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« Perpendiculaire au soleil » : de la prison et de l’amitié

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Valentine Cuny-Le-Callet publie Perpendiculaire au soleil aux éditions Delcourt. Elle y raconte sa correspondance avec un jeune condamné à mort, Renaldo McGirth, leur amitié, mais aussi les dessous de la prison et du couloir de la mort.

Elle a dix-neuf ans quand elle entreprend une correspondance avec un jeune détenu américain, condamné à mort pour braquage et meurtre. Elle, c’est Valentine Cuny-Le-Callet, alors étudiante, et scénariste-dessinatrice de cette histoire autobiographique. Celui avec qui elle partage souvenirs et pensées, et à qui elle se liera bientôt d’amitié, c’est Renaldo McGirth, afro-américain, dix-huit ans au moment des faits qui lui sont reprochés. Il clame son innocence. Il est prisonnier d’une cage exiguë, privé d’horizon et de perspective, elle sera ses yeux et ses oreilles vers le monde extérieur. Tous deux partagent une même sensibilité artistique, une même envie de s’éveiller à l’autre, de communiquer, de comprendre.

Perpendiculaire au soleil n’est pas un roman graphique conventionnel. C’est une double déclaration d’amour à l’art, comme médium et comme exutoire. Les deux protagonistes se retrouvent et dialoguent à travers lui, avant de décider de partager leur expérience avec leurs lecteurs par son truchement. Le résultat est bluffant et les éditions Delcourt ont pris le parti, judicieux, de lui accorder un grand format à couverture cartonnée, avec un papier noble, dans lequel prennent place des dessins sophistiqués, en noir et blanc, et caractérisés par une grande variété de styles. Et si Valentine Cuny-Le-Callet signe seule Perpendiculaire au soleil, c’est uniquement en raison des entraves administratives qui empêchent aux États-Unis un détenu de tirer des avantages financiers de son crime.

Si l’amitié naissante entre l’autrice et son correspondant occupe une place centrale dans cet album, c’est le système carcéral américain qui s’y voit surtout mis à nu. Gestion des courriers entrants et sortants, visites pénitentiaires, révision des jugements, conditions carcérales, procédures de mise à mort, affects des détenus ou encore racisme et lynchages : nombreux sont les sujets brassés au fil du récit. Valentine Cuny-Le-Callet y apporte des détails et commentaires intéressants. Elle colore surtout le tout d’une noirceur inexpiable, à laquelle elle oppose par moments le sourire spontané de Renaldo, mais surtout l’humanité qui émane de ses courriers. À certains égards, on pourrait ranger Perpendiculaire au soleil aux côtés de Prison n°5, également publié aux éditions Delcourt, et dans lequel l’artiste et journaliste kurde Zehra Doğan racontait l’envers des prisons turques. On songe aussi, malgré leurs différences, à Midnight Express, Oz ou Les Évadés.

Autant empreint de tendresse que de désillusion, sortant grandi de chacune de ses digressions (de Jim Crow et ses représentations aux législations régissant la peine capitale), Perpendiculaire au soleil est un album dense, précieux, attaché à l’humain et ses besoins fondamentaux. Graphiquement, il recèle une vraie richesse, le dessin venant souvent suppléer le texte dans l’expression de sentiments et de situations qui, sans lui, resterait lacunaire. Une œuvre totale, pas loin d’être indispensable.

Perpendiculaire au soleil, Valentine Cuny-Le-Callet
Delcourt, août 2022, 436 pages

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