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« Métro boulot boulot » : Germain Huby décortique le monde professionnel moderne

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Dans Métro boulot boulot, publié aux éditions Delcourt dans la collection « Pataquès », Germain Huby prend le parti de radiographier, avec une ironie délectable, le monde professionnel d’aujourd’hui, entre travailleurs aliénés, plateformes prédatrices, bullshit jobs et reconversions inattendues.

Germain Huby n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’il publiait en mars 2021, dans cette même collection « Pataquès », Vivons décomplexés, dont la parenté avec Métro boulot boulot saute immédiatement aux yeux : des récits d’une planche caractérisés par leur tonalité légère et ironique, mais reposant toutefois sur des enjeux sociétaux et des comportements humains bien réels. Là où l’artiste plasticien s’inscrivait dans les pas de Dino Risi ou de Damián Szifron en satirisant une société malade et désenchantée, il opte cette fois pour un effeuillage amusé du monde du travail, des espoirs déchus d’une institutrice au relâchement impossible de ces nouveaux retraités ayant tout sacrifié pour leur travail.

Il faut reconnaître à l’auteur et dessinateur français une capacité rare à tirer des détails les plus anodins de puissants ressorts comiques. Ainsi, les questions d’un futur père à une gynécologue lui permettent de deviner quel type d’individu deviendra l’enfant encore en gestation. Un accrochage automobile remplit d’émoi un homme découvrant à cette occasion à quoi servent les pièces qu’il assemble machinalement depuis des années sur des ateliers de montage. Des individus attablés et affairés dans un café renvoient aux frontières brouillés entre vie privée et professionnelle. « C’est un bistrot ici, pas le SAV d’Amazon », note un tenancier décontenancé. Et il en va de même avec ce père de famille ridiculement barbu cherchant à se reconvertir en… influenceuse mode, ce consultant s’étant longtemps moqué des travailleurs manuels avant de songer à la plomberie suite à son licenciement ou encore à ce couple de touristes chinois invités à ramener en guise de souvenir une tour Eiffel miniaturisée… semblable à celles qu’ils produisent eux-mêmes au pays !

Métro boulot boulot, c’est aussi cette coach sportive conservant ses réflexes professionnels à la maison (et même au lit), ce psychologue surinterprétant la moindre parole et le plus insignifiant des gestes, des acteurs pornographiques attendant sagement les derniers réglages techniques de leur équipe de tournage ou un chargé de com’ prié de faire du greenwashing à bon compte. Dans son entreprise de déconstruction, Germain Huby est bien aidé, il est vrai, par les mutations permanentes du monde du travail, par ces mécanismes d’uberisation ou ces techniques de management de plus en plus répandues mais de moins en moins compréhensibles aux yeux du travailleur (ou du consommateur) lambda. Dans ces conditions, la formule ne pouvait que fonctionner. Résultat : on sort revigoré d’une lecture qui, sous ses dehors humoristiques, a pourtant quelque chose de désespérant.

Métro boulot boulot, Germain Huby
Delcourt, septembre 2022, 56 pages

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Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray