Généralement vue comme une sorte de modèle, la société suédoise en prend un sale coup sous l’inspiration d’Erik Svethoft, scénariste et dessinateur de ce roman graphique totalement inclassable. Du spa (très prisé des Scandinaves), symbole de détente dans un univers bien policé, l’auteur donne ici une représentation cauchemardesque.
La présentation éditeur (quatrième de couverture) décrivant le dessinateur comme « le nouvel enfant maudit de la bande dessinée suédoise », on ne s’étonnera pas d’un contenu franchement dérangeant. Au tout début, un couple d’âge mûr rentre à la maison. Ils habitent un appartement dans une cité de type HLM apparemment malfamée, puisque sous leurs fenêtres on observe plusieurs individus armés de bâtons cloutés, armes improvisées mais néanmoins particulièrement dangereuses (lointain héritage des Vikings). À l’intérieur, notre couple découvre des scènes si étranges qu’ils vont jusqu’à se demander s’ils sont bien chez eux. En effet, plusieurs cadavres humains gisent là. Mais, qui sont ces morts et que font-ils là, nous ne le sauront jamais. À cette scène incongrue s’ajoute le fait que le couple finit la soirée comme si de rien n’était. Leur seule réaction est de décider de partir quelques jours en espérant que la situation se sera améliorée à leur retour.
Luxe, calme et… cauchemar
Voilà notre couple dans un hôtel de luxe qui propose de nombreuses prestations, dont le spa du titre. Dans cet établissement immense, l’un des clients y cherche désespérément sa chambre (situation récurrente). Malgré la présence de nombreux clients, comment ne pas penser à l’hôtel Overlook dans Shining ? On suit quelques-uns de ces clients, ainsi que plusieurs membres du personnel, dont le directeur et sa secrétaire. Malgré le luxe, insidieusement le malaise s’installe. En particulier, il semble qu’il y ait des fuites dans le système de circulation d’eau. Le résultat sur les dessins (noir et blanc, dans un style épuré qui met bien en valeurs les effets recherchés) donne une impression bizarre, avec des trainées d’un noir bien sale, comme s’il s’agissait de pétrole. Le malaise s’accentue avec des personnages aux visages inquiétants (ces regards !) et l’intervention de réparateurs aux allures de gnomes, à l’enthousiasme irresponsable façon gremlins. Il se passe également quelque chose de pas net du côté du directeur, un homme dont la petite moustache ne fait qu’accentuer l’impression de rigidité qu’il donne, peut-être un reflet de la difficile relation qu’il entretient avec son père. Le directeur doit faire face à une délégation d’inspecteurs qui se révèlent être des racketteurs impitoyables. L’étrangeté des lieux s’accentue avec l’apparition de créatures étranges aux allures monstrueuses qui apparaissent sans crier gare (l’illustration de couverture en donne un exemple). L’ensemble est très difficile à interpréter, car les clients de l’hôtel continuent de profiter du lieu, imperturbablement. On peut donc se demander qui voit ces créatures monstrueuses. Parmi les multiples interprétations possibles, j’imagine bien ces apparitions comme des projections issues de l’esprit des divers clients, ouvrant des abîmes insondables en opposition avec la placidité desdits clients. Mais… place au cauchemar !
Effets et influences
Ce roman graphique affiche une véritable originalité de forme et d’esprit. Pour la forme, nous avons l’aspect de l’objet lui-même avec son format moyen, épais (328 pages non numérotées) et sa couverture avec illustration en rouge (sang) et noir, un rouge qui imprègne les bords des pages et que l’auteur utilise pour les textes (pas spécialement envahissants). Ce roman graphique réussit donc haut la main son pari de mettre mal à l’aise, mais il pèche un peu par son accumulation de scènes d’horreur et de violence, en négligeant les enchaînements (autre influence cinématographique, avec ces passages brusques d’un plan au suivant). Par moments, cela mériterait quelque chose comme un chapitrage. Parmi les autres influences, on peut citer des échos au cinéma de David Lynch et au folklore japonais tel qu’il est utilisé dans le manga d’horreur. Certaines situations sont franchement surréalistes. Svethoft s’inspire aussi de la représentation de l’horreur selon le peintre Edvard Munch. La bonne surprise, c’est que si les références sont multiples, la manière et l’univers du dessinateur sont bien personnels. Et si bien des détails peuvent prêter à interprétation, on sent la critique féroce de la culture du bien-être réservé à une élite qui se complaît en se contentant de profiter du luxe et faisant passer le temps à coups de discussions creuses. On peut imaginer que leur façon de poursuivre leur semblant d’activité en ignorant les créatures monstrueuses qui les entourent symbolise leur désintérêt pour tout ce qui affecte notre monde. On remarque au passage qu’à la fin, le couple s’étonne d’avoir les moyens de profiter d’un tel luxe. Une œuvre aussi déroutante que fascinante.