Le Parrain III : un dernier acte épique

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Avec Le Parrain III, Francis Ford Coppola conclut magistralement la trilogie des Corleone. Ce chapitre final explore la quête de rédemption de Michael Corleone, sa lutte pour la respectabilité et les ombres du passé qui continuent de le hanter.

Dire qu’il ne voulait pas le tourner… « Les films de gangsters m’ennuient à mourir« , osa-t-il ! C’est pour des raisons financières qu’il accepta de revenir à ce qui avait fait sa gloire mais dont il se sentait peut-être un peu prisonnier. Tant qu’à le faire, autant le faire bien : en 1990, Coppola n’a rien perdu ni de son talent ni de son inspiration. Si ce troisième volet est un peu en dessous des deux autres, nous verrons pourquoi, il joue tout à fait dans la même cour. Celle des grands.

Puisque les Parrain sont une histoire de famille, 16 ans après Coppola reprend les mêmes, aussi bien pour l’équipe technique (notamment le précieux Gordon Willis) que pour les acteurs. Enfin, ceux qui veulent bien : Robert Duvall refuse, trouvant son rôle trop faible. Il est le grand absent de cette troisième partie, justifié à la va-vite au détour d’un dialogue – il serait mort, tout simplement. Coppola tente bien de le ressusciter en incluant dans l’histoire son fils devenu séminariste, le compte n’y est pas. Il est remplacé par le plus terne George Hamilton dans le rôle d’un autre avocat. Pour le reste, il continue de solliciter sa famille : son père à la musique, sa sœur dans le rôle de Connie. Et, Winona Ryder pressentie pour jouer Mary étant tombée malade, sa propre fille Sofia dans le rôle de la fille chérie de Michael. Un choix qui fit polémique, beaucoup trouvant l’actrice maladroite, voire disgracieuse. Coppola objectera que son manque de métier lui confère une fragilité, une gaucherie, qui conviennent parfaitement au personnage. Argument recevable, même si, en effet, les scènes où elle se montre amoureuse sont assez faibles.

Le Parrain III est construit comme une synthèse des deux précédents, un film palimpseste comme l’écrit judicieusement Josué Morel sur Critikat, mais aussi un film circulaire : il boucle la boucle en revenant sur les données de départ. La première partie, c’était le passage de relais de Vito à son fils préféré, l’ascension de ce fils qui voulait au départ rester en dehors de toute activité criminelle. La deuxième partie, c’était l’enfermement dans la paranoïa d’un homme écrasé par la double injonction de conserver sa famille et de gagner en respectabilité : elle aboutissait au meurtre de son frère, acte qui le damnait et le condamnait à la solitude. La troisième partie, c’est l’accès à la respectabilité, de nouveau entravée, tant la saga s’apparente à une tragédie au sens des Grecs : Michael fait tout pour sortir de la voie qui lui est tracée, mais le destin est plus fort que lui.

Respectabilité et héritage : les nouveaux défis de Michael Corleone

Le film s’ouvre sur des plans désolés de la villa du lac Tahoe, décor principal du Parrain II. On la découvre à l’abandon : chaises à terre, vitre brisée, encadrement de vitre en forme de toile d’araignée… une vision désolante. Mais cette désolation a son revers positif puisqu’elle signifie que Michael a tourné la page de l’activité criminelle. On le voit écrire à ses enfants, eux qu’il a si souvent négligés, accaparé qu’il était par ses responsabilités – et la voiture rouge abandonnée, celle qu’il avait chargé Tom Hagen d’acheter, est là pour le rappeler. La première préoccupation d’un Michael vieillissant va donc être sa succession.

Quelle va-t-elle être ? La voie espérée par son propre père pour lui, celle de la respectabilité, ou celle qui fut finalement la sienne, celle du crime ? La succession chez les mafieux ne peut passer que par un fils. Il faut qu’il devienne avocat, un métier honnête. Hélas, Anthony, dont sa mère a entre temps récupéré la garde, a d’autres plans : il veut se consacrer à l’art lyrique. Un choix tout sauf anodin : d’une part il annonce la fin opératique de la saga, d’autre part il tourne le dos à toute l’histoire du clan. (On peut lire cette orientation de l’histoire comme un voeu personnel de Coppola, qui voulait à la fois en finir avec « les films de gangsters » et revenir à ce qui lui est personnel : l’Opéra était le métier de son père, qui lui transmit sa passion pour cette forme d’art.) Au début du III, Tony est donc le fils qui déçoit son père : on se souvient que dans le II Tony sympathisait avec Fredo le frère, et que Michael tenait tant à avoir un autre fils, celui dont Kay avorta. Nous avions émis l’hypothèse qu’il espérait avoir un « fils préféré », comme lui-même l’avait été pour Don Vito.

Tony rompt à la fois avec sa famille dans son ADN mafieux et avec l’exigence de respectabilité : car, pour Michael, un artiste n’est pas quelqu’un de « respectable », c’est un marginal. Mais Tony tient bon, ce qui signifie, pour son père, que la destinée des Corleone lui échappe. Notons d’ailleurs que, ce faisant, il ne fait qu’agir comme Michael lui-même jeune, bien décidé à se tenir à l’écart du crime ! Mais Michael s’est fait gangréner par l’activité mafieuse : il ne voit plus que l’empire qu’il a érigé. Lui reste Mary bien sûr, mais comme c’est une fille, on peut tout au plus l’utiliser comme faire-valoir d’une fondation. Sûrement pas compter sur elle pour perpétuer la dynastie.

C’est là que refait providentiellement surface Vincent Mancini, le fils de Sonny. Un fils bâtard car né dans la première partie d’une liaison adultérine. Il a donc le sang Corleone mais est issu de l’irrégularité. Il n’est d’ailleurs même pas sur la liste des invités de la petite sauterie qui suit le sacre de Michael à l’église.

Dans les Parrain, les fêtes succèdent toujours à des cérémonies religieuses : mariage dans le I, première communion dans le II. Ici, pour parfaire sa nouvelle réputation, Michael se fait remettre une décoration par le pape, une distinction achetée à coup de gros chèques à des œuvres de bienfaisance, via sa fondation. On se rappelle l’aura papale que dégageait don Vito au début du I : audiences que l’on sollicite, main que l’on baise respectueusement, dogmes égrainés par le Don. La cérémonie se tient à St-Patrick, au coeur de Little Italy, l’église où avait eu lieu le fameux baptême du neveu de Michael. Dans un bonus, Joe Mantegna raconte que Coppola lui a montré sa fille en lui disant : « tu vois ma fille ? c’est elle qui avait été baptisée à la fin du Parrain ! » La saga à ainsi une dimension « film de famille » pour le réalisateur lui-même, ces bobines tournées en super-8 qu’on ressortait pour voir les enfants jeunes.

De par cette évolution, Michael semble avoir réussi à réaliser les deux injonctions irréconciliables du père : accéder à la respectabilité tout en maintenant vivante la tradition de la famille. La fête qui suit la cérémonie, fort différente de celle qui ouvrait le II, renoue donc avec celle des débuts : on y entonne des morceaux italiens, Johnny Fontana est de retour, les enfants courent de nouveau joyeusement, on découpe le gâteau, motif récurrent de la saga (au mariage au début du I, pour l’anniversaire de don Vito à la fin du II, à Cuba lorsqu’on se « partage le pays »). Même Kay est venue. Une harmonie retrouvée ?

Elle n’est que de façade. A la messe déjà, les mines patibulaires noyautaient l’assemblée et on les retrouve à la fête. Un vieux Parrain, don Altobello (Ellie Wallach), lui rend visite pour signer un gros chèque à l’ordre de sa fondation, une façon de s’acheter une devanture respectable qui éveille forcément les soupçons de Michael. Quant à Kay, on la voit contempler une ancienne photo de famille, à droite dans le reflet du cadre. Le même Josué Morel a comparé cette image avec deux autres tirées du I et du II. Kay était en effet à droite d’une image coupée en deux dans les deux scènes où l’on referme la porte sur elle : la fin du I d’une part, le moment où Michael la met à la porte alors qu’elle était venue embrasser ses enfants d’autre part. Kay est devenue un reflet, un fantôme, une « revenante » qui va hanter Michael, aux prises avec sa conscience tout au long de cette troisième partie. Ce n’est pas un hasard si la cérémonie religieuse concerne non plus sa fille (pour Vito dans le I) ou son fils (pour Michael dans le II) mais le Parrain lui-même. Si l’Eglise catholique tient une telle place dans le troisième volet, c’est parce que Michael veut s’absoudre de ses fautes passées, recevoir le pardon avant l’extrême-onction. Face au cardinal, il acceptera de se confesser. Al Pacino apparaît ici voûté, usé, le visage marqué.

Puisqu’il est question de bilan en fin de vie, le film baigne dans une atmosphère crépusculaire. Dans le bureau de Michael, le marron-orangé des boiseries domine, auquel est assortie la robe de Kay. Ce bureau dans lequel le Parrain reçoit ses visiteurs est moins sombre, montrant que l’illicite n’a plus droit de cité. Pourtant, un superbe plan montre bien que Michael n’en a pas fini avec le côté obscur de la force : assis dans son fauteuil, on ne voit dans la lumière que sa tête (l’image qu’il veut donner) et ses mains (les moyens qu’il entend utiliser). Son ventre et son cœur restent rongés par le noir. « Maintenant que tu es respectable, tu es plus dangereux encore » lui lance Kay. La bête est vivante, prête à se réveiller.

Vincent, le bâtard qui réveille la bête

L’instrument de ce réveil, ce sera donc Vincent, double inversé de son oncle. Le double d’abord : il est celui qui est « en retard sur la photo » (comme Michael dans le I, qui lui demande ici de s’y joindre), celui qui n’est pas habillé comme les autres (Michael était en militaire, Vincent porte une veste en cuir de voyou), celui qui ment à ses compagnes (il tait la vérité à Mary comme Michael l’avait fait à Kay à la fin du I), celui qui va à l’encontre du projet général. Mais un double inversé car, alors que Michael voulait se soustraire au crime, Vincent refuse l’emploi honnête que son oncle lui propose. Au contraire de Michael, homme presque d’une seule femme, c’est un chaud lapin qui collectionne les conquêtes. Son oncle a abandonné le jeu (gambling) en cédant ses casinos ? Lui a envie de « jouer », comme il le dit à une blonde levée à la fête (Bridget Fonda). Et son jeu est violent : on le constatera dans la belle scène du duo de tueurs envoyés par le mafieux Zasa chez lui. Vincent ne cessera de prôner les méthodes expéditives face aux décisions pondérées de Michael. Quand celui-ci l’invite à faire la paix avec Zasa et que ce dernier commet l’erreur de le traiter de « bâtard« , Vincent lui mord sauvagement l’oreille. « Impulsif… comme ton père« , déplore en substance Michael. Vincent est une sorte de synthèse des trois frères Corleone : calculateur comme Michael, violent comme Sonny, frivole comme Fredo. Il est celui qui réintroduit le ver dans le fruit, ce penchant criminel qui toujours entraîna Michael vers le bas. Il est l’ombre qui recouvre cette tête et ces mains désireuses de se tenir dans la lumière. L’envoyé du destin qui, décidément, ne veut pas lâcher Michael

L’histoire du repenti qui veut sincèrement changer mais est retenu par son passé est un classique : ici, les mafieux veulent tirer bénéfice de la nouvelle affaire que Michael a conclue avec le Vatican, l’Internazionale Immobiliare. Même un gros chèque ne calme pas leur appétit. Zasa lui rend finalement service en éliminant la plus grosse partie de ces insatiables.

Mais il représente un danger. Vincent veut donc agir, avec les mêmes méthodes que Michael à la fin du I. Dès lors que les ennuis du Parrain le ramènent au monde du crime, son neveu accepte de se mettre à son service. Sentant en lui le seul successeur possible, Michael le forme à être un bon Parrain : « n’exprime jamais ton point de vue devant tes ennemis », « ne te laisse pas gagner par une haine qui diminue ta lucidité »… En retour, Vincent met son intrépidité et son efficacité au service du Parrain : c’est lui qui le sauve lors de l’impressionnante scène de « canardage » des mafieux à partir d’un hélicoptère. Surtout, alors que Michael, victime de son diabète, a une attaque qui le cloue à l’hôpital, en situation de faiblesse comme l’était don Vito dans le I, il monte un plan pour éliminer le trop menaçant Zasa.

C’est sa soeur Connie qui donne le feu vert, filmée en ombre dans une église. Connie, de tout temps égarée par ses choix amoureux, est dans ce troisième volet une sorte de Lady McBeth, ou une Lucrèce Borgia (pour coller à une exclamation de Michael au Vatican), celle qui agit dans l’ombre pour faire couler le sang. Celle qui peut tuer aussi, et ce n’est sans doute pas un hasard si elle choisit le poison pour se débarrasser du traître Altobello… Vincent trouve en elle un soutien. L’assassinat de Zasa est l’une de ces scènes d’anthologie qui émaillent la saga.

Elle rappelle celui de Falucci par Vito jeune, dans le II : Zasa est le roi de son quartier, il se pavane au milieu de la foule alors qu’une fête religieuse bat son plein. On note que les billets sur la statue ne sont plus de mise, l’Eglise jouant à présent dans une tout autre cour. Plan rapide sur les sabots d’un cheval pour nous signifier que réside là quelque chose de décisif. Un type dans la foule insulte et provoque Zasa pour faire diversion, avant que la mitraille se déchaîne. Le cavalier, c’était Vincent, qui exécute son ennemi juré essayant de s’enfuir.

Remis sur pied, Michael tente désespérément de garder le contrôle en s’affirmant toujours le patron. Mais, comme don Vito dans le I après son attentat, il est affaibli par son diabète. Il défaillira une seconde fois devant le cardinal Lamberto, qui fera venir illico un jus d’orange sur un plateau – prêt en quelques secondes, miraculeux, mais n’est-on pas au Vatican ? Manque de glucose : à présent qu’il ne se sucre plus, l’homme se trouve en situation instable. « Je ne t’ai jamais vu aussi fragile » lui lancent Kay et ses enfants qui aiment plutôt ce Michael-là.

Une fois de plus, Michael est tiraillé, entre son désir de perpétuer la Famille et celui de sortir du crime. Ce qui complique la donne, c’est que sa fille Mary est tombée amoureuse de son cousin. Michael va s’opposer de toutes ses forces à cette union, ayant constaté le sort réservé à Kay mariée à lui. Et il n’a sans doute pas oublié que Kay a échappé de justesse à la mort lors de l’attentat à la villa du Lac Tahoe. Il échangera le titre de Parrain contre la promesse donnée par Vincent d’abandonner cette liaison. Au moment d’accepter, Vincent croque dans une orange : le fruit parcourt toute la saga, depuis l’attentat contre Vito jusqu’à sa mort au jardin, en passant par le maraîcher qui en offrait au tout jeune Parrain, les oranges qu’on voit rouler lorsque la table des mafieux se met à vibrer à Atlanta dans le II, et même le jus qui remet Michael d’aplomb au Vatican ! Il est une sorte de relais donné à Vincent, dont on vient baiser bien sûr la main.

Le Vatican, antre de la corruption

L’autre élément qui empêche la reconversion de Michael, c’est l’Eglise catholique. Celle qu’il croyait gardienne de la vertu va se révéler une organisation gangrénée par la corruption et les accointances avec le business. Une idée brillante est cette cigarette apportée sur un plateau à l’archevêque Gilday, le ripoux du Vatican : l’image, inhabituelle, traduit bien la corruption du personnage – d’autant que, dans le même temps, Michael a arrêté de fumer.

L’Eglise baigne dans la sainte parole, mais celle-ci n’entre pas à l’intérieur, comme le caillou tiré du bassin qui reste sec en dedans : la métaphore, qu’aurait pu utiliser le Christ lui-même, dit bien la lucidité du cardinal Lamberto. Ecclésiastiques, banquiers et politiciens marchent main dans la main pour s’enrichir sans scrupules. Un plan l’exprime bien, en contreplongée, montrant une église côtoyant l’un des hauts buildings de New York. Au Vatican, on découvre le redoutable Don Lucchesi, personnage inspiré d’Andreotti. Lamberto, un pur, élu pape en remplacement de Paul VI sous le nom de Jean-Paul 1er, en fera les frais, menaçant l’organisation secrète. « Il est dangereux d’être honnête » constatera Michael avec amertume. On sait que, lorsque Jean-Paul 1er fut retrouvé mort, la thèse courut sur ce décès brutal le lendemain de son élection, assez crédible. Le thé qu’on lui apportait « pour dormir » (du thé pour dormir ?!) a été empoisonné : décidément, Michael avait raison, on est bien chez les Borgia…

La Sicile, théâtre de la chute finale de Michael Corleone

Proche du Vatican, cœur de l’Église, la Sicile, cœur de la mafia. C’est là que s’achève la saga, pour boucler la boucle. Les rappels des deux premières parties sont nombreux : à New York, on avait déjà pu voir Vincent montrer à Mary le commerce d’huile autrefois ouvert par Vito, en Sicile c’est Michael qui montre à Kay la maison d’enfance de son père. Un peu plus tard, Michael et Kay s’arrêtent sur une place où se tient un mariage. Le plan est le même que celui des noces de Michael avec Appolonia, auquel Coppola a ajouté malicieusement un âne chargé de paniers qui passe, rappel de la fuite du jeune Vito après que sa famille fut décimée. On retrouve aussi Calo, le garde du corps de Michael lors de sa première retraite à Corleone.

En Sicile, Michael envoie Vincent tenter de tirer au clair le complot qu’il sent se tramer. Une fois de plus, il met en danger les autres pour se protéger… De son côté, le fourbe Altobello a engagé Mosca, un tueur à gages réputé faire mouche à tous les coups, pour abattre Michael lors de la première à l’Opéra de Tony. En quoi se déguise-t-il ? En curé, bien sûr ! Sa première victime sera don Tommasino, un fidèle de Michael. Cette mort le bouleverse particulièrement : « qu’ai-je raté ? pourquoi n’ai-je pas pu comme toi être aimé de tous ? » lance-t-il à son cadavre. Coppola donnera l’une des clés : alors que don Vito n’écoutait que son coeur, Michael n’écoutait que sa tête.

Michael a passé la main, son fils va se produire à l’Opéra, tout est prêt pour un final flamboyant, et Coppola ne déçoit pas. Filmé en montage alterné, baigné de la musique de l’opéra, le final de la saga rappelle celui du Parrain I, avec encore plus d’ampleur. A l’Opéra, on suit sur scène les péripéties de Cavalleria Rusticana, l’une des œuvres que Coppola écouta beaucoup dans son enfance. Une histoire de querelles entre paysans qui rappelle le tout début de la saga. Lors d’un combat, une oreille est arrachée. L’oeuvre renvoie aussi à ce qui se joue dans la salle : amours contrariées comme celle de Mary et Vincent, scènes de crime, allégorie christique. Vincent a organisé un service de surveillance, mais Mosca est habile. Il parvient à se cacher dans une travée supérieure et ajuste son fusil à lunette. Contretemps, ruses, suspense, pendant que les violoncelles lancent leurs coups d’archet et que la cymbale claque (un probable clin d’œil au brillant final de L’homme qui en savait trop de Hitchcock, version de 1957, auquel celui-ci fait vraiment penser : autant assumer ses emprunts…).

Pendant ce temps, les émissaires de Vincent agissent : Keinszig, le banquier du Vatican, est étouffé puis suspendu en haut d’une corde pour faire croire à un suicide ; Gilday, le nonce véreux, est abattu par Al Neri qu’on avait suivi dans son approche en train ; don Lucchesi, enfin, le cerveau de la bande, est tué avec… ses lunettes plantées dans la jugulaire (on pense au meurtre de Moe d’un tir dans ses lunettes à la fin du I).

L’opération n’a pas connu le même succès à l’Opéra : Michael, qu’on a vu enfin afficher un franc sourire heureux, a été sauvé par un déplacement inopiné. C’est donc sur les marches, en sortant de l’Opéra, que Mosca va exécuter son contrat. On l’a dit, c’est Mary qui reçoit la balle. Le cardinal Lamberto l’avait déclaré à Michael après sa confession : avec de tels crimes il mérite de souffrir. Coppola s’est expliqué sur cette fin : perdre sa propre fille était une punition bien plus cruelle que de mourir. A cela s’ajoute la dimension tragique puisque Michael, en éloignant les deux amoureux, a voulu protéger sa fille. Alors que Connie prend soudain des allures de Piéta, Michael hurle de douleur. Sans le son : une idée magnifique, soufflée au réalisateur par l’un de ses collaborateurs. Où l’on voit que Zviaguintsev, dans une poignante scène de son Faute d’amour, avait peut-être en tête le film de Coppola…

Victime de l’hubris, Michael n’a pas pu se racheter : il paie pour ses crimes. Vieillard, ne lui reste que ses souvenirs : dans un superbe enchaînement, on le voit danser tour à tour avec sa fille Mary, avec Kay et avec Appolonia. Puis s’affaisser, tomber de sa chaise, finir comme son père le nez dans l’herbe de son jardin (une orange à ses pieds ?… en visionnant la scène au ralenti, on aperçoit furtivement une boule orange par terre…) L’idée du chien seul témoin de cette fin est savoureuse.

On le voit, tout cela est de haute tenue. Quelques réserves tout de même. Elles viennent des scènes sentimentales, où Coppola sombre dans la mièvrerie – comme souvent, il faut le dire, les Américains lorsqu’ils s’aventurent sur ce terrain. A l’hôpital lorsque Kay, Mary et Tony rendent visite à un Michael alité. Lorsque Tony chante en s’accompagnant à la guitare le thème de Nino Rota dédié à son père, qui verse une petite larme. Au Vatican, lorsque Michael se confesse au cardinal Lamberto. Entre Mary et Vincent, lorsque ce dernier lui explique qu’ils ne pourront plus se voir. Et, surtout, entre Michael et Kay, lorsque celle-ci lui déclare qu’elle l’a « toujours aimé« . Le tout avec musique ronflante et banals champs/contrechamps. Une mièvrerie très surprenante, qui ne cadre pas avec la puissance et l’audace que dégage toute la saga. En vieillissant, sans doute devient-on sentimental ?…

Une faiblesse – seulement à nos yeux européens ? – absente des deux premiers volets. Peu de choses malgré tout : les Studios ont eu raison d’insister. Coppola fut d’ailleurs si satisfait du résultat qu’il envisagea de lui-même une quatrième partie ! Mais Mario Puzo, le coscénariste et auteur du livre initial, en décida autrement en cassant sa pipe. Le nez dans l’herbe et une orange à ses pieds ?