Le titre de La Nuit des rois de Philippe Lacôte pourrait faire penser à la pièce éponyme de Shakespeare. Une absence d’histoire d’amour et une intrigue très différente attendent pourtant le spectateur de ce film. Un jeune égaré se retrouve au beau milieu d’un royaume perdu, dans un rôle qui ne lui plaît pas, les ressemblances s’arrêtent ici. Dans son long-métrage, le réalisateur choisit, en effet, de nous montrer l’intérieur d’une prison ivoirienne au sein de laquelle les détenus ont depuis longtemps pris le pouvoir.
La MACA, comme on l’appelle, est le royaume de Barbe-Noire, un chef de bande qui règne sur les détenus, au sein des larges couloirs de la prison où les cellules semblent avoir disparu.
Lorsqu’un jeune homme est nouvellement amené, Barbe-Noire le désigne comme « Roman » celui qui doit raconter une histoire toute la nuit de la lune rouge, sous peine d’être mis à mort.
Commence alors sous nos yeux une succession de scènes toutes plus étranges les unes que les autres.
L’univers carcéral comme un royaume
Les films se déroulant en prison ne sont pas connus pour leur légèreté. Si La Nuit des rois n’est pas un film léger, il n’en est pas pour autant un film sombre, contre toute attente. Une atmosphère de conte flotte sur l’ensemble de l’oeuvre et ce bien avant le début de l’histoire racontée. Quelque chose d’étrangement esthétique et théâtral émane du jeu des acteurs, des plans, du montage et surtout des dialogues, en particulier de la diction presque déclamée de Barbe-Noire (Steve Tientcheu). Ainsi, bien sûr, que de cette prison qui ne ressemble pas à une prison, plutôt à une société close, délabrée et exclusivement masculine. Les détenus errent et se hèlent dans ces couloirs en ruine. Personne n’est en cellule et les gardes sont bien enfermés dans leur bureau.
La MACA, royaume de Barbe-Noire, vit au rythme d’une sorte de cour où se mêlent chefs et misérables, tous affublés d’un surnom digne d’un pantomime : Lame de rasoir, Demi-fou… Et comme dans un de ces royaumes de contes anciens, la MACA se voit le théâtre d’étranges rituels. La nuit de la lune rouge en est un : le jeune Roman (Koné Bakary) devient prince sans royaume, conteur au profit des détenus.
Cette ambiance est très réussie non seulement grâce à un jeu d’acteur théâtral juste comme il le faut, mais surtout à l’aide d’une mise en scène dynamique et d’une photographie superbe qui embellit presque cette prison qui s’effondre.
Un mélange de genres
La Nuit des rois mélange les genres. Conte philosophique, film fantastique, film sombre… Tout se mêle comme dans cette prison de béton gouvernée par un roi. Dans les mots de Roman, les époques et les possibilités aussi fusionnent. Voilà qu’un de ses anciens camarades de classe devenu délinquant passe son enfance auprès d’une reine digne de l’empire du Mali. La souveraine part en guerre accompagnée de son armée… et de ses pouvoirs magiques. Dans le monde de Roman, certains sont, en effet, connaisseurs du langage du soleil.
Le résultat produit un film très étrange, hautement imprévisible et dans lequel, on l’a dit, la violence semble comme escamotée, bien que présente. Le conte continue de plaire aux adultes, secrètement, comme on le ressent en tant que spectateur et comme nous le montrent ces détenus qui s’improvisent danseurs et chanteurs pour accompagner les mots de Roman. On navigue constamment entre nature sauvage du conte et univers clos, sale et sombre de la prison, accompagné par une musique qui fait mouche et installe le drame ou le sublime.
Un petit quelque chose qui manque
Le long-métrage est une réussite, ne serait-ce que pour sa singularité et son ambiance, qui non seulement demeurent maîtrisées jusqu’au bout, mais qui aussi tiennent leur promesse, en ce que le film ne s’affaisse pas en cours de route, dépassé par son idée.
Pourtant, il manque tout de même un petit quelque chose. En tant que spectateur, on ne peut s’empêcher d’en vouloir plus : plus de conte, en particulier lorsque le conteur gagne en aisance, plus de profondeur dans le sort de Roman. Cet effet de manque est sans doute dû non seulement à la durée courte d’1h30 du film, mais aussi à son traitement très théâtral qui s’intéresse plus aux émotions et aux actions qu’à un réalisme à proprement parler.
Un certain dénuement dans l’univers du conte, comme une retenue, est peut-être aussi en cause. On attendait davantage de cet univers de la pensée où tout est possible, puisqu’imaginé. En cela, La Nuit des rois n’est pas à la hauteur, par exemple, d’un The Fall réalisé en 2006 par Tarsem, dans lequel le récit est le royaume flamboyant du Bandit Masqué, parcourant les plus beaux décors du monde au gré de ses aventures.
La Nuit des rois est donc un film à découvrir, une oeuvre singulière qui porte un regard curieux et esthétique sur une situation carcérale totalement hors du commun. Comme les contes de fées adoucissent certains messages destinés aux enfants, le long-métrage de Philippe Lacôte atténue a brutalité du monde carcéral le temps d’une nuit qui se déroule en même temps que les mots d’un conte.
Bande-annonce : La Nuit des rois
Fiche technique :
Titre : La Nuit des rois
Réalisation : Philippe Lacôte
Casting : Bakary Koné, Steve Tientcheu, Digbeu Jean Cyrille, Rasmané Ouédraogo
Scénario : Delphine Jacquet, Philippe Lacôte
Pays d’origine : France, Canada, Côte d’Ivoire, Sénégal
Genre : Drame, fantastique
Durée : 93 minutes
Date de sortie : 2020