Distribué par Arcadès, La Femme sur la Lune fait l’objet d’une édition très réussie chez Potemkine. Fritz Lang célèbre, à l’aube du cinéma parlant, la science et l’exploration spatiale.
Si La Femme sur la Lune donne l’impression de dilater le temps (le film dure environ trois heures), c’est en partie parce qu’il se constitue de deux longs métrages presque indépendants l’un de l’autre. Sa première moitié prend les atours du film noir classique, avec un groupe de magnats employant des méthodes douteuses pour obtenir son billet sur un voyage spatial vers la Lune. Car si le Professeur Manfeldt est dans un premier temps moqué pour ses théories sur la teneur en or des montagnes lunaires, la tentation d’en vérifier les assertions sur place est forte. Il faudra cependant ensuite patienter 75 minutes pour que cette exploration encore inédite dans l’histoire humaine (mais pas cinématographique, Méliès étant passé par là) prenne forme, dans une veine bien plus novatrice.
Fritz Lang bénéficie d’un budget confortable à la suite du succès des Espions, et cela se voit à l’écran. Ses maquettes sophistiquées, ses mouvements de caméra synchronisés, l’apparat qu’il déploie pour reconstituer des extérieurs grandioses ou figurer le sol lunaire s’accompagnent d’un soin évident – bien que parfois contrarié – porté sur le réalisme. Pour ce faire, le cinéaste allemand s’entoure des scientifiques Hermann Oberth et Fritz von Hoppel, futurs artisans de la conquête spatiale. Du compte à rebours aux séquences d’apesanteur en passant par les plans spatiaux et lunaires ou les dispositifs technologiques complexes, La Femme sur la Lune va faire école et livrer quelques éléments fondateurs du cinéma de science-fiction.
Pour le reste, Fritz Lang fait du Fritz Lang, et les cinéphiles savent pertinemment à quoi s’attendre. Les projections d’ombres d’inspiration expressionniste, les panoramiques, les travellings, les cadrages tatillons, les raccords discrets dans une continuité de mouvements, les regards face caméra, l’expressivité des personnages poussée à son paroxysme, les prises de vues astucieuses (à travers une vitre, un passage dans une fusée ou en représentant symboliquement une pellicule de cinéma) se succèdent les uns aux autres. « Seuls les idiots répondent par la raillerie aux idées novatrices », lit-on dans La Femme sur la Lune. Cela s’applique bien entendu aux écrits du Professeur Manfeldt, mais aussi, de manière indirecte, à tous ceux qui regarderaient aujourd’hui d’un œil circonspect ou moqueur ces moyens rudimentaires et peu fonctionnels permettant de lutter contre l’apesanteur ou cette atmosphère lunaire respirable au dépit du bon sens.
Efficace, bien ficelé, La Femme sur la Lune renferme, en plus de son intrigue policière et du motif de l’espace, une exploration de la nature humaine allant de la prédation économique et environnementale au triangle amoureux en passant par la résilience ou la trahison. Dans sa seconde moitié, Fritz Lang va au bout de la logique initiée au début du film, en intégrant dans son récit un arc romantique patiemment construit. Certains regretteront le caractère phagocytaire de ces intrigues, qui empiètent quelque peu sur la conquête spatiale et les représentations qui y sont associées. Mais Fritz Lang parvient, au bout de presque trois heures de film, à un équilibre convaincant entre l’émotion et la technique, entre la chair humaine et la proposition cinématographique.
BONUS ET TECHNIQUE
Restaurée par la fondation Murnau, cette copie apparaît plus que satisfaisante, avec une bonne stabilité et un rendu visuel d’excellente facture. L’édition comprend deux suppléments, le document En apesanteur et un entretien avec Bernard Eisenschitz.
Le premier, bref mais très complet, rappelle l’héritage cinématographique de la lune, de Méliès à Kubrick. Il revient sur le réalisme de La Femme sur la Lune et souligne la forte influence du comic book sur le film de Fritz Lang – BD à l’écran, personnage de scientifique fou, méchants cartoonesques, mot « Gold » apparaissant plusieurs fois comme dans une vignette, etc.).
Bernard Eisenschitz rappelle le contexte de production du film, à une époque où l’on évoque de plus en plus les voyages spatiaux. Il indique les hésitations entourant le recours, ou non, au son. Il énonce une tendance au romanesque pur, matérialisée par les quiproquos ou la romance amoureuse. Il opère par ailleurs des parallèles entre les personnages de Friede et de Maria (Metropolis), toutes deux vues comme des « saintes ». Il met enfin en miroir Les Espions et La Femme sur la Lune, expliquant que le premier est davantage conditionné par son découpage et les procédés purement cinématographiques.
Extrait :
Fiche technique disponible ici : https://store.potemkine.fr/dvd/3545020080917-la-femme-sur-la-lune-fritz-lang/