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« Tout sur François Truffaut » : décryptage d’un cinéphile, critique et cinéaste

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Deux ouvrages synthétisés et remaniés donnent naissance, aux éditions Gremese, à Tout sur François Truffaut. Le premier, classique, est de Jean Collet et date de 1985 ; le second, rédigé par Oreste De Fornari, fut publié un an plus tard. Mis bout à bout, les deux auteurs, l’un Français, l’autre Italien, effeuillent avec passion et acuité le cinéma truffaldien.

François Truffaut a décidément la cote en librairie. Ces derniers mois, on a pu le (re)découvrir dans une bande dessinée biographique, à travers ses chroniques parues dans la revue Arts ou encore à l’occasion d’un essai analytique d’Anne Gillain. Incidemment, Jean Collet et Oreste De Fornari renvoient vers ces trois ouvrages. Leur livre, paru aux éditions Gremese, présente d’une part, par ses digressions ou une biographie succincte, des pans entiers de la vie du réalisateur et critique français. Il comporte par ailleurs un texte du Truffaut critique, publié en septembre 1958 dans Arts. Il propose enfin, à l’instar d’Anne Gillain, un regard rétrospectif et aigu sur la filmographie truffaldienne. Cette vue d’ensemble sur l’un des hérauts de la Nouvelle vague s’enrichit en sus d’un article connexe de Massimo Marchelli et d’une étude comparée d’Enrico Giacovelli, qui examine à l’aide de photogrammes les principaux motifs d’une œuvre foisonnante : les cinémas, les escaliers et balustrades, les femmes et leurs jambes, les mains, le feu, les fenêtres, les téléphones, les grillages, les livres, etc. Truffaut est un cinéaste de la vie, de l’amour et de la jeunesse, comme nous le rappellent constamment les deux auteurs, mais il demeure surtout cet artiste gorgé d’obsessions dont on devine la griffe à ces dizaines d’images récurrentes qui font de sa filmographie une immense caisse de résonance.

Au cours de plusieurs chapitres introductifs, Jean Collet et Oreste De Fornari tentent de décrypter ce qui fait l’essence du cinéma truffaldien. Le premier note que François Truffaut réussit à la fois dans l’expression d’une œuvre personnelle et dans la communication de ses films vers le grand public. Un grand écart entre l’auteur et le fédérateur dont peu peuvent se prévaloir. Le second rappelle que le réalisateur français s’adonne à une sorte de cinéma par soustraction : « Il manque parfois la présence d’un véritable acteur principal, remplacé par celle volontairement figée de Léaud, ou Truffaut lui-même, comme des tableaux dans lesquels le visage du personnage principal aurait été laissé en blanc. Ou alors ce sont des dialogues qui sont constamment interrompus par la voix off qui lit un journal, un roman, une lettre, comme dans un documentaire. Dans certains de ses films, il manque les personnages secondaires, dans d’autres il n’y a que des personnages secondaires, tous plus ou moins au même niveau. Il y a des films qui sont seulement gais et d’autres qui sont seulement tristes, d’autres encore avec une alternance brusque de joie et de tristesse. »

En tant que critique, François Truffaut s’est fait remarquer par sa virulence à l’endroit du « cinéma français de qualité » – en gros, les adaptations littéraires d’Aurenche et Bost. En tant que cinéaste friand de littérature, il a pourtant dressé un autel à Balzac (dans Les 400 coups) mais surtout adapté des auteurs tels que David Goodis ou Ray Bradbury. Ce qui peut de prime abord apparaître comme un paradoxe est né d’une incompréhension : Truffaut n’est pas contre le cinéma littéraire, il en est d’ailleurs l’un des apôtres, il s’oppose en revanche à une certaine forme d’adaptation. Ne parle-t-il pas de « vingt ans d’adaptations criminelles par excessive timidité » et d’« insignifiance dorée » ? L’ouvrage avance cette explication : « On cherche si le film est mieux que le livre, ou inversement. Moyennant quoi, on ne s’implique pas soi-même, on ne s’intéresse pas à des personnages dans lesquels on n’a surtout pas à se reconnaître. La tradition du « cinéma français de qualité », que Truffaut détestait, se révèle frivole et malhonnête. Les cinéastes qui la pratiquent se servent de la littérature pour briller aux yeux du public. Dialogues qui s’entendent de loin, label culturel, acteurs célèbres qui tirent le personnage à eux au lieu de le servir, tout est mis en œuvre pour instaurer une complicité mondaine et superficielle entre le film et le public. Celui-ci est flatté de reconnaître à l’écran des histoires et des figures valorisées par l’école. Avec l’insolence et la vulgarité en prime. »

Un cinéma singulier

Tout sur François Truffaut se compose essentiellement d’analyses de films, auxquelles sont intégrés les commentaires du cinéaste, mais aussi des extraits de textes critiques de l’époque. Le film est ainsi décomposé à travers un regard intérieur et extérieur, actualisé et contemporain à l’œuvre.

Les Mistons donnent le la : la jeunesse investit déjà l’écran et François Truffaut fait étalage de ses mouvements du texte vers l’image. Les 400 coups se signale par une universalité à la Charlie Chaplin, un caractère autobiographique affirmé, mais aussi le dilemme qui se dresse devant Antoine Doinel : se réaliser ou disparaître. Truffaut évoque lui-même le « sevrage affectif » et le « désir d’indépendance » qui transparaissent à l’écran. Au sujet de Tirez sur le pianiste, Oreste De Fornari note que « Truffaut s’est rendu compte que le film noir, avec ses intrigues improbables et ses morts hasardeuses, est un cadre approprié pour l’incohérence du sentiment amoureux ». Jules et Jim fait de Catherine une authentique « créature cinématographique », mais se distingue surtout par sa frénésie ou, comme le dirait Jean Collet, son « ivresse ». Lumières, mouvements, dialogues, tout participe d’un tourbillon de la vie insaisissable.

Fahrenheit 451, premier film en couleurs de François Truffaut, fut particulièrement difficile à produire. Les auteurs rappellent en outre que le tournage ne fut pas de tout repos : le cinéaste français dut diriger ses acteurs en anglais, une langue qu’il ne maîtrisait pas parfaitement, et ses relations avec l’acteur Oscar Werner demeurèrent orageuses. On trouve bien entendu dans le film une obsession littéraire très truffaldienne (symbolisée par les « hommes-livres ») et une influence hitchcockienne à tout le moins prégnante. Cette dernière, insistent les auteurs, est tout aussi perceptible dans La Mariée était en noir, qui met en scène une sombre séductrice détentrice d’une liste venant s’ajouter aux motifs récurrents de François Truffaut.

Un peu plus loin, La Nuit américaine est présenté comme « la somme du cinéma de Truffaut », « le film-phare », jouant à la fois de la mise en abîme et de la valeur testamentaire. L’Argent de poche renoue avec la jeunesse, dans un récit pluriel mais cohérent. Le réalisateur français met en scène des comédiens amateurs et filme, selon les auteurs, l’alter ego d’Antoine Doinel en la personne de Julien Leclou. Sur L’Homme qui aimait les femmes, il sera notamment dit qu’il forme une trilogie de la création avec La Nuit américaine et Le Dernier Métro. Oreste De Fornari note par ailleurs que « le fait que ses conquêtes [celles du personnage principal] soient évoquées lors de ses funérailles et fassent l’objet d’un roman autobiographique donne une empreinte presque sacrée au catalogue amoureux. » Tout Truffaut est là : conquêtes (femmes), roman (littérature), funérailles (vie et mort), autobiographie, catalogue (les séries et les listes truffaldiennes).

Sur Le Dernier Métro, Oreste De Fornari écrit : « Deuxième film-manifeste consacré au monde du spectacle et opération rétro très habile où Truffaut ressuscite le Paris de 1942 presque sans sortir hors des murs d’un théâtre. Non seulement à travers les vêtements et la musique, mais également à travers les couleurs ; même la faim et le froid semblent d’époque. » Cette « vérité esthétique », pour reprendre les termes de François Truffaut, est notamment imputable à la lumière artificielle et aux scènes nocturnes. Les auteurs soulignent également que l’espace agit dans le film comme un « guide » et un « révélateur ». Ils voient enfin une parenté entre Le Dernier Métro et le Carrosse d’or de Jean Renoir.

Il va sans dire que Jean Collet et Oreste De Fornari nous gratifient de bien d’autres observations. Leur ouvrage livre une vision panoptique du cinéma truffaldien, de ses figures à ses gestes, en passant par ses tropismes les plus obsédants. Il présente surtout un homme dont les principes sont restés immuables de bout en bout. Ce qui a été verbalisé du temps du Truffaut critique fut ensuite mis en pratique au moment où le metteur en scène s’affirmait. Taxé de « réalisateur bourgeois », mis au ban par les Cahiers dont il a pourtant longtemps constitué la pointe avancée, cet ancien disciple d’André Bazin – qui, pour rappel, l’hébergea et le sauva de la prison militaire – n’a pas instigué la politique des auteurs pour rien : il fait partie de ces rares cinéastes dont les films, imperturbablement, entrent en résonance les uns avec les autres.

Tout sur François Truffaut, Jean Collet et Oreste De Fornari
Gremese, novembre 2020, 254 pages

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