Anthropologue et journaliste, Pauline Guedj prend le parti de radiographier le cinéma de Steven Soderbergh. D’une filmographie en apparence protéiforme, elle tire des constantes et des modes opératoires qui éclairent l’œuvre d’un réalisateur ayant tout expérimenté, ou presque : les blockbusters comme les productions indépendantes, le septième art et la série télévisée, les succès retentissants au même titre que les échecs douloureux.
Pauline Guedj ne manque pas de le rappeler : de prime abord, tout porte à croire que la carrière de Steven Soderbergh est caractérisée par des ruptures successives. Hors d’atteinte a marqué la fin de son activité de scénariste, Bubble a initié le recours aux acteurs amateurs et la création d’un nouveau modèle économique (fondé sur la VOD), Che a amorcé un basculement vers le numérique, The Knick a vu le cinéaste expérimenter le format de la série télévisée… Steven Soderbergh, anatomie des fluides est pourtant une invitation à dépasser l’idée de révolutions perpétuelles et définitives. Son auteure décrit une filmographie en apparence protéiforme comme un espace où les éléments se répondent les uns les autres. « Fluidité de la trajectoire, fluidité de la méthodologie, fluidité de la vie », précise-t-elle.
Pour étayer sa démonstration, Pauline Guedj évoque plusieurs motifs/thèmes récurrents. Il en va ainsi de la mondialisation et des mouvements, qui font l’objet d’une triple exploitation dans Contagion, Traffic et The Laundromat. Les virus, la drogue et l’argent y circulent en faisant fi des frontières. Les corps, masculins comme féminins, leur mise en scène et en emploi se fondent abondamment dans Magic Mike, The Girlfriend Experience ou Piégée. La direction d’acteurs de Steven Soderbergh est d’ailleurs décrite comme une chorégraphie entre la caméra et le corps des comédiens. Le cinéaste insiste particulièrement sur la spontanéité et la « physicalité » des personnages. Le sport se trouve quant à lui décliné sous diverses formes dans High Flying Bird, Logan Lucky, Ocean’s Eleven ou Hors d’atteinte, tout en ayant fait l’objet d’un projet avorté, Moneyball. Avec érudition, et en se basant sur ses propres observations ainsi que sur des déclarations publiques, Pauline Guedj raconte la manière dont les films de Soderbergh entrent en résonance les uns avec les autres, le lecteur voyageant à travers eux, et se familiarisant avec la sensibilité et la créativité d’un metteur en scène à tout le moins singulier.
Steven Soderbergh est décrit dans ce passionnant opuscule comme un réalisateur sensible aux couleurs, aux textures et à l’artisanat (dans le sens le plus noble du terme). Il s’entoure d’une troupe de fidèles, parmi lesquels Matt Damon, George Clooney, Channing Tatum ou Don Cheadle. Il se documente énormément avant de concevoir un film, accorde une grande importance à l’espace (notamment le Sud des États-Unis, où il a passé son enfance), s’adonne volontiers aux structures non linéaires (L’Anglais en est un exemple édifiant) et à la multiplicité des points de vue (Bubble ou The Girlfriend Experience, pour ne citer que ceux-là). Pauline Guedj rappelle aussi, illustrant par là une volonté de s’affranchir des canons cinématographiques, que Paranoïa fut entièrement tourné avec des iPhone. Steven Soderbergh nous apparaît ainsi comme un expérimentateur avec de la suite dans les idées, cherchant à la fois à recycler ses recettes et à les reformater, dans un élan fluide et perpétuel. Une manière de faire qui explique peut-être son parcours en dents de scie, résumé dans les premières pages de l’ouvrage. Après une Palme d’Or inattendue à Cannes, le réalisateur originaire de Bâton-Rouge (Louisiane) n’a en effet cessé d’alterner les hauts et les bas, s’intéressant souvent plus aux individualités et aux concepts (reconstitution, photographie, motifs…) qu’aux projets pris dans leur globalité. Pour en prendre la pleine mesure, cette « Anatomie des fluides » est tout indiquée.
Steven Soderbergh, anatomie des fluides, Pauline Guedj
Playlist Society, novembre 2021, 160 pages