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« Commando Barbare » : héroïques fantaisies

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Joann Sfar et Nicolas Keramidas s’associent pour Commando Barbare, publié aux éditions Glénat. On y pénètre dans un univers d’heroic-fantasy où elfes, nains, demilains, Litvaks, gnomes, gobelins ou encore ogres cohabitent. Tapissé de faux-semblants, le royaume de Litvakie promeut une ère du Bien qui ne fait que masquer les monstruosités tapies dans son ombre…

Commando Barbare fait partie d’un univers étendu, puisqu’à cette bande dessinée s’ajoutent un roman illustré et un jeu de rôle. Nicolas Keramidas, déjà actif cette année à l’occasion du très personnel À cœur ouvert, s’occupe cette fois de la dimension graphique d’un conte d’heroic-fantasy peuplé de créatures étranges et de décors mirifiques. Scénarisé par un Joann Sfar fidèle à lui-même (sens du dialogue, de l’ironie, des allusions), « Burrato, le vertueux » narre l’histoire d’un nain ritalien victime de sa bonté et accusé à tort d’avoir perpétré le premier cambriolage de l’ère du Bien depuis 75 ans… Au sein de la Principauté de Gerçure d’orteil, l’affaire est prise très au sérieux. Une salle d’audience aux gradins pleins à craquer abrite un procès duquel Burrato parvient à s’échapper après avoir clamé son innocence.

C’est le véritable point de départ de « Burrato, le vertueux ». Cherchant à retrouver son cousin Mozzarello (sic), vrai coupable du vol, le nain ritalien va démarrer un périple rocambolesque, au cours duquel il va croiser – et adopter – des bébés ogres et des étudiants de troisième cycle. Sacrifiant souvent les dialogues pour les cartouches, l’album se montre très bavard, Joann Sfar donnant libre cours à ses commentaires d’exposition, puis à ses remarques ciselées. Bien entendu, l’heroic-fantasy constitue un prétexte commode pour les outrances de Joann Sfar et Nicolas Keramidas. Mozzarello urine sur un mort, Burrato découpe le cadavre d’un monstre en dés de viande pour nourrir ses rejetons (« Moralement, j’ai bien conscience de nager en pleine zone grise »), Demonika Monika allaite en permanence un fils qui n’a plus rien d’un enfant…

Haletant, volontiers méta- (le personnage d’Affikoman parle des lecteurs de l’album), « Burrato, le vertueux » est souvent amusant et au seuil de la transgression. Se débarrassant d’un adversaire, le nain ritalien confie ainsi : « J’ai la gueule pleine de sang vert. Je crache les yeux de cette petite saloperie dans la bassine comme si c’était des noyaux d’abricots. » Plus loin, dans une scène voulue absurde, on le verra succomber aux plaisirs charnels avec un autre nain (du chaos celui-là), ainsi qu’un étudiant. Plus généralement, on trouve dans Commando Barbare un monde fondé sur des hypocrisies, où le racisme systémique et la violence se manifestent sans ambages. Le bien y sort rarement vainqueur, ce qui explique d’ailleurs que le vertueux Burrato s’enferre dans des situations inextricables.

Taquins, Joann Sfar et Nicolas Keramidas glissent dans leur album des citations dont on devine aisément le caractère extra-diégétique. Parmi elles, on mentionnera la fataliste « De nos jours, un jeune bardé de diplômes, ça n’a aucune valeur marchande » et la non moins caustique « Si j’étais prêtre, je pourrais affirmer n’importe quelle connerie sans preuve ». Inventif, coloré et efficace, « Burrato, le vertueux » se clôture par les interviews de ses deux façonniers, ainsi qu’un dossier portant sur le travail graphique de Nicolas Keramidas. Ce dernier explique notamment le défi que constituent les planches d’action à deux cases, où de nombreux détails et protagonistes doivent être perceptibles et univoques pour le lecteur. Commando Barbare se distingue ainsi par la ronde de ses personnages, la richesse de son univers ou encore son usage du second degré.

« C’est précieux, chez moi, la pensée, car je ne m’y adonne pas souvent. »
« Rapides comme l’escargot et silencieux comme des armoires de vaisselle. »
– Burrato

Commando Barbare – Burrato, le vertueux, Joann Sfar et Nicolas Keramidas
Glénat, septembre 2021, 128 pages

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