Dans Les Ennemis du peuple, Emiliano Pagani et Vincenzo Bizzarri plongent le lecteur dans un drame social poignant, explorant les divisions de la société italienne dans un contexte de délocalisations industrielles. L’album, paru chez Glénat, met en lumière les conflits sociaux et personnels dans un pays en crise, où la lutte pour la survie économique et identitaire est omniprésente.
La fermeture imminente d’une usine italienne sert de catalyseur à l’intrigue des Ennemis du peuple. Elle révèle les effets dévastateurs des décisions corporatistes et actionnariales sur les travailleurs. La grève des ouvriers, décrite avec urgence et intensité, n’est pas seulement une lutte pour le maintien des emplois mais aussi un combat contre l’effacement de leur identité sociale et professionnelle, dans un contexte où le syndicalisme est en perte de vitesse et la fragmentation des travailleurs, de plus en plus évidente.
Au cœur du récit d’Emiliano Pagani et Vincenzo Bizzarri, les protagonistes sont pris dans des dilemmes personnels qui reflètent pour partie les divisions sociétales. Par exemple, la relation entre Chiara, la travailleuse sociale, et son compagnon carabinier illustre parfaitement les tensions entre le maintien de l’ordre et l’assistance humanitaire, et les incompréhensions qui peuvent naître de leur métier et point de vue respectif. Cette dynamique soulève en sus des questions sur les valeurs personnelles dans une société crispée, qui peine à discerner ses véritables « ennemis ».
Emiliano Pagani utilise le personnage de Mirco, un ouvrier dessinateur de BD, pour introduire une méta-narration qui critique la société et l’économie de marché, en plus de discourir sur le microcosme de la bande dessinée. À travers ce prisme, le récit explore comment les médias et l’art peuvent interagir avec les structures sociales existantes. Plus important, un éventail de réflexions est proposé sur les crises économiques, migratoires et sociales. Le récit suggère une fixation des frustrations sur les mauvaises cibles, et des conflictualités qui se déplacent d’un pouvoir anonyme – celui de l’argent – à des masses vulnérables et quasi dépourvues de droits – les réfugiés.
En un certain sens, Les Ennemis du peuple traduit un climat qui échoue à produire un consensus ou une solution satisfaisante, mais qui aboutit au contraire à la polarisation croissante de la société. La détérioration de la condition collective, l’incapacité à agir face à des puissances sans visage ni rivage forment l’essentiel d’un discours qui demeure, aujourd’hui encore, d’une actualité brûlante.
En dépeignant les interactions entre les ouvriers, les migrants et les différentes formes d’autorité à travers une mosaïque de récits personnels entrelacés, Les Ennemis du peuple invite à une réflexion profonde sur les dynamiques de pouvoir, d’identité et de résistance dans le monde moderne. Le travail révèle des vérités inconfortables mais nécessaires sur les divisions et les luttes internes qui façonnent nos sociétés, posant cette question cruciale : qui sont vraiment les ennemis du peuple ?
Les Ennemis du peuple, Emiliano Pagani et Vincenzo Bizzarri
Glénat, mai 2024, 136 pages