Pile et face, les deux aspects d’un visage

New York, East village, début décembre 1941. Les musiciens Harvey Meulen et Ross Manson travaillent à la préparation d’un spectacle qu’ils comptent présenter à Broadway. L’attaque de Pearl Harbor vient contrarier leurs plans et modifier leur destinée. Harvey Meulen intègre l’US Air force et quand il retrouve l’Amérique, il n’est plus le même. Mais il retrouve aussi son capitaine qui, bien qu’effaré, trouve l’idée qui va changer leur vie. C’est à Hollywood que le succès les attend !

Intitulé Pile & face, cet album constitue le premier volet de La peau de l’autre et, si l’illustration de couverture vise clairement le milieu du cinéma à Hollywood, le scénario (signé Serge Le Tendre) tarde à nous y emmener. Ainsi, jusqu’à la planche 11, on est à New York, puis jusqu’à la planche 17 à la guerre, ensuite jusqu’à la planche 25 à Washington, dans l’hôpital militaire où Harvey est soigné (il ne tolère que les visites de son capitaine et finit par accepter de l’appeler Jason). Nous avons droit ensuite au retour anonyme de Harvey à New York et à la réapparition de Jason qui lui raconte son exploration des camps nazis libérés, ce qui amène à son idée et au marché qu’il propose à Harvey. Une série d’esclandres fait comprendre comment et pourquoi ce marché se met en place. Et il faut attendre la planche 41 (sur les 52 que compte l’album) pour que l’action se situe enfin à Hollywood.

Pile ou face

Même si les planches qui précèdent permettent de montrer d’où vient le personnage de Harvey, on peut considérer que cette partie (les 40 premières planches) manque un peu d’originalité. En effet, à l’origine, Harvey est bien un musicien et rien ne dit que cette piste sera approfondie dans le second et dernier volet de l’histoire. Cette partie vaut surtout pour la relation entre Harvey et Ross Manson. En effet, Ross ne s’engage pas et reste à New York où il exploite le travail déjà fait pour monter la comédie musicale Heads or tails (Pile ou face), s’attribuant la pleine paternité de la chanson-phare composée par Harvey. D’ailleurs, d’emblée, Ross affiche une réelle tendance à l’appropriation, car c’est ainsi qu’il procède vis-à-vis d’une jeune femme prénommée Édith qui court les cachets à Broadway. Profitant du fait qu’Harvey reste concentré sur son travail de composition, Ross force le destin auprès d’Édith qu’il réussit à convaincre de l’épouser.

Savoir rebondir

Ce qui intéresse davantage les auteurs, c’est l’aventure de Harvey et de son capitaine (chirurgien dans le civil) à Hollywood. Le duo va fonctionner grâce à une idée assez tordue. Par contre, les physiques de Harvey et de son capitaine sont tellement similaires qu’on a tendance à s’y perdre (ce qui risque de devenir déterminant pour la suite). La dernière partie de l’album met en place une situation qui devrait leur permettre d’assurer leur succès. Mais, bien entendu, Ross et Édith y assisteront et Harvey n’oublie pas son ambition première. Aura-t-il les moyens et l’opportunité de parvenir à ses fins ? Comment la relation avec son ex-capitaine va-t-elle évoluer, surtout si le succès se confirme ? Sauront-ils se contenter de ce qui fonctionne ? On sent que le succès va inciter l’ex-capitaine à se permettre des fantaisies qui pourraient tout gâcher. La suite permettra d’en savoir davantage.

Aller au-delà des références

Tout en ouvrant un certain nombre de pistes, cet album laisse un peu dubitatif quant à son scénario, où certaines parties n’apportent pas grand-chose, sinon une ambiance et un vécu pour les personnages principaux. Il se lit assez rapidement et donne l’impression de manquer un peu d’originalité dans les thèmes traités. La référence à Boris Karloff risque de ne pas trop parler aux jeunes générations. La partie qui voit Harvey à la guerre incite à penser que les auteurs connaissent des séries comme Buck Danny et/ou Pin-up et le début évite toute prise de risque en investissant le milieu musical qui plaît toujours, comme celui des films d’horreur. On espère que la suite apportera quelque chose qui permettra à ce diptyque de sortir du lot.

Entre réussite et déception

Signé Gaël Séjourné, le dessin est d’autant plus agréable qu’il soigne les détails d’époque (architecture, véhicules, etc.). Gaël Séjourné s’occupe également des couleurs qui mettent en valeur l’ensemble. Son trait précis, les cadrages, quelques vignettes de plus grande taille que la moyenne et les attitudes des personnages sont réussis dans l’ensemble, avec un goût pour le hachurage qui apporte du relief en toute discrétion. Ma petite réticence, du moins pour l’instant, c’est qu’il me donne l’impression de produire un travail soigné plutôt qu’une œuvre d’art. Mais ne soyons pas plus dur qu’avec le scénario de Serge Le Tendre, la suite peut très bien nous valoir une bonne surprise.

Pile et face (La peau de l’autre, première partie), Serge Le Tendre et Gaël Séjourné

Bamboo éditions (collection Grand Angle), avril 2021, 56 pages

 
 
 
 
 
 
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