Achille vit sur un amour qui date de plus de dix ans. Depuis tout ce temps, d’une manière ou une autre, il s’est perdu. Retrouvera-t-il celle qui reste chère à son cœur ? D’ailleurs, que devient-elle ? Et si le destin avait bien voulu qu’elle se souvienne de lui comme il se souvient d’elle ?
L’histoire comporte deux albums d’égale épaisseur (58 et 56 pages) qui se valent (même style, même ambiance), la lecture du premier incitant fortement à passer au deuxième (les planches comportent une seule numérotation, comme si l’auteur avait envisagé un unique album). L’histoire débute sur une plage où, à l’aide de jumelles, Achille observe un paquebot passer au large. En même temps que l’orage, une mouette (à moins que ce soit un goéland) l’approche et lui annonce qu’il mourra un mardi, justifiant pleinement le titre du diptyque (qui a vu le jour grâce au soutien participatif de potentiels lecteurs-lectrices séduits par le projet). Ce début illustre parfaitement l’ambiance voulue par Nicolas Vadot (dessinateur, scénariste et coloriste), car on hésite d’emblée entre folie, fantasme, onirisme et fantastique. Le talent du dessinateur sera, entre autres, de faire en sorte que le lecteur (la lectrice) oscille entre toutes ces hypothèses au fil des planches.
Mardi fatal… et les autres jours ?
Convaincu un peu facilement, le mardi Achille se méfie de tout (mort… de trouille) pour revivre le mercredi. Hormis le mardi, il considère que rien ne peut lui arriver. Jusqu’au jour où sa réflexion l’amène à imaginer un accident, par exemple, dont il survivrait un certain temps avant de s’éteindre un mardi. Alors, sa méfiance s’accroit.
Les doutes sur l’histoire d’amour
Ce qui donne un tour aussi étrange que personnel à cette histoire, c’est ce qu’on enregistre au fur et à mesure sur le personnage d’Achille et son histoire avec Rebecca. La narration présente des courriers que Rebecca a adressés à Achille. Apparemment, ils se connaissaient et s’aimaient, avant que la vie les sépare physiquement (dans son premier courrier, Rebecca annonce son départ précipité pour Hawkmoon, « question de survie »). Mais on ne sait pas trop ce qu’il s’est passé et il semble qu’Achille n’ait jamais répondu aux lettres de Rebecca. Achille semble vivre en solitaire, loin de tout, mais la première scène le montre sur une plage située en contrebas d’une maison. Quand il décide de faire son possible pour retrouver Rebecca, il parvient (à moins que ce ne soit qu’en pensées) à prendre le bateau pour rejoindre Hawkmoon (le nom suggère une ville imaginaire).
À Hawkmoon
Achille s’y présente diminué physiquement (et donc complexé), puisqu’il marche avec deux prothèses (en bois), à la place des pieds, des objets qu’il fixe à l’aide de vis. Un peu perdu, il profite des indications d’une jolie serveuse qu’il intrigue au point qu’elle se souviendra de lui bien plus tard, une fois qu’elle aura changé complètement d’activité (autre point permettant à l’auteur d’entretenir le doute). Depuis l’époque où ils s’aimaient, si Rebecca n’a pas oublié Achille, elle est devenue mère de famille. Par contre, sa vie sentimentale ne s’est jamais stabilisée. Là aussi, on pourrait considérer que pour Achille c’est sa chance ultime d’aller au bout de son amour pour elle. Au contraire, n’est-ce pas un fantasme qui lui permet de garder espoir alors qu’il est désespérément loin d’elle ? Et puis, à Hawkmoon, Achille trouve une ambiance particulière, surtout dans l’hôtel où il trouve une chambre, non loin de chez Rebecca (ce qui se révélera une maladresse). Il croise plusieurs fois un homme en forme de silhouette sombre trimballant un étui à instrument de musique, à la façon des tueurs qui transportent plus ou moins discrètement une arme à feu. Bref, même s’il l’a retrouvée, Achille peut-il s’en sortir pour construire quelque chose avec Rebecca, des années après ?
Entre fantastique et folie douce
Avec Maudit mardi ! Nicolas Vadot propose une histoire d’amour aux accents d’étrangeté, laissant ses lecteurs/lectrices dans le doute. Cette incertitude entretenue avec intelligence maintient constamment l’attention. Le dessinateur apporte régulièrement des éléments qui entretiennent le suspense aussi bien du côté de l’histoire d’amour que de l’état mental réel d’Achille. On sent que l’auteur tient particulièrement à cette atmosphère qui flirte régulièrement avec un fantastique léger. Malheureusement, dans chacun des deux albums, un détail ou un enchaînement déroute tellement qu’on se dit qu’il utilise une pirouette scénaristique pour poursuivre ce qui l’intéresse. Et ce qui l’intéresse, c’est d’entretenir cette atmosphère d’étrangeté en se faisant plaisir sur les dessins. Autant dire que l’aspect esthétique est une vraie réussite. Tout en prenant son temps pour instaurer une ambiance personnelle (avec donc ses petits défauts), Nicolas Vadot montre les lieux fréquentés par ses personnages et propose quelques planches de pure atmosphère, quasiment sans dialogue, avec des dessins de tailles multiples selon ce qui l’intéresse. De plus, il nous fait profiter d’un joli coup de crayon, technique qui lui convient parfaitement, et ce d’autant plus que sa façon d’utiliser les couleurs est un régal pour les yeux. Autant dire que cette BD peut s’apprécier pour le seul plaisir des yeux, entre la mise en scène, les positions et mouvements des personnages, ainsi que l’harmonie des couleurs (en partie au crayon ou à la craie, mais aussi au pinceau type aquarelle me semble-t-il). Le tout ne peut qu’être apprécié des amateurs d’aventures et de grands espaces, ainsi que de suspense psychologique.