler en éclats.

Dans l’intervalle, Luca Guadagnino livre un film agréablement hystérique et pop (des robes iconiques habillant superbement Tilda Swinton, impériale ; les Rolling Stones sur le Tee-Shirt de Pen, ou sous forme de vinyles écoutés en boucle sur le vieux Teppaz de la villa). Tilda Swinton en impose d’abord par sa plastique hors norme, mais également par son jeu très expressif puisque, selon ses volontés et pour des raisons personnelles (le moment du tournage était « a moment in my life I didn’t want to say anything » dira-t-elle laconiquement pour expliquer ce choix), elle hérite d’un rôle quasi muet, crédibilisé par l’opération des cordes vocales (« comme Björk », dira Ralph Fiennes, pour continuer dans les citations pop culture du film), et sublimé par une voix chuchotante excessivement sensuelle. Mais le vrai moteur du film , c’est Ralph Fiennes, dans sa veine nouvelle qu’on a déjà apprécié dans the Grand Budapest Hotel : facétieux et outrancier, magnifique ici dans sa danse sur le mythique Emotional Rescue des Rolling Stones. C’est lui qui porte véritablement l’énergie du film, car Matthias Schoenaerts , bien que nouvelle valeur sûre et bankable du cinéma européen (the Danish Girl de Tom Hooper, Loin de la foule déchaînée de Thomas Vinterberg, Quand vient la nuit de Michael R. Roksam), est un acteur peu expansif et qui joue (bien), ici encore plus que dans ses précédents rôles, sur le registre de la violence rentrée corroborée par un physique imposant. Quant à Dakota Johnson, que nous n’avons pas vu dans Fifty Shades of Grey, c’est peu de dire qu’elle est transparente et peu convaincante dans le film.

Le film est donc hystérique, obscène (« everyone is obscene, that’s the point », dira Ralph Fiennes, encore  lui) , et on n’arrive pas vraiment à savoir si la superposition de cette vie de luxe et d’insouciance avec la thématique de l’immigration, présente sur cette île encore plus proche du continent européen que Lampedusa, est une mauvaise plaisanterie, du cynisme, ou au contraire un éclair de lucidité , une conscience politique de la part du cinéaste.

Tout comme récemment le Youth de son compatriote Sorentino, A Bigger Splash est un film extravagant, sans doute à l’aune de l’extravaganza italienne. Moins travaillée et plus naturelle que celle de Youth, la photo du français Yorick le Saux est superbe. Voyageant pour ainsi dire dans les valises de Swinton (qui l’a « imposé » à Jim Jarmusch sur Only Lovers Left Alive, après leurs précédentes collaborations sur Amore du même Luca Guadagnino notamment), le directeur photo sait exactement comment la filmer, comment capter son regard devenu soudain interrogateur, sa bouche que la surprise ou le désarroi bouge à peine, comment la saisir dans un baiser plus vrai que nature… Mais il sait aussi rendre la majesté de Pantelleria, avec de beaux plans larges sur des paysages exceptionnels. Les nombreux gros plans sur les lunettes miroir des personnages ajoutent encore du glam et de l’originalité à cette belle cinématographie.

N’étant pas comparable à La Piscine de Jacques Deray, tant les mises en scène de ces deux films sont aux antipodes, tant Luca Guadagnino semble s’être amusé à déconstruire systématiquement chaque scène pour en livrer une version moderne, A Bigger Splash ne démérite pas pour autant. L’insignifiance de Dakota Johnson ou la modestie de Matthias Schoenaerts (surtout avec Alain Delon comme référentiel inatteignable) ne suffisent pas à ternir la bonne surprise que ce film procurera au spectateur.

A Bigger Splash : Bande annonce

A Bigger Splash : Fiche technique

Réalisateur : Luca Guadagnino
Scénario : David Kajganich, Alain Page
Interprétation : Dakota Johnson (Penelope Lanier), Ralph Fiennes (Harry Hawkes), Matthias Schoenaerts (Paul De Smedt), Tilda Swinton (Marianne Lane), Aurore Clément (Mireille), Lily McMenamy (Sylvie), Corrado Guzzanti (Maresciallo Carabinieri), Elena Bucci (Clara)
Musique : Robin Urdang (Superviseur musical)
Photographie : Yorick Le Saux
Montage : Walter Fasano
Producteurs : Michael Costigan, Olivier Courson, Luca Guadagnino, Ron Halpern, David Kajganich, Sonya Lunsford, Marco Morabito, Hélène Sevaux, Andrea Zoso
Maisons de production : Frenesy film Company, studio Canal
Distribution (France) : Studio Canal
Récompenses : –
Budget : ND
Durée : 124 min.
Genre : Drame, Policier
Date de sortie : 6 Avril 2016
Italie, France – 2015

Redactrice LeMagduCiné