Loctudy (Finistère), septembre 1963. Les vacanciers ont déserté cette station balnéaire. Restent les locaux, et parmi eux trois futurs étudiants, Albert, Francis et Édouard qui passent régulièrement le temps ensemble, sur la plage et dans la ville. Leur confrontation avec un autre trio, de passage marquera leur passage à l’âge adulte.
À la 18è brocante de la ville, Albert, Francis et Édouard fouinent. Devant un homme assis (petite barbichette et béret vissé sur le crâne), lisant Le canard enchaîné la pipe au bec, ils s’intéressent à un meuble à pain. Albert, blond mince de 18 ans au visage un peu allongé, marchande (influence du père) avant de conclure l’affaire. Cette introduction en quelques planches permet de planter le décor et une bonne partie des personnages principaux. Bientôt les garçons se retrouvent bien plus libres, car les parents sont repartis (probablement vers Paris), leur laissant les maisons. Même si on sent ainsi que les familles ont les moyens, le fait que ces trois garçons même pas majeurs (21 ans à l’époque) soient ainsi livrés à eux-mêmes manque de crédibilité.
Bain de minuit
Les trois garçons sont donc sur la plage, de nuit, autour d’un feu, à boire les quelques bouteilles qu’ils ont pu récupérer ni vu ni connu dans la cave de l’un d’entre eux. C’est alors qu’un groupe de trois personnes fait irruption au bord de mer. Albert va voir ce qui se passe et tombe sur une jeune fille qui demande à se joindre à eux. Ils ne vont pas faire la fine bouche, surtout qu’elle s’intéresse à eux, ce dont ils n’ont visiblement pas l’habitude. Très libre et chaleureuse, Odette annonce qu’elle est en vacances permanentes. Elle dit être venue se baigner et, sans plus attendre, se déshabille en proposant un bain de minuit. Les garçons ne se font pas prier.
Amour et perspectives
À partir de là commence un jeu bizarre qui va révéler progressivement une situation qui évolue constamment. Albert devient fou amoureux d’Odette avec qui il va vivre un amour d’autant plus intense que c’est le premier et qu’il lui ouvre des perspectives totalement inattendues. Tellement inattendues qu’elles vont lui révéler des potentialités personnelles qu’il n’imaginait absolument pas. Par amour, il va se sentir capable de briser tous ses tabous, en particuliers ceux imposés par sa famille, mais également ceux imposés par la société.
Manipulations diverses
Peut-être inspiré par des souvenirs personnels (mais il est né en 1961), Pascal Rabaté propose ici un roman graphique (150 pages) qui prend toute sa dimension progressivement. D’une situation en apparence banale au premier abord, il fait évoluer son petit monde dans des situations qui servent de révélateurs. Pour Albert, il s’agit d’une sorte d’initiation amoureuse où les épreuves s’enchaînent, car Odette se révèle une jeune fille aussi charmeuse que manipulatrice (il semblerait qu’elle s’appelle en réalité Juliette Merlot, 21 ans). Il faut dire que lorsqu’il apprend ses origines, Albert va comprendre pourquoi la jeune fille fait équipe très fidèlement avec son tonton. Odette/Juliette n’a aucun mal à se faire accepter par le groupe des trois garçons lorsqu’ils se croisent à nouveau en ville et en plein jour, surtout que c’est Albert qui l’aborde.
Odette
Elle fait donc équipe avec son tonton ainsi qu’un autre personnage. Leur spécialité : cambrioler les belles demeures pour y dérober tout ce qui peut ensuite se revendre. Ils utilisent d’ailleurs une sorte d’entrepôt où ils stockent ce qui leur reste encore sur les bras. Odette leur sert en quelque sorte de rabatteuse auprès de jeunes garçons suffisamment naïfs pour entrer dans son jeu de séduction. Une fois qu’elle les tient, ils ne peuvent qu’apporter leur aide au trio qui a besoin de bras pour déménager les objets lourds et encombrants, des meubles par exemple.
Faiblesse de la logistique
Si l’histoire de Rabaté prend progressivement de la consistance pour amener des situations où les caractères se forgent et se révèlent, ce n’est pas sans quelques faiblesses scénaristiques. Ainsi, le trio auquel appartient Odette est sensé ne pas s’attarder dans le coin. On ne comprend pas trop, alors, comment ils s’organisent. Comment ont-ils acquis l’usage du dépôt où ils stockent leur matériel. Comment se débrouillent-ils pour revendre ce qu’ils volent ? Parce que la brocante de Loctudy, ce ne peut être que du gagne petit !
Les choix du dessinateur
Autre point délicat, les couleurs très pâles choisies par le dessinateur. Elles peuvent être vues comme des couleurs un peu passées, un peu comme si tout cela provenait de vieilles photographies. Mais cela donne un résultat décevant. Le mieux aurait peut-être été de se contenter du noir et blanc (version existante). Quant au dessin, la déception c’est que Rabaté se contente pour l’essentiel de silhouettes et de visages aux traits peu marqués. Le petit miracle, c’est que finalement et en particulier pour Odette, le rendu est suffisamment bon pour qu’on se fasse une idée assez précise de son physique. C’est moins vrai pour Albert.
Les choix du scénariste
Je ne trouve pas la fin très convaincante. Que le trio de cambrioleurs se laisse convaincre par Albert de rester encore quelques jours dans la région, au vu du beau coup qu’il leur suggère, pourquoi pas. Que ce coup se révèle finalement comme celui de trop, c’est une histoire vieille comme le monde. Par contre, la raison qui fait que tout cela tourne mal ne convainc pas trop. Le final quelque temps après est beaucoup plus convaincant. Il donne toute sa force au lien qui s’est tissé entre Albert et Odette. Le fait qu’Albert soit allé contre les recommandations d’Odette (qui ne voulait pas que sa vie sentimentale interfère avec son activité au sein du trio) a montré la force de son attachement, de même que sa décision d’aller au bout de son amour pour elle quitte à se mettre à dos toute sa famille. À son âge et pour un premier amour, c’est tout à fait crédible. Finalement, l’originalité de l’histoire et son traitement sous forme de roman graphique qui permet à l’auteur de prendre son temps pour établir une ambiance et faire le tour des caractères de ses personnages principaux (détail significatif : Albert dit vous à ses parents) l’emporte sur les quelques points qui chiffonnent un peu.