Rencontre avec Isabelle Joly et Aglaé Dufresne
Isabelle Joly et Aglaé Dufresne sont les auteures, réalisatrices et actrices de la web série Camweb, lancée en 2012 et qui compte aujourd’hui trois saisons. Produites par la société de production ExNihilo, en partenariat avec Dailymotion et le magasine Causette, Camweb met en scène deux jeunes femmes connectées d’aujourd’hui, qui « cherchent sur internet des réponses à leurs questions existentielles ».
Filmée façon webcam, sans fard et sans effets, Camweb réussit à convaincre par sa simplicité : tout son attrait réside dans la subtilité des dialogues entre ces deux amies aux caractères marqués, le cynisme de l’une venant répondre à la naïveté de l’autre. L’internaute devient ainsi l’observateur privilégié de leurs réactions face au meilleur comme au pire d’internet. Isabelle et Aglaé nous racontent leur parcours avant, pendant, et après Camweb.
- Comment Camweb est-elle née ?
» Nous nous sommes rencontrées dans une Ecole de Théâtre, nous avions 20 ans. En mars 2012, alors qu’Aglaé surfait sur un site de rencontres sur mon ordinateur, je l’ai filmée à son insu avec ma webcam. Quand je lui ai montré le résultat, nous avons tellement ri que nous avons décidé d’écrire un sketch reposant sur cette idée : deux filles devant leur ordinateur filmées à leur insu par leur webcam. Nous avons posté la vidéo : Love@2012 sur Dailymotion, et nous avons été tout de suite repérées par le magazine Causette. La saison 2 a été produite par Arnaud Colinart chez ExNihilo, avec le partenariat de Causette et Dailymotion, et pour la saison 3, nous avons bénéficié du soutien de France télévisions dans le cadre des « Nouvelles Écritures. »
- Vous êtes filmées via webcam : pourquoi ce choix d’une caméra fixe de face ?
» La caméra utilisée pour nos vidéos n’est pas une webcam, mais une petite Panasonic. Nous avons choisi cette configuration (plan fixe et serré) pour donner un côté réaliste à la série. Nous voulions créer l’effet « prises sur le vif ». Au fur et à mesure, nous nous sommes rendu compte que cette contrainte permettait une grande liberté : le fond prend le pas sur la forme. Notre travail technique repose essentiellement sur le rythme que l’on trouve lors du montage. »
- Camweb nous montre deux nanas en quête de réponses sur le web. L’une est plutôt cynique, l’autre un peu naïve : des personnages qui vous ressemblent ?
« Oui, tout à fait : nous caricaturons ce que nous sommes dans la vie. Même si nous ne sommes pas, Isabelle aussi cynique, et Aglaé aussi naïve, que dans la série. »
- Camweb est-elle une ode ou une critique du tout et n’importe quoi qu’on peut trouver/faire sur le web ?
« Il s’agit essentiellement d’une critique et de ce que l’utilisation abusive d’internet peut développer en nous comme défauts : jalousie, passivité, narcissisme… »
- Quelle est la signification de l’affiche de fond ? A bout de souffle de Godard n’est certainement pas là par hasard…
« Si c’est un hasard ! Nous avons tourné les trois saisons dans mon salon (Isabelle) et cette affiche fait partie de la déco. Mais nous sommes curieuses d’entendre votre interprétation sur la signification de cette affiche ! »
- Dans un autre entretien accordé à Cineseries-mag, la web série humoristique Le Meufisme refusait l’étiquette féministe. De nombreux épisodes de Camweb sont eux aussi centrés sur les clichés sexistes, les relations hommes/femmes et les définitions de genre. Alors, féministes ou pas ?
« Nous pourrions reformuler votre question : pensez-vous que les hommes et les femmes devraient naître libres et égaux en droit ? Oui nous le pensons. En cela, nous sommes féministes. Même si en France nous avons la chance de bénéficier de nombreux acquis (contraception, avortement, divorce…) ce n’est pas le cas dans de nombreux pays, et même en France des progrès restent à faire (représentation à l’assemblée, salaire égal pour travail égal…). Les gens commencent à avoir moins peur du mot « féministe » et c’est une avancée. Par contre, dans nos vidéos, nous n’avons pas le sentiment d’être dans une forme de militantisme féministe, nous nous mettons en scène, en parlant librement de sujets qui nous tiennent à cœur : mecs, travail, logement… Quand on a commencé, il y avait encore peu de podcasteuses filles, et notre liberté de ton en tant que filles surprenait, c’est pourquoi on nous a qualifiées de « féministes ». Le jour où on ne sera plus surpris de voir des femmes parler librement sur le web, un progrès aura été fait. Le jour où on posera la même question du féminisme aux hommes, un grand progrès aura été fait ! »
- Camweb vous a-t-elle ouvert des portes ?
« Oui, nous avons été contactées par le Livre de Poche et notre premier livre va paraître le 4 février prochain. »
- Quel est l’avantage, selon vous, de la web série ?
» La web série permet à tout le monde de se lancer. Nous n’avons eu besoin de l’accord de personne pour démarrer Camweb, le public nous a suivies, et la production s’est greffée par la suite, en voyant le succès de nos vidéos. C’est une nouvelle économie, de nos jours beaucoup de chaînes de télévision repèrent sur Internet les programmes qu’elles diffuseront demain. Le piège de cette fabuleuse démocratisation, c’est la politique du buzz : une paire de seins fait 6 millions de vues quand « Amsterdam » de Brel » ne fait que 9000 vues… Du coup, il faut savoir relativiser le succès d’internet… »
Merci à Isabelle et Aglaé pour cet entretien !
La troisième saison de Camweb débutée en février dernier s’est terminée début septembre. La web série a notamment été sélectionnée au Swiss Web Program Festival dans la catégorie Humour.
CAMWEB 3X04 – MAUVAIS GENRE
Camweb est produite par Arnaud Colinard de la société de production ExNihilo, réalisée, écrite et jouée par Isabelle Joly et Aglaé Dufresne. Elle est diffusée sur le site Studio 4, en partenariat avec Dailymotion et le magazine Causette.