Sermilik – Là où naissent les glaces (il est libre, Max)

Librement inspiré de la vie du français Max Audibert, ce roman graphique de Simon Hureau se révèle plein de vie, d’humour et de péripéties qui font plaisir à voir.

Simon Hureau a croisé Max Audibert là où celui-ci vit depuis trente ans maintenant, dans le village de Tiniteqilaaq (80 habitants), sur la côte est du Groënland, un peu à l’écart de la capitale Nuuk et au bord du fjord Sermilik. Au fil de longues discussions, Max s’est livré progressivement. Rien ne prédestinait ce Marseillais d’origine à vivre dans le grand nord. Mais il a eu le coup de foudre pour cette région qui est devenue son rêve, un rêve dont il a fait sa vie. Un peu idéaliste mais surtout très obstiné, curieux, adaptable, enthousiaste et perfectionniste, Max a surmonté toutes les difficultés pour s’épanouir là-bas et y trouver celle avec qui il a fondé une famille.

Le parcours de Max

S’installer dans le grand nord sur une sorte de coup de tête est une chose, y faire sa vie en est une autre. Il faut supporter le climat et s’adapter à un mode de vie très marqué par des traditions orales (la transmission de savoirs, ainsi que le simple fait de raconter). Pour s’intégrer pleinement à Tiniteqilaaq, Max ne pouvait que devenir pêcheur. Cela voulait dire apprendre à parcourir d’immenses étendues glacées avec un traineau tiré par des chiens, apprendre également à naviguer en kayak (accessoirement, apprendre à construire le sien) et maîtriser des techniques de pêches bien particulières. Pour diriger les chiens, Max a appris à ne pas faire de sentiments quand l’un d’eux commence à n’en faire qu’à sa tête, car la moindre déviation par rapport à la bonne trajectoire peut entraîner de terribles conséquences. La relation avec les chiens est explorée en profondeur, avec cette façon de survivre en commun, la confiance qui s’instaure quand chacun, homme et chien, connaît son propre rôle. Malgré quelques moments particulièrement difficiles, la complicité qui s’épanouit finit par apporter quelques touches d’humour dans un récit qui en comprend d’autres (voir par exemple la demande en mariage commentée). Bien entendu, cela dépend aussi du caractère de Max qui se montre éternel optimiste (même trop parfois) et ne dédaigne pas de jouer un peu. Quant à l’apprentissage de la pêche, il ne s’improvise pas et bien entendu les natifs du coin sont là pour voir comment l’étranger s’en sort (toute bévue marquerait les mémoires et contribuerait à sa réputation). Ce point crucial pour son intégration, Max le réussit à force d’obstination. Il devient pêcheur ainsi que chasseur (à l’ours et au phoque), ce qui vaut quelques péripéties.

Une région

Très significatif, ce roman graphique (207 pages, avec la préface et le petit dossier photographique de la fin) s’intitule Sermilik, plaçant la région au centre de l’album tout autant que Max. Cela passe par les nombreux paysages, entre eau et glace, les étendues gelées et neigeuses, la navigation le long des côtes, tout cela justifiant largement l’épaisseur de l’album. De plus, la narration est très axée sur les conditions de vie dans la région, avec de nombreux détails concernant les coutumes et les états d’esprit, ce qui est fondamental dans une région très peu peuplée où tout le monde connaît tout le monde. Bien évidemment, un faux pas ne s’oublie pas, mais la générosité et la solidarité sont également de mise. Enfin, la BD fait un état des lieux de l’évolution des conditions de vie, avec tout ce que le progrès et le modernisme apportent ici aussi. Concrètement, désormais un pêcheur à Tiniteqilaaq n’a plus d’avenir (le mode de vie séculaire que Max est venu chercher dans cette région risque fort de disparaitre, sacrifié sur l’hôtel de la rentabilité). Du coup, pour y rester, Max se reconvertit comme instituteur avec un double avantage : donner à ses enfants une éducation à la hauteur de ce qu’il estime satisfaisant, tout en s’épanouissant intellectuellement et humainement. Il y consacre beaucoup de temps et d’énergie… au détriment de sa vie de couple. En effet, la femme d’un pêcheur a de quoi s’occuper à la maison contrairement à celle d’un instituteur. En contrepartie, la fille de Max lui dira plus tard qu’elle est Inuite, signe d’une parfaite intégration.

Quelques petits regrets

Constituée de pas mal d’anecdotes, cette BD passe parfois de l’une à l’autre sans véritable transition, ce qui se révèle quelquefois déconcertant. Et puis, elle n’aborde pas le fait que certaines espèces deviennent de plus en plus menacées (l’ours polaire pour citer un exemple), peut-être parce que Max arrive sur place alors que tout se passe encore selon des traditions séculaires.

Un style

Globalement, le dessin (dont une bonne partie à l’aquarelle) est séduisant, avec de belles couleurs qui ne recherchent pas d’effet tape-à-l’œil et un trait aussi expressif que dynamique. De plus, l’histoire marque par une fantaisie d’inspiration, puisque certains animaux s’expriment (entre eux). Chez Max, une peau d’ours sur le congélateur échange des commentaires avec le crâne d’un autre ours, tué récemment. Dehors, les corbeaux discutent de manière plus générale, à propos de tout ce qu’ils observent. Cette originalité contribue à faire sentir que dans ce coin, hommes et animaux vivent ensemble, même si les relations restent cloisonnées. Une belle réussite !

Sermilik – Là où naissent les glaces, Simon Hureau
Dargaud, mai 2022
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