Avec cette suite, Coppola poursuit la métaphore religieuse du système capitaliste américain : le père, le fils, le Saint-Esprit s’incarnent dans la saga des Corleone. Analyse de ce passionnant parallèle.
La fin du Parrain, dont aucune suite n’était prévue, montrait Michael Corleone intronisé grand chef par le baisemain respectueux autrefois réservé à Don Vito. La porte se fermait sur sa femme, exclue des affaires comme il se doit. Pas plus que Kay le spectateur ne saura ce qu’il s’est passé entre les deux Parrain. Il constatera simplement que le fils préféré a bien assis son pouvoir. Que va-t-il en faire ? Se montrer digne successeur de son père, ou prendre un autre chemin ? Pour répondre à cette question, Coppola a choisi de nous narrer, en un long flashback, l’histoire du patriarche. Le passé et le présent donc, deux films en un. Pour montrer comment l’un influe sur l’autre, pour faire sentir, surtout à quel point l’ombre de son père pèse sur le nouveau Parrain, Coppola opte pour un montage alterné, ignorant les cris d’orfraie de son entourage qui croit la chose infaisable. Le résultat leur donnera tort : il est enthousiasmant.
« J’ai pensé que ce serait intéressant de juxtaposer le déclin de la famille avec son ascension : le jeune Vito qui la construit en Amérique pendant que son fils préside à sa destruction » a déclaré Coppola. Le passé c’est l’ascension de Vito, le présent la déchéance de Michael. Comme les deux plateaux d’une balance. L’astuce du film est d’établir des correspondances entre les deux récits. Voyons ce qu’il en est de la Sainte Trinité : père, fils, mais aussi Saint-Esprit…
Le père : la montée en puissance de Vito Corleone
On avait noté dans le Parrain I l’importance des rites religieux : un mariage, un enterrement, un baptême. Le Parrain II s’ouvre par un enterrement, celui, en Sicile, du père de Vito, éliminé par une bande rivale. Son frère qui voulait le venger est à son tour assassiné, le jour même des obsèques. Quant à sa mère, elle supplie celui qui a tué son mari puis son fils d’épargner son petit dernier. Mais le Parrain local sait très bien qu’il ne sera pas tranquille si un descendant subsiste. La suite lui donnera raison… La mère se sacrifie pour son Vito, qui parvient à s’échapper.
Voilà notre Vito exfiltré sur un âne alors que la pègre est passée rapidement de la carotte (« prime à qui nous livre le petit Vito ») au bâton (« ceux qui le cachent auront des problèmes »). Il arrive à Ellis Island où on le marque d’une simple croix et lui attribue comme patronyme le nom de son village. C’est donc bien l’Amérique qui est à l’origine du nom du clan ! Mis en quarantaine pour la variole (un événement autobiographique pour Coppola qui, enfant, fut aussi isolé un an, pour polio), c’est d’une petite chambre qu’il peut rêver à son destin en regardant par la lucarne la statue de la Liberté, ce symbole qu’on avait vu en fond d’un champ de blé dans le Parrain I, alors que se perpétrait le premier crime de la série.
La vie est dure à Little Italy, mais les immigrés se serrent les coudes. Lorsqu’un ami fait découvrir le Parrain du quartier, un certain Fanucci, à Vito devenu adulte, celui-ci s’étonne : « un Italien qui rançonne un autre Italien ? » Vito va être décrit comme une sorte de Robin des Bois, prenant la défense de la veuve et de l’orphelin. Il convainc un propriétaire aux allures de Charlot de reprendre une femme mise à la porte à cause de son chien, allant jusqu’à payer la différence avec le loyer du nouveau locataire. Son unique argument : « je saurai m’en souvenir« .
Vito est également un mari attentionné : on le voit déposer en cadeau une simple poire sur la table du dîner. Geste qui exprime admirablement la condition misérable de ces gens et l’amour tendre d’un Vito. Attentionné d’accord, mais pour tout ce qui concerne les affaires on ferme la porte aux femmes : le geste était inscrit dès le début.
Notre homme est proche de la sainteté. Un peu plus tard, lorsqu’il se fait congédier suite à la visite de Fanucci, il n’en prend pas ombrage, remercie plutôt son patron pour le traitement qu’il a reçu en étant à son service. Fidèle à son parti pris initial de ne pas écorner l’image de la Sicile, Coppola ne dit rien des côtés quelque peu discutables de l’activité de Vito. Il la justifie plutôt par la misère (« pas d’autre choix que… ») et met en exergue la débrouillardise et le tempérament de son héros. Don Vito représente un âge d’or, auquel va s’opposer, par un violent contraste, l’époque actuelle, celle de Michael. Aussi la lumière est-elle souvent dorée et le quartier de Little Italy présenté comme un village chaleureux. Quant à la Sicile, comme dans la première partie, c’est un Eden, même s’il se couvre parfois de sang…
Dans le monde rude du quartier italien de New York, un seul moyen d’asseoir sa domination : le meurtre. Intelligemment, cette suite nous montre que le coup d’éclat de Michael – l’assassinat de Solozzo et McCluskey – était une réplique de celui de son père. Car, après avoir séduit Fanucci en montrant qu’il ne le craint pas (il ne lui verse pas la somme convenue et demande carrément un délai pour lui), Vito va l’éliminer. La scène est l’un des moments de bravoure de la série des Parrain. Décrivons-la.
Fanucci s’est mêlé à la foule compacte célébrant une fête religieuse. On adore un Christ punaisé de dollars, tout un symbole. Le gangster fanfaronne, quitte un spectacle de marionnettes « trop violent pour [lui] » puis lâche quelques billets en gage de générosité. Sur les toits, Vito le suit, récupère une arme entourée d’un tissu, exactement comme Michael le fera dans les toilettes du bar… Puis va l’attendre dans la cage d’escalier. Le clignotement de la lumière agit comme un compte à rebours, comme un destin en suspens aussi. Tout aussi froidement que le fera Michael, Vito loge deux balles dans le corps de Fanucci, qu’il complète d’une troisième dans la bouche, pour faire bonne mesure. Dans les Parrain, la violence est finalement assez rare mais elle est toujours sèche et expéditive.
Elle est aussi mise en scène : comme l’explique l’excellent Eric Schwab dans son analyse sur Youtube, Vito, dans son assassinat, maîtrise l’espace (observation en surplomb puis guet dans un recoin), la lumière (l’obscurité puis le clignotement) et le son (tissu autour de l’arme pour étouffer les détonations, explosion des pétards de la fête à ce moment précis). Il est en quelque sorte le metteur en scène de la séquence.
Un peu plus loin, on constate les changements opérés par cet exploit criminel. Déjà, on avait pu voir un marchand de primeurs faire cadeau de fruits à Vito, premier indice. Mais c’est surtout l’histoire du logeur qui va nous confirmer la stature acquise par le nouveau Parrain. Car notre charlot va revenir trouver Vito, non seulement en acceptant de reprendre sa locataire et son chien mais en voulant rendre l’argent que Vito lui avait donné ! Belle façon de suggérer le prestige acquis en peu de temps par Corleone dans les ruelles de Little Italy.
On retrouve avec plaisir certains personnages de la première partie, en particulier Clemenza, l’homme qui lui demande de cacher des armes avant de lui offrir par la suite un magnifique tapis (volé) en récompense. Les deux lascars avec quelques autres vont monter une affaire d’importation d’huile de Sicile, qui semble parfaitement honnête. Il y a de l’enthousiasme dans cette volonté de gravir les échelons qui caractérise le rêve américain. De la pancarte installée en haut d’une boutique, on passera sans transition au « procès » de Michael. Déchéance.
Marlon Brando ayant fait sa star qui décline l’offre de tourner la suite, il fallait trouver un acteur pour incarner Vito jeune. Coppola avait remarqué Robert de Niro dans le Mean Streets de Scorsese. Très bonne pioche : selon la méthode de l’Actor’s Studio, le comédien a méticuleusement travaillé sa composition en observant la performance de Brando. Mêmes mimiques, même sang froid, même voix détimbrée et éraillée, il est totalement crédible. Il y ajoute ce légendaire port de tête légèrement incliné qui a quelque chose d’inquiétant. Une main de fer dans un gant de velours, ce qu’exprimait très bien le premier volet.
Vito représente ce que Michael aurait dû être. L’hypothèse a pu être formulée que toute la partie Vito soit une projection mentale du Michael d’aujourd’hui. Ce que lui crie sa conscience en quelque sorte. Intéressant. Le montage alterné va bien dans ce sens.
Le fils : l’égarement de Michael
Le fondu-enchaîné restera célèbre tant, ici, il fait sens : Vito apparaît tel un fantôme au-dessus de Michael. Il s’agit ici, en l’occurrence, de comparer leur relation à leur enfant puisqu’on trouve Vito au chevet de Fredo malade. Michael s’engage moins pour son fils Anthony, qui passe après le business : il charge Tom de trouver la voiture rouge dont rêve son fils. On découvrira celle-ci plus tard abandonnée dans la neige, délaissée donc par le garçon. Ce qui fait le prix d’un cadeau, c’est l’amour qu’on y a mis.
Mais Michael, à la tête d’un empire plus vaste, n’a plus le temps de se consacrer à son fils. Le monde a changé, on n’est plus simplement entre « familles ». Hyman Roth est un Parrain d’un autre style mais tout aussi redoutable, sous ses allures de papy scotché devant le poste. Michael le soupçonne d’être le commanditaire de l’attentat à son domicile – une attaque surprise, qui rappelle l’attentat subi par don Vito au marché tout autant que l’assassinat de son frère Sonny façon Bonnie & Clyde. Tout n’est que mensonge et jeu de dupes puisque les deux font semblant de s’allier. Pour confirmer son intuition, Michael envoie Frank Pentangeli traiter avec les frères Rosato mais celui-ci tombe dans un piège. Là encore, Michael agit comme son père : dans Le Parrain I, don Vito avait envoyé le fidèle Luca Brasi sonder le terrain chez les Tattaglia et Brasi avait fini étranglé. Ici « Frankie » va survivre, quand son garde du corps sera arrêté. Tous deux seront des témoins à charge pour Michael, Frankie étant persuadé que c’est Michael qui a tenté de l’éliminer, à cause de la phrase « avec les compliments des Corleone » lancée par l’assassin. Précaution voulue par Roth au cas où Frankie s’en sortirait ? Car on comprendra que le juif était bien derrière tout cela.
C’est à Cuba que Michael va décider de faire éliminer Roth. Non sans avoir joué la comédie de l’amitié, hypocrite des deux côtés, devant le parterre de politiciens et d’industriels venus se partager le gâteau cubain – littéralement puisque c’est l’anniversaire de Roth qui distribue des parts à chacun. Roth et Michael sont les deux Parrains du groupe : on le voit lorsqu’un téléphone en or massif est soupesé tout autour de la table – seuls Michael et Roth manipulent l’objet sans lui accorder de l’attention. C’est à la Havane qu’on apprend que Roth lui en veut à cause de l’élimination par Michael d’un des ses grands amis, Moe, le créateur de Las Vegas. Mais il s’agit avant tout de manger la part du gâteau de l’autre. De même que Frankie, Roth échappe à la mort : Michael a donc deux ennemis dans la nature, Frankie et Roth. Les nuages s’accumulent pour lui, alors que les communistes prennent le pouvoir à Cuba. Michael s’était montré clairvoyant : des hommes qui sont prêts à donner leur vie sans être payés sont de redoutables ennemis. C’est là encore le constat de ce qu’il a perdu : cette fidélité à mort de ses troupes, à présent tenue uniquement par l’argent. Ce pouvoir qui tombe à La Havane, auquel il s’apprêtait à s’associer, c’est aussi pour Michael le pressentiment de sa propre chute à venir.
Dans l’atmosphère minérale et enneigée de sa villa, on suit un Michael pensif, désabusé, observant sa femme sur une machine à coudre qui ne l’a peut-être même pas remarqué. Il pressent la fin de son couple. La tonalité sombre qui caractérisait dans le premier volet les scènes d’intérieur, dévolues au business, a envahi la sphère privée. Les enfants ne courent plus joyeusement comme dans Le Parrain I. Le monde semble s’être figé, ce qu’exprime très bien la neige au dehors. Ce n’est pas tout : le ciel lui tombe sur la tête lorsqu’il apprend de la bouche de Tom que Kay a fait une fausse couche. Michael semblait beaucoup attendre de ce fils à venir. Voulait-il le désigner comme l’héritier ? Le sage Anthony l’aurait-il déçu, comme Fredo décevait son père Vito ?
Fredo est, en effet, l’exact contraire de Michael. Frivole, efféminé (on le voit en tenue rose), paresseux, souvent inconséquent (il parle en présence de sa femme !), il n’a vraiment rien d’un Corleone. On avait déjà vu Michael à Las Vegas lui enjoindre de ne jamais prendre parti contre la Famille. Dans le deuxième volet, Fredo pousse le bouchon plus loin : il va pactiser avec les Rosato alliés de Roth, ceux-là même qui ont organisé un attentat contre Michael. Fredo et Michael, c’est un peu Caïn et Abel : le Godfather, comme Dieu dans la Genèse, a désigné un fils préféré en la personne de Michael. A l’instar de Caïn, Fredo veut-il tuer son frère par dépit ? Dans une franche explication, il criera sa rage d’être considéré comme le bon à rien, d’être aux ordres alors que Michael est plus jeune que lui, comme Abel était le cadet de Caïn. Mais il a trahi, et rien ne peut excuser cela. Le premier baiser, lors du Nouvel An, est un baiser de mort de Michael qui a découvert quelques instants plus tôt sa trahison. Il lui crie son amère déception mais n’a pas encore décidé de le faire tuer, ne voulant pas imposer cette épreuve à sa mère. La véritable « étreinte de la mort », ce sera le jour des obsèques de celle-ci : Fredo s’agrippe désespérément à son jeune frère, ignorant que son sort est déjà scellé.
Ce sera en allant à la pêche, activité de loisir s’il en est, à laquelle il avait commencé d’initier le jeune Anthony – la complicité entre les deux accrédite l’hypothèse formulée ci-dessus. Celui-ci est rappelé à la maison, et pour cause. Avant son exécution au milieu du lac, Fredo aura eu le temps d’expliquer sa technique pour prendre du poisson, à base de Je-vous-salue-Marie. La scène, touchante, renvoie là encore à un souvenir de Coppola.
Alors qu’en montage alterné on voit Vito tuer pour venger sa famille en Sicile, Michael s’attaque à la sienne. Il creuse lui-même la tombe de sa solitude : son fils ne l’avait-il pas averti en le dessinant seul à l’arrière d’une voiture blindée ? Kay l’a quitté, après que Michael a levé la main sur elle. Sa femme lui a révélé en effet qu’elle n’avait pas fait une fausse couche mais avorté, pour ne pas ajouter à la lignée monstrueuse des Corleone. Cette idée crue, qui vient de la sœur de Coppola et qui fut d’abord écartée par le réalisateur, s’avère d’une grande force. Kay a commis un double crime : tuer un fils et prendre le pouvoir en tant que femme. La révélation est intolérable pour Michael dont le visage se décompose, rappelant sa métamorphose au moment de tuer Sollozzo et McCluskey. Il chasse sa femme de la maison : la porte se referme sur Kay venue voir ses enfants, comme elle s’était refermée sur elle à la fin du premier volet.
Tom aussi est éloigné, victime de la paranoïa du tourmenté Michael (à laquelle Coppola, dans un bonus du DVD, relie celle de Nixon à cette époque). Disons plutôt qu’il subit un certain nombre de vexations. Déjà dans Le parrain I, on se souvient que Michael l’avait rétrogradé de conseiller à simple avocat. Là, il lui demande de sortir au début alors que don Vito le gardait toujours auprès de lui. A la fin du film, il menace de le chasser s’il ne marche pas avec lui pour organiser l’assassinat de Roth, que Tom juge trop risqué. Il avait vu juste, un homme y laissera sa peau, comme son garde du corps à Cuba, alors que Michael n’expose jamais la sienne dans les plans qu’il ourdit. On se souvient que don Vito avait renoncé publiquement à venger son propre fils Sonny pour mettre fin au cycle de violences. Michael avait choisi un tout autre chemin, dont cette deuxième partie n’est qu’une conséquence : la haine de Roth vient de l’assassinat de Moe (elle éclate à Cuba dans le regard de Lee Strasberg), quand la trahison de Fredo vient de l’humiliation que lui a fait subir Michael. Mais celui-ci s’enferme dans ses erreurs, qui l’isolent chaque jour un peu plus. Le sang fuse en bouquet – Roth, Fredo, Frankie – exactement comme dans le final du Parrain I.
On a pu avancer que Coppola, ayant constaté que Michael avait les faveurs du public, a voulu descendre son héros. Choix extrêmement risqué – et d’ailleurs le II marchera moins bien que le I – qui viendrait d’un sentiment de culpabilité de Francis vis-à-vis de son frère aîné, celui-ci ayant été moins valorisé. Une hypothèse passionnante. Le contraste entre les portraits respectifs du père et du fils est en tout cas saisissant.
Le saint-esprit : le sens de la Famille oublié
Le sens de la Famille s’est dissout dans le crime à grande échelle. Vito, c’était le crime artisanal, presque sympathique. Michael est passé dans la cour des grands. Il y lâche sa famille et y perd son âme.
Lorsque le film commence, Anthony vient de faire sa communion. Toujours l’importance des sacrements religieux… S’ensuit une grande fête, comme au début du premier volet. Avec quelques différences, significatives.
Il y a toujours des policiers à l’entrée mais on ne leur manifeste plus d’hostilité. Au lieu de briser l’appareil photos des journalistes, on pose complaisamment pour le cliché officiel avec le sénateur. Beaucoup plus de monde : on a changé de dimension. Pentangeli, un vieux compagnon de feu Vito, déplore que l’orchestre ne joue pas de tarentelle et qu’il n’y ait ni saucisse ni piment. Il enrage de devoir prendre son ticket pour voir Michael et, lorsqu’enfin il obtiendra son audience, il vitupèrera contre Michael qui veut traiter avec Hyman Roth, auquel son père n’aurait jamais fait confiance.
Dès cette scène de fête, le diagnostic est posé : le sens de la famille s’est perdu. Le nouveau Parrain en a tellement conscience qu’il pique une crise face à sa soeur Connie qui prétend introduire son petit ami dans la famille. Totalement injuste car lui-même a bien épousé une non Italienne ! Au souci d’équité et au calme de Vito répond donc l’arbitraire énervé ou glaçant de Michael. L’angoisse qui l’étreint se manifeste par un rigide repli sur soi. Bien plus tard, Michael ira trouver sa mère au coin du feu, l’interrogeant : est-il possible de perdre sa famille ?
Ce sens de la famille est illustré astucieusement dans la scène du comité sénatorial. Frankie était parti pour témoigner à charge, voilà qu’il se dédie, simplement parce qu’il a vu, dans le public, son frère amené spécialement de Sicile – probablement une idée de Tom. Frankie préfère aller en prison plutôt que de trahir son sang. Le principal témoin à charge étant tombé, Michael est sauvé. Mais, intérieurement, il a sans doute entendu la leçon donné par le vieux compagnon d’arme de son père.
Le nouveau Parrain oublie ses racines, en ne faisant pourtant qu’essayer d’accomplir le voeu initial de son père : s’assimiler, devenir quelqu’un de respectable, hors de la délinquance, pourquoi pas finir sénateur ? Là aussi, times have changed : le sénateur qui vient le menacer dans son bureau où, comme Vito au début du premier volet, il reçoit des visiteurs alors que la fête bat son plein, n’a rien de respectable : raciste, cynique, corrompu, il marque bien le changement d’époque. Don Vito avait les politiques dans sa poche, ce qui asseyait son autorité dans le milieu, mais comment faire de même avec des politiques de cette nature ?
Un Parrain ne peut pas se coucher : Michael non seulement décline « l’offre » que lui fait le sénateur mais il lui assure que c’est lui qui devra payer. Le panache, toujours, primordial pour préserver sa stature. Comment le fera-t-il plier ? Bien qu’il y ait une ellipse conséquente, on peut penser que le sénateur a été drogué dans un lupanar et que la prostituée avec laquelle il batifolait a été sauvagement lacérée : image violente, qui rappelle la tête de cheval de la première partie. Cette situation embarrassante l’amène évidemment à se montrer plus docile vis-à-vis du clan Corleone.
Dans la scène d’ouverture, alors que le couple danse, Kay lui rappelle sa promesse faite il y a près de 10 ans : « dans 5 ans tout cela sera légal ». Michael est tiraillé entre son devoir de reprendre l’organisation bâtie par son père et celui d’accomplir ce destin de respectabilité initialement tracé. Il ploie sous ce poids qui pèse sur ses épaules : on ne le verra jamais s’amuser insouciant, même dans la boîte à Cuba où l’excitation règne face à un spectacle de striptease.
Cette tension a quelque chose de tragique : comme dans le I, Michael ne peut pas échapper à son destin. On lui a fait « une proposition qu’il ne peut pas refuser », comme le note avec pertinence le même Eric Schwab : celle de prendre la suite de son père. Le tragique naît de l’impossibilité de conjuguer deux injonctions faites par le Godfather : préserver la famille tout en s’assimilant au rêve américain.
Ce second projet était pourtant celui de Michael au départ : qu’on se souvienne comme il est tenu à l’écart des affaires au début du Parrain I. Dans une ultime séquence d’anthologie, Coppola a l’idée de mettre en scène un repas familial (un tropisme du réalisateur qui commençait toujours ses tournages par un grand repas où il invitait ses acteurs à improviser) qui se situe avant la fête de mariage du premier volet. On fête l’anniversaire du pater familias. Michael, visage tout lisse de jeune homme, explique qu’il s’est engagé dans l’armée. Lorsque Sonny explique que la Famille passe avant la nation, son jeune frère lui répond : « pas d’accord ». Il est donc bien dans la logique d’assimilation que montre ce deuxième volet. On sonne à la porte : c’est don Vito, qu’on ne verra pas puisque Brando a refusé d’apparaître, ne fût-ce que pour une scène. Pas grave : Coppola le laisse hors champ et cadre Michael resté seul à la table. Déjà seul donc, dès le début. Un destin. Il y a décidément quelque chose de Shakespearien dans cette saga des Parrain. A suivre… 16 ans plus tard.