Inspiré par le titre d’une chanson d’Elvis Presley (la musique compte visiblement beaucoup à ses yeux), le dessinateur Nicolas Pegon nous entraîne dans l’Amérique profonde, pour une histoire un peu délirante et surtout révélatrice d’un état d’esprit typique de notre époque.
L’histoire met en scène deux paumés, César et Alex (dont il faut attendre la page 59 pour connaître les prénoms), sans véritable attache. César (géant, la quarantaine, brun, barbu moustachu mais le crâne bien dégarni) se réveille un matin, avec chez lui un chien qu’il n’a jamais vu. Chez lui vit également un jeune homme (son fils ?) qui passe son temps immergé dans des jeux de réalité virtuelle. Impossible de compter sur lui pour le renseigner. Aucune piste non plus du côté d’Alex, rouquin moustachu avec un ventre de buveur de bière et qui n’est autre que son voisin. Le chien les embarrassant plus qu’autre chose, César et Alex se mettent en tête de le rendre à son légitime propriétaire. À noter quand même que ce chien ne ressemble pas vraiment au basset à l’air tristounet que le titre suggère. L’explication pourrait venir du fait que, visiblement, notre duo s’y connaît davantage en ce qui concerne le répertoire d’Elvis Presley que sur les caractéristiques physiques des chiens. D’ailleurs, Alex n’hésite pas à qualifier de connards les propriétaires canins, allant jusqu’à citer Vladimir Poutine comme exemple (information dont je laisse l’entière responsabilité au dessinateur, sachant qu’à l’heure actuelle, un qualificatif aussi anodin ne convient plus pour ce menteur cynique, bourreau des Ukrainiens à l’effarante capacité de nuisance). On remarquera au passage qu’Alex ne semble pas s’entendre avec beaucoup de monde…
Une enquête qui s’impose
C’est le hasard qui mettra César et Alex sur la piste du propriétaire du chien. Par contre, cela ne résout pas leur problème, car cet homme est mort. À vrai dire, cela va surtout rajouter une composante au problème, car ils soupçonnent bientôt que cet homme soit mort assassiné. Voulant remettre le chien à un proche, les voilà dans la position de deux enquêteurs improvisés.
Début XXIè siècle
Ce que Nicolas Pegon propose, c’est une virée dans l’Amérique profonde d’aujourd’hui. Dans ce pays des grands espaces, on peut vivre et mourir dans l’indifférence générale. Soit dit au passage, le message fonctionne peut-être mieux parce que l’intrigue se situe aux États-Unis, mais le constat sur la solitude et l’indifférence peut se transposer à peu près partout dans le monde d’aujourd’hui. Ce monde est tristounet (à l’image du Hound Dog) et les couleurs choisies par le dessinateur en rendent parfaitement compte (les décors sont à l’avenant, voir l’illustration de couverture). Dans ce monde, il n’est pas rare de parler dans le vide. L’univers de la publicité est passé par là, avec son clinquant (les panneaux publicitaires, bien présents) et ses paroles à prendre avec des pincettes vu tout ce que les slogans ont cherché à nous faire croire depuis des décennies. Le personnage sur lequel enquête notre duo est donc un de ces individualistes plus ou moins revenus de tout, qui vivait en solitaire dans une maison avec son chien. On devine qu’il pouvait être plus à l’aise avec les animaux qu’avec les hommes.
Émergence d’un style
Malgré ses 200 pages, l’album se lit rapidement, en particulier parce qu’il ne comporte pas trop de texte, assumant le choix d’une ambiance maussade (les personnages se caractérisent par une tendance à un humour pas vraiment fin) et des dessins plutôt gros dans l’ensemble (avec une base de trois bandes par planche et jamais plus de deux vignettes par bande). Avec son trait bien net, Nicolas Pegon flirte avec le style caractéristique de la ligne claire. On note quand même un goût certain pour un travail sur les jeux d’ombres, le dessinateur aimant dans certains cas marquer davantage les formes que les traits en noircissant par zones. D’autre part, son travail sur l’ambiance générale se fait par touches successives. Après ce chien venu de nulle part, nous avons donc le gamer en réalité virtuelle qui semble y passer tout son temps de loisirs, les spécialistes médicaux que César s’acharne à consulter parce qu’il devient insensible d’un bras, alors qu’invariablement il obtient le même avis : il n’a rien. Nous avons également une femme au physique androgyne qui vit déjà dans un monde post-apocalyptique. Et puis, nous avons bien sûr celui sur qui notre duo enquête et qui vivait tellement isolé qu’obtenir un témoignage à son propos relève de l’heureux concours de circonstances. On note aussi que les personnages croisés par notre duo arborent quasiment tous le masque de l’impassibilité.
Quelques observations pas anodines
Enfin, on note que si ses idées passent plutôt bien, le dessinateur fait le choix d’un prologue sans lien direct avec le corps narratif de l’album. Le lien se fait néanmoins par un objet et par ce qu’il amène, ainsi que par l’état d’esprit qu’il met en avant. De même, Nicolas Pegon conclue l’album par un retour en arrière, seule solution pour qu’on comprenne ce qui s’est effectivement passé au moment du drame. Enfin, le lien avec Elvis Presley se situe au niveau des fantasmes, ainsi que de quelques détails. On pense ainsi à son surnom (Le king), quand le gamer annonce que dans son jeu, il est le roi du monde.