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« Batman Arkham : Poison Ivy » : plante vénéneuse

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Urban Comics publie le deuxième album de la série Batman Arkham, consacrée aux vilains les plus notables de l’univers du Chevalier noir. Ce second tome s’intéresse à Pamela Lillian Isley, une étudiante passionnée par la botanique, devenue Poison Ivy à la suite d’un empoisonnement.

Poison Ivy ne débute sa carrière criminelle qu’en 1966, deux décennies après son apparition dans Batman. Pis, elle doit attendre la série animée de Bruce Timm et Paul Dini, en 1992, pour se voir enfin caractérisée à la mesure de ses talents. Jusque-là, ses apparitions étaient sporadiques, son histoire méconnue et ses pouvoirs relativement limités. Aujourd’hui, sculpturale et vénéneuse, elle figure parmi les personnages féminins les plus célèbres de l’univers de Batman, aux côtés de Catwoman ou Harley Quinn. Ce second tome de la série Batman Arkham permet de prendre le pouls de son évolution et de mieux appréhender les rapports complexes qui la lient au Chevalier noir.

Dans « Prenez garde à Poison Ivy » (Robert Kanigher et Sheldon Moldoff, 1966), la super-vilaine prévient : « Épelez mon nom correctement, les garçons ! Poison comme l’arsenic et Ivy avec le I d’irrésistible ! » Déjà, Robin cherche à tempérer les ardeurs de l’homme-chauve-souris : « Cette belle plante a tout du buisson d’orties. » Entre Bruce/Batman et Pamela/Poison Ivy, il a toujours existé une attirance réciproque, naturelle ou forcée, dont les variations mineures ne sauraient masquer l’essentiel : ces deux-là sont fascinés l’un par l’autre et se tiennent sur une frontière poreuse entre l’amour et la haine. « Pavane » (Neil Gaiman et Mark Buckingham, 1989), « Effet de serre » (John Francis Moore et P. Craig Russell, 1993) ou « Année un » (Alan Grant et Brian Apthorp, 1995) mettent tous en images ce puissant désir que les deux personnages ont en partage.

Poison Ivy ne laisse personne insensible. Paula, la gardienne de prison de « Pavane », la décrit sans ambages : « C’est une petite traînée dangereuse et rusée, complètement narcissique et aussi chaleureuse qu’un mamba noir. » Dans « Année un », il est précisé que « les hommes l’ont toujours déçue, trahie ou abandonnée » et qu’« elle a été gâtée par un père tellement distant qu’il n’était qu’un étranger pour elle ». Même le Joker y va de son petit commentaire dans « Déflorée » (J.T. Krul et Guillem March, 2008) : Poison Ivy serait « une grande justicière en vert et contre tous » avec, détail utile, « sa suite dédiée à l’asile d’Arkham ». Il est vrai qu’à travers le temps, c’est là qu’on la retrouve le plus souvent, parfois observée par des agents subjugués, souvent désolée de ne plus pouvoir communiquer avec les plantes. Dans l’épisode succinct du « Pari » (2001), de Paul Dini et Ronnie Del Carmen, elle répand ses phéromones aux quatre coins d’Arkham, afin de manipuler gardiens et prisonniers, montrant ainsi à une Harley Quinn envieuse l’étendue de ses pouvoirs.

Toujours dans « Pavane », on retrouve cette assertion à double sens prononcée par Ivy : « Les mauvaises herbes, ça n’existe pas […] C’est le nom qu’on donne aux plantes qui poussent à l’endroit où les humains n’en veulent pas. » C’est probablement ainsi que se perçoivent Pamela et son alter ego super-vilaine : ayant grandi avec un père indifférent – qui est d’ailleurs l’assassin de sa mère dans « La Justicière verte » (Christy Marx et Stjepan Sejic, 2015) –, elle est rejetée par Batman dans plusieurs récits, virée de Wayne Enterprises (toujours dans « La Justicière verte »), manipulée par le Professeur Legrand/Woodrue, qui finit par l’empoisonner… La mauvaise herbe qui apparaît là où il ne faut pas, c’est elle. « Mon sang est un bouillon empoisonné », affirme-t-elle d’ailleurs dans « Année un ». Mais empoisonné par qui, par quoi ? Par un passé douloureux certainement, mais aussi, peut-être, par « ces idiots » qui « prétendent défendre la nature dans un endroit rempli de plastique, de poison et d’objets jetables » (« Entre l’arbre et l’écorce », Devin K. Grayson et Roger Robinson, 2001).

Poison Ivy est souvent persuadée de faire le bien. Si elle manigance aussi exclusivement pour le lucre, comme dans « Effet de serre » ou dans « Année un », elle apparaît ailleurs en empathie profonde avec la nature, comme cela est affirmé dans « Déflorée » ou dans « La Justicière verte ». Ce dernier épisode est intéressant en ce sens qu’il évoque sans le dire Monsanto et la biotechnologie Terminator. En le lisant, on a l’impression tenace de redécouvrir l’histoire récemment portée au cinéma de Percy Schmeiser, l’agriculteur canadien qui attaqua en justice la multinationale américaine. Quoi qu’il en soit, ce second tome de Batman Arkham permet de retracer partiellement le parcours de Poison Ivy dans les comic books, d’en apprendre davantage sur sa psychologie fragile ou sur la manière dont elle s’est dotée de ses pouvoirs (sur les hommes comme sur les plantes).

Batman Arkham : Poison Ivy, ouvrage collectif
Urban Comics, avril 2021, 344 pages

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