Rainer Werner Fassbinder a été une figure incontournable du cinéma allemand de l’après-guerre. Menant une vie tumultueuse, marquée par l’innovation artistique et des excès personnels, l’homme se dévoile aujourd’hui à travers la lentille de la bande dessinée, puisque Noël Simsolo et Stefano D’Oriano lui consacrent une biographie graphique aux éditions Glénat.
Le Nouveau Cinéma allemand des années 1960 et 1970 n’aurait pas été le même sans Rainer Werner Fassbinder. Né en 1945 à Bad Wörishofen, il plonge très tôt dans le monde théâtral, avant de s’en détourner pour le septième art, où il va révolutionner la narration visuelle par son style singulier et provocateur. L’homme, qui a connu une enfance à Munich avec sa mère – son père vivait à Cologne –, fusionne les thématiques sociales percutantes avec une esthétique radicalement subversive. Il explore plus souvent qu’à son tour les méandres de la société allemande post-guerre, marquée par le consumérisme, l’aliénation et les tensions politiques.
Pendant son enfance, les difficultés scolaires le conduisent à fréquenter un institut Steiner, où l’approche pédagogique non traditionnelle de l’anthroposophie semble mieux correspondre à son tempérament rebelle (illustré par une scène où il est giflé par sa maîtresse pour inattention). Son œuvre cinématographique, prolifique et diversifiée, comptera plus de quarante films, témoignant d’une inépuisable énergie créative, très bien restituée dans l’album, et de sa capacité à capturer les désarrois et désillusions de ses contemporains. Parmi ses réalisations les plus marquantes, L’Amour est plus froid que la mort et Le Mariage de Maria Braun se distinguent, le premier pour son esthétique épurée et le second pour sa critique acérée du miracle économique allemand.
Engagé, très tôt porté sur l’écriture, Fassbinder ne craint pas de plonger dans les abysses du comportement humain, de la dépendance et de la domination, thèmes qu’il explore avec talent. Influencé par la Nouvelle Vague française et les mélodrames hollywoodiens de Douglas Sirk, il ne tarde pas à réaliser des films qui brisent les conventions du cinéma allemand de l’époque. Le manifeste d’Oberhausen, auquel il adhère, appelle à un renouveau du cinéma allemand, préconisant une approche plus personnelle et moins commerciale de la réalisation.
La vie privée de Fassbinder est aussi tumultueuse que sa carrière. Ouvertement bisexuel, il entretient des relations complexes et souvent destructrices. On l’aperçoit ainsi dans des ménages à trois, qui traduisent son engagement dans des relations polyamoureuses, et même des incursions dans la prostitution pour financer ses projets, par le biais d’une jeune femme qu’il fréquente, Irm. Tout cela contribue à peindre le portrait d’un homme prêt à tout pour son art. Un homme parfois violent, dépendant à la cocaïne, soupçonné d’antisémitisme, et sans concession. Autant de choses sur lesquelles Noël Simsolo et Stefano D’Oriano reviennent.
Rainer Werner Fassbinder demeure une figure emblématique du cinéma allemand, dont la vie et l’œuvre sont marquées par une recherche incessante de la vérité émotionnelle, malgré, ou peut-être à cause de, ses nombreux démons personnels. Cette biographie graphique montre les deux faces du personnage, capable de passer en quelques minutes de pulsions de mort à l’ambition de gagner la Palme d’or à Cannes, le Lion d’or de Venise et l’Oscar du meilleur réalisateur. Avec lui, décidément, rien n’est fait à moitié.
Fassbinder, Noël Simsolo et Stefano D’Oriano
Glénat, mai 2024, 224 pages