L’illustration de couverture ne peut qu’attirer l’attention. Effectivement, cet album signé Léo Quievreux ne manque pas d’originalité, tant par son scénario que par son traitement graphique. Il faut savoir que Spécimens prolonge Le programme immersion (2015) et Immersion (2018) dont les illustrations de couvertures étaient déjà dans le même style.
Situé dans un futur proche, Le programme immersion montre plusieurs groupes d’espions et une organisation criminelle se disputer la récupération du prototype de la machine EP1 (Elephant Program One), dérobé par Anna qui opère pour le compte de la NAIA. Le boîtier en question permettrait d’inspecter les souvenirs des agents auxquels on le brancherait (situation finale de l’album) et dévoilerait des champs mentaux inexplorés.
Le second volet
Immersion s’ouvre sur le procès de Per Esperen, membre de l’Agence (en lutte contre la NAIA) et accusé d’avoir utilisé le boîtier EP1 à des fins personnelles. Mais Esperen et son adversaire Le Chauve restent hors de portée de la réalité, prisonniers de l’espace mental issu de la connexion d’Esperen au boîtier. Les dirigeants de l’Agence réalisent que le programme leur échappe complètement. La connexion d’autres agents ne fait qu’apporter davantage de confusion, distorsions, dysfonctionnements, etc. Le programme semble désormais fonctionner dans une logique dévoratrice…
Le troisième volet
Dans Spécimens, une certaine Monica (mère de Stanley et Alexander) se propose d’explorer ce qu’il reste du programme. Étant donné que des signaux ont été observés dernièrement, il semblerait que le broyeur (destiné à détruire toute trace de ce programme devenu incontrôlable) n’ait pas été totalement efficace. Contacté par Monica, le Président de l’Agence lui donne son accord. Dans le même temps, on comprend qu’Alexander (visage impassible, comme s’il portait un masque) est déjà en action, à pister les traces de personnes en contact avec le programme en question. Mais l’intervention de son frère, Stanley, dont le visage apparaît complètement flou, donne à réfléchir. Alexander est en contact (agence d’Essex) avec un groupe qui lui présente les fiches signalétique d’agents impliqués dans le programme. On va jusqu’à lui présenter les « originaux » qui sont au nombre de sept, chacun allongé sur un lit, dans une vaste salle. L’ensemble ne peut que rappeler la salle de la clinique où les victimes des sept boules de cristal sont présentées à Tintin dans une scène que les amateurs connaissent très bien (d’ailleurs, comme chez Hergé, un huitième lit encore vide, reste disponible).
Suite et fin ?
Les péripéties s’enchaînent tout au long des 80 planches, avec pas mal de surprises jusqu’à l’ultime planche où ne figure pas le mot fin, comme s’il fallait attendre un nouveau prolongement à l’ensemble déjà existant.
Un programme à effets déroutants
Autant dire qu’il vaut largement mieux connaître les deux albums précédents pour bien profiter de celui-ci. À vrai dire, il m’est impossible de garantir que l’ensemble soit vraiment clair, tant l’auteur s’ingénie à brouiller les pistes. Ici, bien des planches ne comportent aucun dialogue et d’autres comportent des dialogues en italien (non traduits), ce qui contribue à l’effet général et incite à l’interprétation. Après tout, pourquoi pas, étant donné la volonté de nous introduire dans un univers qui échappe à ce qu’on pourrait appeler la réalité tangible, ce que l’auteur agrémente de décors aux traits géométriques. On comprend néanmoins que la connexion au boîtier implique des conséquences particulières, l’une d’elles étant semble-t-il l’apparition de clones, ce qui évidemment ne simplifie pas la donne.
L’univers de Léo Quievreux
Alors, même si le scénario a de quoi laisser perplexe, on apprécie l’aspect esthétique, avec un noir et blanc de qualité. Outre l’illustration de couverture qui marque par un aspect très géométrique qui retranscrit de manière convaincante l’univers parallèle issu de la connexion avec une machine, l’auteur se montre aussi à l’aise pour faire sentir les effets inattendus de la machine que pour montrer un décor hyper réaliste digne d’un dessinateur particulièrement rigoureux. L’album met donc en lumière la capacité de Léo Quievreux à embarquer son public dans un univers virtuel où il se fait un malin plaisir de brouiller les pistes. De plus, l’aspect esthétique mérite le détour.