La collection « Comix Buro » des éditions Glénat accueillent le second tome de La Tour. Jan Kounen, Omar Ladgham et Mr Fab s’y penchent sur les conflits intergénérationnels dans un monde post-apocalyptique où l’air a été rendu irrespirable par une bactérie qui a décimé la quasi-totalité de l’humanité.
La Tour est un ancien fleuron technologique, désormais altéré par le temps. Les rares survivants d’une humanité en décrépitude, vidée de ses forces vives par une bactérie mortelle, s’y sont réfugiés. Les « Anciens » ont connu le monde d’avant, où ils pouvaient circuler librement, où l’horizon était plus vaste et moins vertical. Les « Intras » sont nés entre ses murs et n’ont qu’une connaissance partielle, strictement bornée, de leur environnement. Entre ces deux groupes, les tensions sont vives et multiples. Et lorsqu’une explosion a lieu dans une serre capitale pour la survie de la collectivité, elles se voient soudainement accentuées. Les Anciens sont-ils responsables de cet événement ayant coûté la vie à de nombreux Intras ? Les croyants accepteront-ils de quitter leur Temple, réquisitionné pour en faire une nouvel espace de production agricole ?
Dans l’univers façonné par Jan Kounen, Omar Ladgham et Mr Fab, la nature a repris ses droits sur la civilisation. Le jeune Aatami tente une expédition périlleuse jusqu’à la tour de l’OTAN, espérant y trouver des survivants et/ou du matériel utile, mais il doit composer avec des réserves d’air peu généreuses et des routes en ruines. Newton, l’intelligence artificielle et protéiforme de la Tour, a du mal à le guider : ses cartes datent d’il y a 30 ans et la surface du globe a été profondément modifiée depuis tout ce temps. C’est une invitation à l’humilité : les réalisations humaines, fruits de millions d’années, se voient peu à peu effacées par une nature qui ne demande qu’à s’exprimer. Une quête de liberté et d’affranchissement qu’elle a en commun avec les Intras, à tel point que les Anciens songent désormais à les émanciper d’« une solidarité qui les étouffe » et à « les laisser construire librement leur futur ».
Ce second tome de La Tour se déploie selon deux arcs narratifs qui se distinguent dans leur temporalité. On y suit d’une part l’expédition d’Aatami et d’autre part, les événements succédant à l’explosion dans la serre. Parmi ces derniers, on notera les états d’âme d’une IA qui dysfonctionne à mesure qu’elle gagne en humanité, le bellicisme du jeune Altay, qui s’estime marginalisé par les Anciens, les dissensions amoureuses entre Caem et Ingrid et la rivalité politique entre cette dernière et Angela, la maîtresse de son fils. Avec talent, Mr Fab donne vie au récit dense et déstructuré de Jan Kounen et Omar Ladgham. Il exprime d’ailleurs toute l’étendue de son talent dans la dernière partie de l’album, au cours d’une séquence inventive où l’onirisme le dispute au psychédélisme.
Enjeux sanitaires, environnementaux et agricoles, réflexions sur les intelligences artificielles, conflits intergénérationnels, sentiments humains basiques, aspiration à la liberté et l’autodétermination : La Tour parvient habilement à mêler l’ensemble de ces thématiques sans ankyloser son récit ni perdre le lecteur. Et en disséminant çà et là des références à Stanley Kubrick ou Isaac Asimov. Mais la médaille a son (léger) revers : Jan Kounen et Omar Ladgham ont tendance à négliger certains personnages, qui en deviennent essentiellement fonctionnels. À suivre cependant.
La Tour (tome 2), Jan Kounen, Omar Ladgham et Mr Fab
Glénat, septembre 2022, 64 pages