Pendant ce temps, que devient le voisin ?

Cet album qui faisait partie de la sélection officielle pour le festival d’Angoulême 2021 nous vient de Suède. Pelle Forshed prend le prétexte d’une disparition surprenante pour ironiser (en pratiquant l’humour noir) sur les états d’esprit de ses concitoyens.

L’album est centré sur un garçon nommé Sten qui habite dans une maison d’une banlieue propre de Stockholm. À la mort de son grand-père, il a hérité d’une collection d’insectes épinglés dans des boîtes. Son grand-père l’avait probablement initié, car Sten connaît beaucoup d’espèces et en ajoute régulièrement à la collection. Cela lui prend beaucoup de temps, ce qui inquiète ses parents qui trouvent qu’avec cette activité il se renferme et risque de ne jamais avoir de copains. Ils préféreraient franchement le voir sortir régulièrement pour faire du skate avec les garçons de son âge, ceux qu’il côtoie à l’école. Il faut dire qu’à l’école, il traîne une réputation d’empailleur depuis qu’il a récupéré une pie morte dans la cour de récréation. Ajoutons qu’il utilise un produit dégageant une odeur caractéristique, ce qui n’arrange pas son cas. Les rumeurs naissent pour un rien et se propagent à une vitesse inimaginable.

Une disparition

Le vrai souci se situe dans la maison des voisins, celle que les parents de Sten observent sans même le chercher particulièrement. Une famille vient d’y emménager. Or, à peine installés, voilà que le père s’est volatilisé et personne n’y comprend rien, surtout pas sa femme qui fait comme elle peut, aidée par sa sœur, pour s’occuper des deux enfants.

Une dépression

Du côté des parents de Sten, la situation n’est pas brillante. En effet, la mère qui prépare une thèse n’arrive pas à la finir. Elle travaille sur des théories à tendance existentialistes et relativise beaucoup trop l’importance de son travail par rapport à la vie quotidienne. Bref, à force de réfléchir, elle se trouve bloquée avec le moral à zéro, complètement dépressive. Bien entendu, cela rejaillit sur le moral général dans la maison, donc sur ceux de son mari et de Sten.

Des discussions

Même si la police fait son possible dans l’affaire de la disparition, aucune piste n’émerge et selon l’opinion générale, le disparu est mort. Dans ces conditions, il n’y a qu’un pas pour imaginer qu’il a été assassiné. Dans une petite ville résidentielle où il ne se passe quasiment rien, cela donne un sujet de réflexion et de discussions. Chacun.e se fait son idée.

Les ados

Avec ce roman graphique (191 pages), Pelle Forshed fait sentir à sa façon l’état d’esprit de ses concitoyens, en mêlant une quantité assez impressionnante de détails qui font mouche. Ainsi, il évoque l’univers des ados avec justesse, montrant un certain mal-être du côté de Sten qui se passionne pour quelque chose qui ne peut que l’isoler. Très rapidement, on sent comme ses parents qu’il se crée des inimitiés sans même le chercher. Les autres autour de lui ne sont pas spécialement nombreux, mais un meneur se manifeste sans tarder, pour dire ce qu’il faut penser de Sten et en faire le bouc émissaire tout trouvé. Sten a beau minimiser leur action, ils se montrent impitoyables et finissent par le traiter sans ménagement. Jusqu’où ira la méchanceté gratuite ?

Chez les voisins

L’angoisse monte avec l’incompréhension. Plus le temps passe, moins la police se fait d’illusions (d’ailleurs, les policiers ne sont jamais montrés, on sait juste ce qu’ils ont donné comme informations et rien n’indique qu’ils aient mené une enquête de voisinage). L’épouse du disparu ne peut pas croire à une fugue, alors qu’il venait de se donner à fond pour leur installation. Considérant que son mari est mort, elle développe des idées noires qui se manifestent par ce qu’elle recherche sur Internet.

Le disparu

Étant donné qu’il venait d’arriver, personne n’a rien à en dire, sauf l’auteur qui s’arrange très astucieusement pour nous en dire plus sur son état d’esprit en arrivant dans cette banlieue. Il avait tout prévu… sauf le petit dérapage aux conséquences vertigineuses.

Le style de Pelle Forshed

Le dessinateur vise une forme d’épure en n’insistant pas du côté des détails de description (silhouettes et visages pas spécialement fouillés), mais n’hésitant pas à donner des allures caractéristiques qui visent le ridicule. Surtout, il ose quelques visages qui ne mettent vraiment pas les personnages à leur avantage (voir le père de Sten). Souvent minimalistes, les décors reflètent un état d’esprit qui ne laisse aucune place pour l’originalité, dont la caractéristique se retrouve chez les parents de Sten, en particulier son père. La mère de Sten serait plus ouverte, mais elle est tellement perdue dans ses réflexions existentialistes liées à son travail de recherche qu’elle a quasiment perdu tout contact avec la réalité. On la voit souvent emmitouflée dans un peignoir immense qui lui donne une allure informe, comme si elle niait toute féminité. Si le dessin peut donc surprendre par un graphisme assez neutre, on réalise que la BD comprend néanmoins quantité de détails significatifs (et intrigants, comme ces disques noirs, dans des petits carrés blancs sur quelques coins de bas de planches). On sent rapidement que Pelle Forshed ironise à sa façon sur le mode de vie de ses contemporains, très uniformisé et tourné vers la rationalisation (beaucoup de communication par mails et SMS), au détriment de l’humain. Dans ces conditions, les individus risquent l’isolement et négligent leur rapport avec l’élément naturel qui pourrait leur apporter un certain réconfort (nette opposition de couleurs, entre des couchers de soleil flamboyants et un univers plutôt sombre). Parmi les détails significatifs, on note tout ce qui tourne autour d’un masque. Enfin, Pelle Forshed apporte tout son soin à la composition de ses vignettes (voir également l’illustration de couverture, très réussie, avec le jeune Sten devant un grillage, dans une ambiance sombre) et à un scénario qui ménage ses effets.

Pendant ce temps, Pelle Forshed
L’Agrume, septembre 2020
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3.5