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« Red Room » : horreur et voyeurisme

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Delcourt publient Red Room, du scénariste et dessinateur américain Ed Piskor. Récit horrifique foisonnant de vignettes gores et spectaculaires, ce dernier se penche sur les instincts humains les plus primaires à la faveur de chaînes de torture porn dissimulées dans le dark web.

Red Room repose sur quatre récits interconnectés, liés entre eux par le torture porn qui les sous-tend. Le scénariste et dessinateur américain Ed Piskor imagine des chaînes vidéo abritées sur le dark web, sponsorisées par les crypto-monnaies de voyeurs pervers et sadiques, poussant leurs auteurs à aller toujours plus loin dans la violence et l’abjection. En ce sens, ces « réseaux antisociaux » portent à incandescence les instincts humains les plus primaires, instituant une zone virtuelle de non-droit où les pulsions les plus malsaines peuvent s’exprimer en toute liberté. Ces espaces enfouis dans les profondeurs de l’Internet, dessinés sans pudeur, dans leur dimension la plus spectaculaire, feraient passer Funny Games et les snuff movies pour des contes pour enfants.

Dans les commentaires additionnels qui ponctuent Red Room, Ed Piskor citent certaines de ses influences : Alan Moore, Todd McFarlane ou Stephen King ont tous investi l’imaginaire de l’illustrateur américain, au même titre d’ailleurs que la pandémie de Covid-19 (ce fameux masque de médecin de la peste). Nul doute que Ça, Le Silence des agneaux, Saw, Hostel ou Massacre à la tronçonneuse lui ont également inspiré quelques vignettes. C’est la conjonction de toutes ces figures tutélaires, volontiers sépulcrales et horrifiques, qui sert d’écrin à une Amérique rendue au dernier degré de la violence et de l’infamie. Une nation constituée de pères de famille dérangés, de filles vengeresses, d’ex-prostituées tueuses en série, de hackers dévoyés et de juristes corrompus… Un pays anesthésié qui ne vit plus que par électrochocs, à l’occasion de séquences atroces et sanguinaires n’appelant que surenchère et validation sociale sur des forums…

Ed Piskor n’épargne rien à ses lecteurs. Ses planches en noir et blanc (ou plutôt beige) abondent d’inserts terrifiants, de monstres iconiques et de figures en perdition. La violence est stylisée, la mise à mort glaçante et inventive, les personnages tous négatifs, ou presque. Un homme recueilli sur le toit d’une Église, après une montée des eaux, finira entre les mains d’un chirurgien captif qui le transformera en gueule de cinéma aussitôt destinée à finir en chair à canon. Pendant ce temps, un public anonyme mais exigeant se montre las de voir se répéter continuellement les mêmes actes de torture. Même l’abjection se doit d’être renouvelée. Red Room enchâsse tellement les individus dans la turpitude qu’on peine à identifier qui, des tortionnaires ou de leur public, des bourreaux ou de leurs victimes en quête de vengeance, demeurent les plus à blâmer. On pourrait d’ailleurs prolonger la réflexion en questionnant notre propre rôle de lecteur-voyeur, et c’est peut-être là, qui sait ?, l’objet principal de l’album d’Ed Piskor.

Red Room, Ed Piskor
Delcourt, septembre 2022, 208 pages

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