In waves de AJ Dungo surfe sur la vague du passé. Un passé aussi douloureux que magnifique qui raconte une histoire d’amour qui, malgré le drame, ne cessera à jamais d’exister grâce aux pages de cette bande dessinée.
Avec ses traits aussi précis que parfois abstraits, jouant autant la carte du naturalisme minimal que de la symbolique maritime, In waves est construit comme un assemblage de souvenirs composites, une mosaïque de moments inestimables, ceux qui vous construisent et qui marquent l’esprit à jamais. AJ Dungo a perdu son âme soeur, Kristen, suite à un cancer. Il se donne alors l’ambition de mettre sur page leur amour et leur histoire. Pourtant, cette bande dessinée ne se contente pas seulement de ramifier les souvenirs pour uniquement nous bercer d’émotions devant un amour si profond. Non, In waves va chercher un peu plus loin dans les strates de l’existence et fait alors se rencontrer la petite et la grande histoire, où l’histoire d’un couple se télescope à celle de la naissance du surf et de ses origines, allant de Duke à Tom Blake.
Cette cohabitation pourrait alors desservir la narration et rendre statique l’émotion qui se dégage de ce couple luttant contre la maladie, mais rien n’y fait, les pages concernant le surf ne font qu’un avec l’histoire d’AJ Dungo et semblent au contraire nécessaires pour comprendre la passion de ce dernier pour cette pratique. D’un côté comme de l’autre, le schéma se veut parfois descriptif, minutieux, documenté, mais toujours écrit avec passion et sincérité. Il parle avec le même engouement de la première vague de Duke que de son premier baiser avec Kristen. L’auteur délivre son récit originel sur le surf dans une couleur marron orangée, ocre et de l’autre, le récit amoureux est narré sous un fond bleu turquoise, hémicycle à émotions, à la solitude et au dépaysement qui sent la douce odeur des vagues.
Car, un peu comme l’océan omniscient et cérébral dans Solaris d’Andrei Tarkovski, l’eau n’est pas qu’un simple environnement de jeu et d’apaisement, mais c’est un lieu presque existentiel à la fois pour ce qu’il représente politiquement et écologiquement, mais aussi pour cette montagne de vagues silencieuses. Un lieu aussi esthétique que pensif qui permet à chacun de renouer avec soi-même et d’évacuer une torpeur qui se construit, une chapelle qui se nourrit autant qu’elle fait disparaître la souffrance des souvenirs de la maladie. Comme le montre la maladie, qui fait le yoyo entre rémission et rechute, les vagues viennent elles aussi par à-coups et ne préviennent jamais de leur arrivée.
Les vagues sont un refuge, un enclos vers l’isolement, voire vers la compréhension d’une existence et l’écriture devient un testament, un tableau portraitiste, une marque au fer rouge, une possibilité pour AJ Dungo d’assouvir le plus grand souhait de Kristen : celui de dessiner leur amour. In Waves est beau, sublime de sagesse, ingénieux de trouvailles, délicat par ses sentiments véritables et camouflé dans une pudeur qui réveille chez le lecteur le souvenir et l’identification. L’auteur ne sort jamais la mélodie du larmoyant et ne montre pas frontalement l’intimité du couple ou la dureté organique de la maladie. Tout est une question de regard, de mots, de dialogues, de sentiments, de larmes et le fait que le récit soit non chronologique accentue le lien immuable entre les personnes dessinées. Celui-ci dépasse le cadre du présent ou du passé. Il est là, intact, et ne bougera pas. En eux, comme en nous.
In Waves, AJ Dungo
Casterman, août 2019, 376 pages