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Donnie Brasco (1997) de Mike Newell : Tu quoque fili

Dans le genre assez balisé du « film de mafia », Donnie Brasco occupe une place à part. Sorti à la fin des années 1990, le film mené par le tandem Johnny Depp-Al Pacino réussit le tour de force de s’être imposé à la fois comme un classique du genre et comme une œuvre incomparable. Le revoir aujourd’hui, qui plus est dans une version director’s cut agrémentée de vingt minutes de métrage supplémentaire, nous rappelle les immenses qualités de cette œuvre authentique et attachante. Al Pacino y livre une de ses meilleures performances – ce qui n’est pas peu dire – avant une longue traversée du désert qui débutera quelques années plus tard. 

Rarement la figure familière de l’infiltré aura paru aussi vraisemblable à l’écran. S’il faut porter cette qualité au crédit, notamment, du réalisateur et des comédiens, elle est avant tout due à la source du scénario. Donnie Brasco est en effet le nom que porta Joseph Pistone, un agent du FBI, pendant plusieurs années passées au sein de la famille mafieuse new-yorkaise des Bonanno. Cette infiltration inédite par sa durée (cinq années) eut des résultats retentissants, puisqu’environ 200 personnes furent arrêtées et plus de la moitié condamnée sur base des preuves rassemblées par Pistone. C’est le témoignage écrit par l’intéressé en 1988 qui servit de base au scénario du film, écrit par Paul Attanasio. Par ailleurs, comme nous l’apprenons dans les bonus de cette édition, Pistone lui-même fut très impliqué dans le film, y jouant le rôle de conseiller, ce qui a sans nul doute contribué au réalisme de l’œuvre. Le premier quart d’heure situe parfaitement l’infiltré (Johnny Depp) dans son rôle. Il y reste en effet dans l’ombre, tandis que l’attention du spectateur est portée sur le groupe de wiseguys qui, eux, ne s’embarrassent d’aucune discrétion. Maîtres sur leur territoire, ils blaguent, vocifèrent et se charrient sur des sujets bénins. Partant de ce tableau familier, Donnie Brasco brouille ensuite malicieusement les pistes. A peine le spectateur pense-t-il trouver ses marques, que l’action se détourne lentement vers Brasco, qui demeure en marge du groupe, guettant l’opportunité. Surtout ne pas s’imposer, ne pas brusquer les rencontres. C’est bien Lefty (Al Pacino) qui initie le contact, non l’inverse. Là, il faut jouer crânement sa chance. L’agent réussit un coup de bluff – il prétend reconnaître un faux bijou au premier coup d’œil – et il met le pied dans la porte : il a désormais l’attention de Lefty.

La suite va confirmer cette envie de s’écarter des sentiers battus et des figures imposées, et le film de peindre une image bien plus nuancée et humaine d’un milieu régulièrement caricaturé et/ou romantisé. La réalisation confiée à un Européen (le Britannique Mike Newell, qui hérite d’un projet initialement dévolu à son compatriote Stephen Frears), qui plus est novice en matière de films de mafia (il avait fait un carton trois ans plus tôt avec la comédie romantique Quatre Mariages et un enterrement), explique sans doute que rarement l’aspect émotionnel aura joué un rôle aussi important dans un film du genre. Newell ose même lorgner du côté du mélodrame pour renforcer la relation père-fils qui s’instaure entre Lefty et Donnie Brasco. Le résultat est très réussi car non seulement cette relation renforce l’attachement aux personnages, mais encore crédibilise-t-elle davantage le scénario. En effet, c’est parce que Lefty, déçu par son propre fils toxicomane, s’attache à son jeune protégé qu’il baisse immanquablement la garde et ne peut concevoir la trahison de ce dernier. L’autre originalité de ce film est qu’il ne s’intéresse pas à l’aristocratie du crime mais aux éternels aspirants. Ici, pas de mafieux en costumes trois pièces qui privatisent des boîtes de nuit et se réunissent dans des salons chics pour causer business, mais de petites frappes éternellement fauchées, qui cherchent à gagner quelques billets à travers n’importe quelle combine. Ils prennent tous les risques et respectent les ordres, que ce soit pour assassiner des amis ou se rendre à leur propre exécution. Ils respectent encore un code d’honneur, mais celui-ci résiste de plus en plus difficilement à l’évolution des mœurs mafieuses et aux éclats de violence qui rebattent fréquemment les cartes. Bref, le milieu dépeint est banalisé, et c’est ce qui rend les criminels aussi humains, voire aussi touchants.

Efficacement mis en scène, Donnie Brasco est porté par un casting phénoménal, dont un duo Depp-Pacino très complice. Le premier y accomplit, à 34 ans, sa mue vers des rôles plus virils et mûrs, tandis que le second, alors dans une période faste (il a récemment tourné dans L’Impasse de De Palma et Heat de Mann, avec lequel il s’apprête à tourner le formidable Révélations), est totalement investi dans sa performance et brille de mille feux. Autour de ce binôme attachant, gravitent une brochette de seconds rôles parfaits, de Bruno Kirby à Anne Heche (tragiquement décédée, à l’âge de 53 ans, il y a quelques mois à peine), sans oublier Michael Madsen qui livre là une de ses meilleures performances dans le rôle du capo récemment promu qui peine à tenir son nouveau rang. Bien rythmé, truffé de séquences marquantes, tour à tour attachant, drôle et brutal, Donnie Brasco n’a rien perdu de ses qualités, et se revoit aujourd’hui avec une indubitable délectation cinéphile.

Synopsis : En 1978 à New York, l’agent spécial Joe Pistone est designé par le FBI pour infiltrer le clan Bonanno, une des familles mafieuses les plus puissantes de la côte Est. Il contacte un modeste porte-flingue de l’organisation, « Lefty » Ruggiero, auprès duquel il se fait passer pour un spécialiste en joaillerie du nom de Donnie Brasco. Coupé de son milieu, Donnie va peu à peu s’identifier à ceux qu’il doit détruire.

SUPPLEMENTS

Le digipack proposé par ESC Distribution jouit d’un packaging quelque peu trompeur. En effet, si les jolis visuels qui l’ornent et les deux disques qu’il contient promettent une myriade de suppléments, la réalité est bien plus maigre. Hormis un livret d’à peine une vingtaine de pages (mais intéressant car reprenant notamment des témoignages de Mike Newell, Stephen Frears, Joseph Pistone et du scénariste Paul Attanasio), l’édition n’inclut que deux bonus vidéo. Le premier est un entretien récent, réalisé pour les besoins de cette nouvelle édition, avec Fabrice Rizzoli. Signalons tout d’abord la curieuse habitude de ne pas présenter formellement l’invité, qui est docteur en sciences politiques et spécialiste de la grande criminalité. Compte tenu de son expertise, Rizzoli se livre logiquement à un commentaire sur le contexte historique dans lequel s’inscrit le film, plutôt que sur l’œuvre elle-même. Si le spécialiste fournit quelques informations intéressantes, l’entretien aurait gagné à être structuré autour de grandes questions qui ramènent régulièrement au film et permettent de mieux l’appréhender, ce qui aurait évité un aspect décousu et quelques sujets plus éloignés. Le second bonus n’a rien de nouveau puisqu’il date de 2000 et était déjà inclus dans les premières éditions spéciales du film, mais il s’avère le plus passionnant grâce aux nombreux intervenants qui y apparaissent. Johnny Depp, le directeur du casting Louis DiGiaimo, Paul Attanasio et, cerise sur le gâteau, Joseph Pistone lui-même, commentent en détails la genèse du film, l’écriture, le casting, la mise en scène, l’apport des comédiens principaux, etc. Manque à l’appel Al Pacino, qu’on voit très rarement dans ce genre d’exercice, et nous aurions tenu là un complément parfait au film. Il n’empêche que les 24 minutes passent très rapidement !

Si nous aurions espéré davantage de bonus pour un film aussi important que Donnie Brasco, ne boudons pas notre plaisir de découvrir le film dans une copie impeccable et, surtout, dans un montage director’s cut qui offre vingt minutes de métrage supplémentaire. Il va de soi que nous vous conseillons chaudement de privilégier cette version au montage cinéma, également inclus dans le coffret – cela, même si aucune différence structurelle n’est à mentionner, autant le savoir… 

Suppléments de l’édition collector 2 Blu-ray :

  • Film en deux versions : version cinéma et director’s cut
  • Entretien avec Fabrice Rizzoli

Note concernant le film

5

Note concernant l’édition

3