Avec Acacia 22, le Mexicain Edgar Camacho nous fait découvrir l’ambiance de son pays sous un jour personnel. Une touche de fantastique lui permet d’explorer avec intelligence les possibilités narratives du medium BD, malgré un scénario relativement minimaliste.
La jeune Susana débarque de province pour s’installer au 22 de la rue Acacia à Mexico. Dès les premières planches, le dessinateur fait sentir qu’il s’intéresse en fait à deux jeunes femmes, toutes deux prénommées Susana, qui se ressemblent étrangement et qui viennent s’installer au même endroit à un demi-siècle d’intervalle.
Susana d’aujourd’hui
C’est à elle que la narration s’intéresse tout d’abord. Rue Accacia, elle vient habiter dans une colocation trouvée sur Internet. Celle qui l’accueille lui présente rapidement les lieux et lui explique comment allumer le chauffe-eau. Mais l’appareil se révèle délicat à manipuler et Susana pas assez attentive pour bien enregistrer comment s’y prendre. Résultat, comme elle ne croise quasiment jamais personne dans l’appartement, elle va devoir se débrouiller avec un chauffe-eau qu’elle n’arrive décidément pas à mettre en marche. Autre source de stress pour cette illustratrice : son travail (alimentaire) de graphiste. Engagée par une agence qui propose des montages graphiques pour des affiches de promotions commerciales, Susana se retrouve avec une succession de projets d’abord validés puis complètement ignorés. Assez désespérée, elle discute de ses soucis avec une copine par visio-conférence sur Internet.
Susana d’hier
C’est dans un moment d’énervement et de découragement que le lien (un peu simpliste, mais pourquoi pas) avec l’autre Susana va se faire. Du coup, la narration revient 50 ans en arrière, à l’époque où à l’affiche du cine Coloso, on remarquait Terror en la marquesa (titre espagnol du film The Terror de Roger Corman – 1963). On y voit l’arrivée de Susana, Acacia 22, dans des conditions étrangement similaires à celles qu’on a déjà vues. La Susana du passé vient travailler à Mexico comme secrétaire. Toute la journée, elle tape à la machine. Le soir, elle continue à titre personnel, car son ambition, c’est l’écriture. Comme par hasard, Susana essuie refus sur refus (sinon l’ignorance pure et simple). Obstinée, elle y consacre tout son temps libre, quitte à risquer de passer à côté d’une vie rangée auprès de celui qui l’aime et la soutient.
Echos entre passé et présent
Edgar Camacho nous propose un aperçu intéressant de la ville de Mexico, en s’arrangeant pour qu’on fasse la comparaison entre ces deux époques situées à un demi-siècle d’écart. Sa façon d’utiliser le medium BD est assez caractéristique et originale. Son choix d’y faire évoluer deux jeunes filles qui se font écho par leurs ressemblances met en valeur les différences qu’il met en scène d’une époque à l’autre. Il montre que pour une jeune fille, les difficultés pour se faire une place dans la société sont comparables d’une époque à l’autre. Et il réussit à montrer que l’obstination finit par payer, puisqu’on comprend que la volonté de la Susana du passé de parvenir à la postérité par l’écriture aboutit finalement avec la lettre qu’elle laisse à la Susana du futur. Que les deux s’appellent Susana et se ressemblent physiquement n’a finalement qu’une importance toute relative qui ne nécessite aucune justification (ce que le fantastique autorise très naturellement).
Le style d’Edgar Camacho
Ce jeune (né en 1989) dessinateur se distingue plutôt par son refus des dialogues superflus, ses cadrages et recherches narratives que par son style graphique assez simple (nez en forme de triangle par exemple), ce qui ne l’empêche pas de faire passer les émotions ressenties par ses personnages. Il aime les couleurs et en joue pour faire sentir les différences entre les deux époques. Ces deux époques, il les confronte intelligemment par des parallèles, soit sur une même planche, soit d’une partie à l’autre. Il aime aussi séparer une vignette en plusieurs parties, parfois justifiées par des détails nécessitant une observation attentive, mais parfois de façon un peu arbitraire. Enfin, il aime beaucoup les déformations d’images de type anamorphose, ce qui l’amène à proposer de nombreux reflets sur des objets arrondis. Son goût pour ce type de déformation va jusqu’à proposer des dessins comme s’ils étaient vus par l’intermédiaire d’un objectif de photographe (ainsi que certains gros plans). Tout cela peut ici se justifier par la vision forcément déformée du passé et va dans le sens du fantastique léger qui imprègne l’album.
Une BD originale
Voilà donc un album (93 planches) qui sort du lot, même s’il ne faut pas trop en attendre parce que la narration se concentre sur des détails et aussi parce que la fin n’apporte qu’un dénouement assez anecdotique. On relèvera également que les dialogues (traduction par Emilie Gleason) utilisent très largement le langage de la jeune génération d’aujourd’hui.