Réalisé avec un budget minimal, Blue Jay fait partie de ce cinéma des bonnes surprises. Subtilité, fraicheur, casting réduit, intimité retrouvée, le tout dans un contexte de comédie romantique qui déjoue les codes du genre.
Blue Jay est caractéristique du cinéma mumblecore (tourné en sept jours, budget minimal, caméra numérique, etc.) Le petit récit, d’une simplicité rare, évoque tout en interstices, en demi-mots, en insinuations, sans flashback, malgré des cassettes audios du passé qui seront les seules capsules temporelles avec un journal intime et une lettre plus ou moins énigmatique. La rencontre hasardeuse entre deux anciens tourtereaux qui vont vivre une journée ensemble rappelle la trilogie des Before. Ici, c’est l’histoire d’un acte manqué. C’est à lui qu’elle avoue qu’elle est sous antidépresseur, et non à son mari. C’est à lui aussi qu’elle avouera qu’elle n’a jamais vécu quelque chose d’aussi créatif et intense. Elle n’arrive plus à pleurer depuis plus de cinq ans, mais avec lui, ce sera possible. Le destin semble vouloir les réunir. La focale sur des moments intimes où chacun essaye, sur un fil, de tester, jauger, d’appréhender l’autre, en se risquant à la confidence, permet de ne pas se disperser et d’amplifier l’authenticité de l’instant présent, en vue d’un futur hypothétique. Ils n’auront pas besoin de se réapprivoiser. Le coup de cœur sera instantané. Aucun étiolement ne se manifestera, rien ne s’effilochera, malgré une cassure, un contraste soudain, car il y aura évidemment des comptes à régler, une ancienne époque à mettre en lumière, quelque chose à réparer. L’œuvre raconte peu de choses, mais semble le dire mieux que personne. Le tout contient seulement deux acteurs, mais leurs reparties, leurs improvisations font systématiquement mouches. Ils mettent en scène la féerie d’antan dans un jeu dangereux, et sont remarquables dans leurs différents comportements, leurs attitudes, leurs gestuels, leurs langages corporels particulièrement éloquents. Leurs expressions/leurs expressivités sont souvent légères et jamais dans le surjeu, la théâtralité, l’exagération malgré l’euphorie, la jubilation de la plupart des scènes. L’ensemble opte surtout pour la générosité : ils donnent ce qu’ils ont en eux de façon crédible et le spectateur finit par tout prendre avec beaucoup de plaisir, dans ce qui est parfois un chavirement à sensations fortes. La personnalité des deux amoureux se retrouve transcendée quand ils sont unis, comparativement à leur état dans leur vie respective. Chacun est pour l’autre l’amour de sa vie, ce qui ne semble pas forcément suffisant. Mais le printemps renouvellera peut-être la situation, construira de nouveaux enjeux sentimentaux, une nouvelle page amoureuse. Il s’agit donc d’un film sur les intuitions et les mémoires, quand elles sont partagées, réinitialisées, le tout, dans un noir et blanc soyeux. Ce dernier pose la question de la valeur d’un souvenir, dans l’absolu, mais aussi dans le contexte de sa transmission, de comment le chérir, le préserver, malgré des circonstances d’altérations, consécutives à une expérience a posteriori, qui peut générer le rejet et l’abrogation. Le tout s’achève en trois points de suspension…
Bande-annonce : Blue Jay
Fiche Technique : Blue Jay
Synopsis : Réunis par hasard quand ils retournent dans leur petite ville natale en Californie, deux anciens amoureux réfléchissent sur leur passé partagé.
- Titre : Blue Jay
- Réalisation : Alexandre Lehmann
- Scénario : Mark Duplass
- Musique : Julian Wass
- Montage : Christopher Donlon
- Costumes : Stacey Schneiderman
- Pays d’origine : États-Unis
- Langue de tournage : anglais
- Format : noir et blanc
- Genres : Romance et drame
- Durée : 80 minutes
- Dates de sortie : États-Unis : 7 octobre 2016 ; France : 6 décembre 2016
- Distribution :
- Mark Duplass (VF : Guillaume Lebon), Jim Henderson
- Sarah Paulson (VF : Laurence Dourlens) : Amanda
- Clu Gulager : Waynie