Avec ce dixième album, le dessinateur Jacques Tardi clôture sa série emblématique des aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, un album qui malgré une longue gestation (n°9, Le Labyrinthe infernal date de 2007, le n°8, Le Mystère des profondeurs datant lui de 1998) risque de décevoir les fans de la première heure et d’en rebuter quelques autres.
Disons-le d’emblée, l’histoire qu’on était en droit d’attendre au vu du titre fait long feu. Outre le fait qu’il n’en est longtemps que très peu question, le sujet n’est traité qu’en quelques pages et donc de manière assez anecdotique, une remarque bien à l’image de l’album de manière générale. En effet, le principal reproche à noter est qu’il est complètement dépourvu d’un scénario digne de ce nom, comme si Jacques Tardi ne l’entreprenait qu’à contrecœur. Peut-être tout simplement parce qu’il l’avait annoncé, ce que son éditeur n’a probablement pas manqué de lui rappeler, peut-être même en avançant que le public l’attendait. Mais, cette habitude héritée des feuilletonistes (que Tardi affectionne) ne fonctionne que lorsque l’auteur a déjà la suite en tête. Cela ne veut pas dire que Tardi ne l’avait pas, car il est également possible qu’il ait été accaparé par d’autres projets et que le détail du présent album lui ait paru de moins en moins clairement. Toujours est-il qu’ici il fait intervenir l’essentiel des personnages des précédents albums de la série, avec des notes de bas de page pour rappeler où ils interviennent auparavant. Concrètement, cela devrait être une invitation à relire la totalité de la série pour se remettre en tête les détails permettant de profiter pleinement de ce Bébé des Buttes-Chaumont. Or, la lecture des premières planches laisse surtout la regrettable impression que Tardi retarde le moment de commencer son histoire pour de bon. Malheureusement, cette impression persiste quasiment tout au long de la lecture, la fin n’apportant pas de réelle satisfaction. On note également que le dessin est moins assuré ou franc, surtout pour les personnages. Il reste heureusement le plaisir de l’œil pour tous les décors parisiens qui sont très variés. Le meilleur à mon avis est à observer du côté du musée Grévin avec les passages sous verrières (une visite encore hautement recommandable dans le Paris d’aujourd’hui, pour celles et ceux qui voudraient découvrir des aspects de la ville sortant un peu des sentiers battus). On note aussi que l’album comporte 62 planches et malheureusement je ne vois pas selon quel critère cela pourrait se justifier, hormis le fait que Tardi a un peu de mal à admettre qu’il abandonne définitivement ses personnages, surtout qu’il annonce clairement à la fin (en forme de clin d’œil au début d’Adèle et la bête, le premier album de la série) qu’il s’oppose fermement à toute reprise ultérieure par quiconque.
Passons outre les défauts
L’album mérite quand même qu’on s’arrête sur certains détails, car la série me semble un reflet de l’évolution de la personnalité de son dessinateur. Clairement antimilitariste à la base, Tardi montre ici un état d’esprit quasiment anarchiste. À considérer ses personnages, on se dit qu’il ne s’en trouve aucun (aucune) pour rattraper les autres. Ainsi, il dote Adèle Blanc-Sec de clones qui amènent forcément à douter lorsque sa silhouette apparaît. On s’attend à ce qu’elle mène l’enquête à propos du bébé des Buttes-Chaumont, mais elle semble plus intéressée par ses discussions pseudo philosophiques avec sa momie (et ses copines) et elle fait partie des personnages qui se demandent ce qui lui arrivent avec les tentacules qui lui sortent par les oreilles et les pustules qui commencent à lui couvrir le visage. On remarque donc que Tardi imagine une épidémie qui pourra rappeler que son album sort après celle de Covid-19 et qu’il en fait une sorte de symbole de la bassesse humaine (un autre élément peut être rapproché de l’épidémie de la vache folle) et le principal ressort de l’album. Cela lui donne l’occasion de tirer à vue sur tout ce qui bouge. En gros, la seule qui échappe à ce jeu de massacre est la momie d’Adèle qui présente l’avantage de n’être que spectatrice de ce monde qui grouille sous ses yeux (elle est morte depuis longtemps). Et donc, on peut défendre cet album en avançant que Tardi nous présente un monde qui se détraque et où les uns et les autres agissent en dépit du bon sens, ce qui justifierait qu’il parte un peu dans tous les sens. Pour le rattacher à notre époque, Tardi le peuple de personnages en trottinette qui voltigent régulièrement à force de circuler sans précautions. Et puis, le dessinateur ne se gêne pas pour ironiser sur nos académiciens qui planchent sur le dictionnaire, les illustres Immortels considérés comme une sorte d’élite intellectuelle chargée de défendre la pureté de la langue française. Il les représente comme des personnages tellement ancrés sur des positions passéistes qu’on peut les considérer comme aussi vieux et morts que la momie d’Adèle.
Pour conclure
Bref, à part certains détails comme celui-ci et d’autres qui rappellent que Tardi est un bon connaisseur de l’histoire et notamment de celle de la ville de Paris, l’album ne laissera pas un souvenir impérissable.