eugene-sue-le-juif-errant-episode-3

Le Juif errant, d’Eugène Sue : critique-feuilleton, épisode 3

Pour rendre compte du Juif errant, d’Eugène Sue, roman long (1600 pages dans l’édition que nous lisons actuellement) et foisonnant, nous décidons donc d’en faire une critique-feuilleton, découpée en plusieurs épisodes qui paraîtront à intervalles plus ou moins réguliers, au fil de la lecture. Dans ce troisième épisode, nous évoquerons les mauvais prêtres, les bons chrétiens et les injustices sociales.

Troisième épisode

Cet épisode, qui s’étend jusqu’à la moitié du roman, pourrait s’intituler 13 février. En effet, c’est là que l’on atteint cette date fatidique si importante depuis le début du roman, et que l’on apprend la teneur de ce mystérieux héritage et tous les enjeux qui lui sont liés.

Cette date structure vraiment le roman depuis ses premières pages. Chaque partie commence par un rappel chronologique, se situant donc par rapport à ce fameux 13 février en un compte à rebours qui entretient le suspense. Le rendez-vous fixé en cette date détermine les mouvements des personnages : c’est pour être à Paris le 13 février que Dagobert et les jumelles quittent la Sibérie, que Djalma part d’Asie et Gabriel d’Amérique. C’est l’approche de cette date qui pousse l’abbé d’Aigrigny à mener son complot visant à emprisonner les différents héritiers. Symboliquement, la partie consacrée à ce rendez-vous est fixée au milieu du roman, coupant l’oeuvre en un avant et un après-13 février.

Bien entendu, nous ne dévoilerons rien ici de ce qui se déroule dans cette longue partie, mais le résultat est à la hauteur des attentes. Cette partie est pleine de suspense et de rebondissements, riche en émotions.

« Il n’y a pas d’ennemi plus implacable qu’un mauvais prêtre »

En plus d’être un grand roman d’aventures et de suspense, Le Juif errant est un roman que l’on pourrait qualifier d’engagé. À bien des moments, Eugène Sue se réserve le droit d’écrire des paragraphes où il expose clairement ses idées en matière de politique ou de religion.

La religion constitue, bien entendu, une part essentielle du roman, puisque les « méchants » appartiennent à la Compagnie de Jésus. Sur ce sujet, Sue fait une distinction importante entre des églises constituées qui enferment les gens dans un dogme strict et la spiritualité personnelle et sincère des personnages.

Les jésuites représentent ce que Sue semble détester dans une religion : ils divisent les personnes selon leurs croyances, misent sur la culpabilité des fidèles pour les manipuler, attisent les haines et les intolérances. Ces religieux agissent non pas dans le but de développer la spiritualité, mais pour obtenir un pouvoir financier et une influence politique.

Face à cela, Sue met en scène des personnages qui ne sont pas des croyants fidèles ; certains mêmes, comme Dagobert, ont combattu contre des prêtres, et sont prêts à recommencer ; d’autres sont des croyants, sans pratiquer dans le cadre d’une religion précise. Quasiment tous sont considérés comme des incroyants, voire des mécréants, par les religieux traditionnels. Et pourtant, leur comportement est clairement empreint d’une charité qui en fait des figures christiques. Agricol (fils de Dagobert), la Mayeux, et même la très libérée Adrienne de Cardoville sont sans cesse guidés par leur rejet de l’injustice sociale et l’amour de leur prochain.

Et lorsque certains de ces personnages sont bel et bien pratiquants dans une église (c’est le cas de Françoise, la femme de Dagobert, et de leur fils adoptif Gabriel), ils en viennent à prendre conscience de la manipulation dont ils font l’objet et cherchent à s’en libérer.

« Le travail auquel le pauvre est obligé de demander son pain devient souvent un long suicide »

L’aspect politique et social occupe une grande place également, une place de plus en plus importante au fil du roman. Par ses descriptions, mais aussi par ses propos directement politiques, Eugène Sue prend la défense des plus faibles, des plus misérables, dans une société française décrite comme injuste.

Ces considérations se font toujours au détour d’un chapitre, au fil de l’action. Ainsi, la présentation des personnages de Françoise et de la Mayeux permet à Sue de faire la description de la vie difficile des ouvrières parisiennes, et de réclamer plus de justice sociale à leur égard.

L’internement forcé d’un personnage est l’occasion de faire tout un topo sur la situation de la médecine psychiatrique.

Sue se scandalise aussi de la situation des plus misérables et appelle vivement à résoudre ce que l’on n’appelait pas encore les « fractures sociales ».

L’auteur va même jusqu’à tenir un discours que l’on qualifierait de nos jours d’« anticolonialiste », affirmant que la colonisation ne peut qu’inciter les peuples colonisés à employer la violence pour retrouver leurs libertés.

Avec une incroyable modernité, l’auteur se lance même dans des discours sur la nécessaire indépendance des femmes par rapport aux hommes, à travers les actions d’Adrienne de Cardoville. La jeune femme, aussi belle que riche, est guidée par le souci de sa liberté : liberté de faire ses propres choix sans avoir à demander l’autorisation d’un parent ou d’un tuteur, liberté de disposer de ses biens, mais aussi de son corps comme elle le souhaite, liberté de vivre seule même si cela offusque les tenants d’une société traditionaliste, etc.

Presque 180 ans après la publication du roman, les thèmes abordés par Eugène Sue résonne toujours dans l’actualité politique et sociale.

À suivre, pour découvrir comment l’action va rebondir après cette date fatidique du 13 février.