La collection « Batman Arkham » (Urban Comics) s’enrichit d’un nouvel opus dédié au célèbre Pingouin. On y découvre un individu difforme, au passé douloureux et à l’égo surdimensionné, issu d’une famille de notables et à jamais désireux de croiser le fer avec le Chevalier noir.
Dans « Complices de vol », Robin reconnaît au Pingouin qu’« il a toujours un coup d’avance ». « Il est plus malin que moi », semble d’ailleurs surenchérir Batman dans « Le Triomphe du Pingouin ». « Souvenirs mortels » apporte une autre précision d’importance : « Le Pingouin laisse derrière lui des cadavres comme d’autres laissent des empreintes. » Son thérapeute, qui l’a psychanalysé durant ses nombreux séjours en prison, note de son côté une « tendance obsessionnelle » à amasser des objets (« Les Tourtereaux »). Mais celui qui est né Oswald Chesterfield Cobblepot ne saurait se réduire à ces quelques commentaires : équivalent du Joker parmi les super-vilains de Gotham City et dans le diptyque filmique de Tim Burton, figure invariablement associée aux parapluies et aux oiseaux, il est l’héritier de l’une des familles fondatrices de sa ville, cible du Comics Code entre 1956 à 1963 et bénéficiaire d’une révolution « New Look » initiée par l’excellent Carmine Infantino à partir de 1964.
Dès « Les Débuts du Pingouin » (Bill Finger et Bob Kane, 1941), il est établi à propos de ce super-vilain faussement affable que son « masque souriant dissimule un esprit démoniaque ». Celui qu’on appelle déjà « l’homme au parapluie » défie alors Batman en commettant des vols spectaculaires. Cette trame narrative, on va la retrouver dans « L’Aigle du crime » (Bill Finger et Bob Kane, 1942), ainsi que dans « Complices de vol » (France E. Herron et Sheldon Moldoff, 1965). Dans ce dernier récit, le vice est poussé si loin que le Pingouin parvient à mystifier Batman en lui offrant la paternité d’un plan machiavélique. Dans « Les Tourtereaux » (Max Allan Collins et Norm Breyfogle, 1987), Oswald semble prendre le dessus sur son alter ego criminel. « Je suis un nouvel homme, transformé par l’amour d’une femme de bien ! » Il reformule : « Là où se nichait jadis le cœur d’une vermine bat désormais celui d’un soupirant vertueux. » Échaudé par leurs rencontres passées, Batman témoigne d’abord contre la libération anticipée du Pingouin, avant de contribuer à sa réincarcération. Mais la rédemption de l’ex-criminel s’est pourtant avérée sincère.
« Souvenirs mortels » (Alan Grant et Sam Kieth, 1989) est un récit de transition. Pas seulement pour son absolue modernité graphique, traduite par une organisation inventive des planches et des vignettes à la fois plus sombres et aérées, mais aussi pour ce qu’il apporte en arrière-plan au personnage du Pingouin : une enfance de souffre-douleur, une marginalité inexpiable, l’origine de son surnom et de son obsession pour les oiseaux et les parapluies. « Tyrannisé, intimidé et rejeté, je me suis tourné vers mes seules amours… mes livres et mes oiseaux. » Dans « Le Retour du Pingouin » (Doug Moench et Kelley Jones, 1997), on découvre la mère d’Oswald obsédée par l’idée de se prémunir contre la pluie – son mari est mort d’une pneumonie après être sorti un jour pluvieux sans son parapluie. Elle lance à son fils, comme s’il s’agissait d’un argument définitif : « Où en serait Noé s’il n’avait pas construit son arche ? » C’est ainsi qu’est expliquée l’association entre le Pingouin et son parapluie, dès son plus jeune âge, et même sous un soleil de plomb. Cet objet anodin, qu’il transformera plus tard, selon les récits, en arme à feu, en diffuseur de gaz ou en lanceur d’acide, était aussi utilisé par sa mère pour le frapper. Dans son imaginaire, il s’est donc vite agi d’un instrument d’oppression et de violence.
« Neige et glace » (Alan Grant et Norm Breyfogle, 1990) voit le Pingouin se débarrasser froidement de son acolyte Kadavre, il est vrai lui-même ambivalent. Le super-vilain y est décrit comme étant d’une « avidité sans bornes » et d’une « ruse impitoyable ». « Brutes » (Frank Tieri et Christian Duce, 2013) le présente en gérant de casino, où il se montre sans pitié envers les tricheurs, mais aussi proche du gouverneur Carter Winston (ce qui confirme la noblesse de sa famille, mais n’empêchera toutefois pas ce dernier de le renier). « Le Triomphe du Pingouin » (John Ostrander et Joe Staton, 1992) corrobore tout ce qui a été dit du personnage : « sans pitié, revanchard, calculateur et inventif ». C’est un homme qui pense que tout est négociable. « Tout peut s’acheter, reste à trouver le prix. Quant aux gens, on peut se contenter de les louer. » On comprend aussi à la lecture de ce récit qu’une vie rangée n’est décidément pas en adéquation avec la personnalité d’Oswald : il a besoin d’adrénaline et de reconnaissance.
Enfin, « L’Affaire du Pingouin » (1990), où s’associent rien de moins que Marv Wolfman, Alan Grant, Jim Aparo et M.D. Bright, fait dire au Pingouin, face à son associé difforme Harold : « Nous sommes des cicatrices sur le visage de l’humanité. » Tout au long de ce volume de Batman Arkham, ce sentiment d’évoluer en marge d’une société hyper-normée va agir sur Oswald en puissant incubateur criminel. Dans « L’Affaire du Pingouin », l’ennemi de Batman va également s’enticher d’une actrice, Sherry West, revisiter avec elle le mythe de Pygmalion et Galatée, et surtout démontrer à quel point il peut se perdre dans l’abjection.
Batman Arkham : Le Pingouin, ouvrage collectif
Urban Comics, juin 2021, 352 pages