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« Les Veilleurs » : au service des autres

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La collection « Encrages » des éditions Delcourt s’enrichit de l’album Les Veilleurs, de Yann Dégruel. Employé auprès de personnes souffrant d’un trouble du spectre autistique, ce dernier a tiré de cette expérience une nouvelle appréhension de la maladie et des rapports humains, contée avec sensibilité dans ce roman graphique.

S’occuper de personnes souffrant d’un trouble du spectre autistique constitue un travail exigeant et complexe. Les personnes autistes ont des besoins spécifiques qui requièrent une attention constante et un respect scrupuleux des protocoles mis en place pour leur bien-être. L’une des difficultés les plus importantes réside dans la charge mentale qui pèse sur les travailleurs affectés à la santé des bénéficiaires de soins. Les personnes autistes ont souvent des comportements imprévisibles et déroutants ; elles nécessitent une surveillance continue pour prévenir tout risque d’accident. Ainsi, à l’instar de ses collègues, Yann Dégruel, engagé comme veilleur de nuit, se trouvait en alerte permanente, ce qui ajoutait de l’anxiété à la fatigue accumulée par des horaires décalés.

Dans Les Veilleurs, ces états de fait transparaissent clairement. Yann Dégruel narre l’inconfort, voire le malaise, induits par certaines situations. Il explique le dévouement, la compassion et la rigueur dont doivent faire preuve les travailleurs mis au service de personnes souffrant d’un trouble du spectre autistique. Les protocoles, pour ne citer que cet exemple, demeurent cruciaux : les travailleurs doivent suivre des procédures spécifiques pour garantir la sécurité et le bien-être des personnes qu’ils accompagnent. Rigoureux et contraignants, ces directives sont essentielles pour assurer une prise en charge personnalisée, adéquate et sécurisée.

Les mésaventures peuvent être fréquentes lorsque l’on s’occupe de personnes autistes. Les travailleurs font parfois face à des comportements agressifs, des crises de colère ou des situations imprévues qui nécessitent une intervention hâtée. Ces incidents peuvent générer du stress et se révéler difficiles à gérer, mais ils font toutefois partie intégrante du travail, comme l’explique très bien l’auteur. Les obsessions de Nelson, les insomnie de Pierre, les attitudes erratiques et l’état de dépendance de Clémence ont ainsi mis à l’épreuve Yann Dégruel et ses collègues. Mais malgré ces défis, il apparaît clairement que ce travail s’avère formateur et enrichissant pour ceux qui l’exercent. Cette dimension, retranscrite avec beaucoup de sensibilité, constitue un fil rouge : en prenant soin de personnes dépendantes et diminuées, chacun apprend à développer des qualités portées vers les autres telles que la patience, l’empathie, la tolérance, la générosité ou la bienveillance. Ces expériences affectent le comportement et l’identité des travailleurs, qui peuvent se sentir plus engagés et connectés avec les autres.

Les Veilleurs comprend de nombreuses allusions plus ou moins digressives, sur la pauvreté qui frappe les auteurs de bandes dessinées, la société de consommation, les passoires socratiques, la gestion et l’accueil des réfugiés ou la pyramide de Maslow. Ces passages en rehaussent utilement l’intérêt. Le lecteur appréciera aussi probablement ce clin d’œil figuratif à La Grande Vague de Kanagawa. Il est évident que Yann Dégruel livre beaucoup de lui-même à travers cet album. Ce dernier, authentique ode à la tolérance, témoigne d’une humanité et d’une justesse qui méritent certainement que l’on s’y attarde.

Les Veilleurs, Yann Dégruel
Delcourt, mars 2023, 176 pages

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