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« Batman Arkham » se penche sur Mister Freeze

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La collection « Batman Arkham » des éditions Urban Comics s’enrichit d’un nouvel opus consacré à Mister Freeze. Passé à la postérité notamment suite à l’interprétation loufoque d’Arnold Schwarzenegger, le personnage se distingue par un deuil impossible, une rancœur vis-à-vis de Batman et Gotham, ainsi que des jeux de mots pas toujours du meilleur effet.

Initialement appelé Mister Zéro, Mr Freeze a tardé à trouver sa place au sein des super-vilains de l’univers Batman. Sa première apparition en 1959 le nantit cependant déjà de ses principaux traits caractéristiques : combinaison imaginée comme une seconde peau (à la manière de Dark Vador), pistolet cryogénique et casque. Dépoussiéré au début des années 1990 par Batman, la série animée, Victor Fries apparaît ensuite comme une éminence scientifique victime d’une expérience ayant déréglé sa température interne. Il se voit aussi affublé d’une épouse malade plongée dans un sommeil cryogénique. Freeze connaît un regain de popularité qui va convaincre Joel Schumacher d’en faire le pendant criminel du Chevalier noir dans le quatrième film de la saga Batman initiée par Tim Burton.

« Cœur de glace » (1997), de Paul Dini et Mark Buckingham, constitue le premier récit permettant une exploration biographique et psychologique du personnage de Mister Freeze. On le découvre prisonnier d’une famille dysfonctionnelle, incapable de lui pardonner le moindre faux pas. En conséquence de quoi Victor se considère tôt comme « une honte pour (ses) parents ». Plus tard, il enfermera sa femme Nora, atteinte d’une forme grave de cancer, dans une capsule cryogénique, jusqu’à ce qu’une lutte contre Batman y porte atteinte. Partant, l’homme développe une haine inexpiable envers le Chevalier noir et la ville qu’il entend protéger. « Enfer, c’est le seul mot qui convienne. Pour moi, Gotham n’est que ça. » Son envie d’en finir avec ses démons, intérieurs comme extérieurs, est renforcée par une humanité diminuée (là encore, comme Dark Vador) : « Si j’avais le malheur d’ôter ma tenue, ma peau grillerait, mes poumons fondraient et je serais mort en trois minutes. »

« Froid tranchant » (J. Torres et David Lopez, 2005) et « Neige » (J.H. Williams III, Dan Curtis Johnson et Seth Fisher, 2005) permettent de creuser plus avant ces pistes de réflexion. Dans le premier, les reliefs psychologiques de Freeze font l’objet des spéculations de Bruce Wayne et de son majordome Alfred. Comme l’orphelin milliardaire, Victor Fries semble incapable de faire son deuil, la mort de sa femme motivant ses actes criminels de la même manière que celle des parents Wayne motive ceux de leur fils Bruce. L’envie de mettre fin à ses douleurs intérieures l’amène d’ailleurs à programmer son suicide, dans un ultime hommage à sa femme. « Neige » corrobore cette difficulté de tourner la page. Freeze y annonce : « Je peux effacer tout ce qu’ils nous ont fait, ma chérie. Tout va redevenir comme avant, j’y veillerai. » Dans ce récit, Victor envisage de fonder une famille, mais il tue lui-même sa femme en employant une machine militaire reprogrammée à son insu. La critique du militarisme s’inscrit d’ailleurs en creux : « On s’est servis de machines hors de prix par orgueil… En aucun cas par nécessité. »

Avant de se voir doté de cette étoffe sombre et substantielle, Mr Freeze a été le super-vilain de récits plus sommaires. « Les Crimes glacés de Mister Zéro », de Dave Wood et Sheldon Moldoff, introduisait le personnage en 1959 au cours d’un braquage chez un diamantaire. Affublé d’une tenue à atmosphère contrôlée rendue nécessaire après un accident lors d’une expérience scientifique, il débitait déjà des expressions inspirées par le froid. « Le Glacier sous Gotham », de Doug Moench et Don Newton, voit le jour en 1984. Si l’histoire vaut surtout pour sa vision programmatique de l’art (« Quand on donne forme aux idées démentes d’un type comme lui, on devient l’architecte de sa folie »), elle n’éclaire ni le background de Victor Fries ni sa psyché torturée. Les auteurs préfèrent l’associer à un cryo-canon et réserver leur discours sur la dualité à Bruce Wayne/Batman, par le truchement (ingénieux) de Julia et Vicki.

« Actifs gelés » (Doug Moench et Kelley Jones, 1995) se distingue par ses références (Ice Cube y faisant office de double jeu de mots) et sa modernité graphique, tandis que « Le Feu et la Glace » (Robbie Morrison et Charlie Adlard, 2005) réaffirme la haine de Mister Freeze envers Gotham City : « Gotham est une annexe de l’enfer sur terre », « elle dévore les gens, détruit ceux qui méritent de vivre et récompense les autres ». Dans « Premières neiges », publié en 2012, Scott Snyder, James Tynion IV et Jason Fabok introduisent un doute malicieux dans le portrait brossé à l’endroit de Victor Fries. Quid de la mort accidentelle de sa mère ? Nora a-t-elle vraiment été sa femme ?

Ce nouveau Batman Arkham s’intéresse à un méchant qui n’est pas sans rappeler Poison Ivy tant son exploitation (sa réhabilitation ?) fut tardive dans l’univers du Chevalier noir. Il n’en demeure pas moins que ses similitudes avec Batman (le deuil, la focalisation sur Gotham), ses fêlures et ses détournements de la science à des fins criminelles méritaient bien que l’on s’y attarde. C’est désormais chose faite grâce à cette excellente série.

Batman Arkham : Mister Freeze, ouvrage collectif
Urban Comics, octobre 2021, 352 pages

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